Périgueux, préfecture de la Dordogne, siège du tribunal de la 12e région militaire, de 1940 à 1942
Par Jacky Tronel | dimanche 27 décembre 2015 | Catégorie : Dernières parutions, VARIA | 1 Commentaire« L’Étrange Défaite » de 1940 bouscule l’organisation administrative de la France. Au mois de juillet, par décision ministérielle, les tribunaux militaires de Paris sont repliés sur Périgueux, siège de la préfecture de la Dordogne.
Il faut alors trouver des solutions pour évacuer, transférer et juger des centaines de détenus : militaires présumés coupables de délits de droit commun, déserteurs et insoumis, mais aussi des politiques, parmi lesquels une majorité de communistes et de syndicalistes…
Conséquence de l’offensive allemande sur Paris
Le 10 juin 1940, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, donne l’ordre d’évacuer 1 865 prisonniers des prisons du Cherche-Midi et de La Santé. Au terme d’un exode pénitentiaire mouvementé – plusieurs centaines d’évasions et une quinzaine d’exécutions sommaires – 1 020 détenus parviennent au camp de Gurs (Basses-Pyrénées, devenues Pyrénées-Atlantiques en 1969), dans le plus grand désordre. Pour la plupart, en attente de jugement, l’instruction de leur affaire est en cours.
Pour en savoir plus : « La prison militaire de Paris face à la débâcle de juin 1940 »
Installation du tribunal militaire de Périgueux
Dans un pays encore sous le choc du désastre de son armée et sur le point de perdre son régime républicain, la réorganisation de la justice militaire se fait dans la plus totale confusion. Dans un premier temps, le repli des tribunaux militaires de Paris est prévu à Bordeaux. C’est ce qu’indique le ministère de la Défense nationale et de la Guerre dans un télégramme du 13 juin 1940 adressé à l’état-major de la 18e région militaire : « Recevrez incessamment environ deux mille prévenus devant tribunaux militaires Paris repliés et onze condamnés à mort. Stop. Prendre toutes dispositions d’urgence pour incarcération dans locaux disponibles ou pontons… » . Sept jours plus tard, les prisonniers du Cherche-Midi et de La Santé – formant la prison militaire de Paris – arrivent à Bordeaux. La ville vient de subir des bombardements. On dénombre 68 morts et 185 blessés. La préfecture de la Gironde est encombrée de réfugiés… Rien n’étant prévu pour les recevoir, la majorité des prisonniers poursuit son chemin, en autobus et sous escorte, jusqu’au camp de Gurs. Seuls dix condamnés à mort sont remis au nouveau commandant de la prison militaire de Bordeaux, Antoine Chiramonti, venant du Cherche-Midi. Le 22 juin, quatre d’entre eux (Rambaud Roger, Rambaud Marcel, Lebeau Léon et Amourelle Jean) sont extraits de la prison militaire pour être conduits au Champ de tir de Verthamon, commune de Pessac, où ils sont fusillés à l’aube.
Pour en savoir plus, lire sur ce blog :
Bref historique de la prison militaire de Bordeaux (1842-1947)
Ces fusillés de juin 1940 dont on ne parle pas…
Le 3 juillet 1940, le général Altmayer, commandant la 18e région repliée à Pau, signale l’installation d’un tribunal militaire permanent à Oloron-Sainte-Marie, capitale du Haut-Béarn, ce que confirment les registres d’écrou de la prison militaire de Paris.
À la même date, la ville de Limoges est également choisie par l’état-major de l’armée afin d’y créer immédiatement un tribunal militaire. Le 5 juillet, le ministre de la Guerre fait parvenir un télégramme au général Frère, commandant la 12e région militaire, dont voici les termes : « …Par modification à D.M. 172 C/10 du 29 juin 1940 procédures en cours devant 1° 2° 3° et 4° tribunaux militaires région Paris seront portées devant tribunal militaire 12° région. Stop. Personnel tribunaux militaires Paris désignés ci-dessus et présent à Périgueux est affecté tribunal militaire 12° région… ». Depuis les réformes territoriales d’août 1923, la 12e région militaire regroupe six départements (Charente, Corrèze, Creuse, Dordogne, Haute-Vienne, Indre) et huit subdivisions militaires (Angoulême, Bergerac, Brive, Guéret, Limoges, Magnac-Laval, Périgueux et Tulle).
Cependant, dans un pays désorganisé, les instructions provenant de l’autorité militaire circulent difficilement. Le 10 juillet 1940, le capitaine Kersaudy, commandant la prison militaire de Paris, évoque la dissolution des tribunaux militaires de Paris et leur rattachement à la 13e région, à Clermont-Ferrand ! Au bout du compte, c’est bien la 12e région qui hérite des dossiers d’instruction. Contre toute attente, son tribunal militaire est établi au chef-lieu d’une de ses huit subdivisions militaires, à Périgueux, et non au siège de l’état-major, à Limoges. Enfin, le 11 juillet, le général Frère annonce l’installation immédiate du tribunal militaire permanent « à Périgueux – École normale d’instituteurs – place Faidherbe ». En dernier ressort, le tribunal s’installe au n° 4, rue de la Bride, dans l’immeuble de l’Hôtel de la Tour Mataguerre, dont l’arrière-cour donne sur le cours Fénelon. Les dossiers sont instruits au siège du tribunal militaire, et c’est au palais de justice de la ville que se tiennent les séances.
Il faut relancer la machine administrative.
Le 20 juillet 1940, le secrétaire d’État à la Guerre demande à connaître le nombre « des prévenus poursuivis devant les tribunaux militaires de la 12° Région », présents à Gurs. Ils sont 893.
Depuis le 2 septembre, nous savons par le commissaire du Gouvernement près le tribunal militaire de la 12e région que le tribunal s’est installé « dans un hôtel réquisitionné ». En réalité, l’endroit est déjà utilisé par une autre administration, comme l’explique l’officier de justice militaire Roques : « La grande salle du rez-de-chaussée où devait s’installer le Greffe […] est encore occupée par la police de Strasbourg [l’administration centrale de la ville de Strasbourg s’est repliée à Périgueux dès le mois de septembre 1939]. L’autorité civile mise au courant de ce fait ne paraît pas très pressée de faire évacuer cette salle qui est cependant réquisitionnée comme tout l’hôtel par l’autorité militaire. Or, il est indispensable, pour que le Tribunal puisse normalement fonctionner, que cette pièce soit remise le plus tôt possible à notre disposition ». L’officier se plaint du manque de mobilier et de la charge de travail importante qui repose sur le tribunal nouvellement formé, sa vocation étant de « liquider les affaires qui étaient en instance devant les quatre tribunaux militaires de Paris, et devant celui de la 4e Région, sans compter devant de nombreux tribunaux militaires aux Armées. »
En réalité, l’activité du tribunal commence bien avant l’installation du siège, le 2 septembre. Pour preuve, l’ordonnance de non-lieu prononcée le 3 août 1940 par « Louis Fabre, officier de justice militaire adjoint, juge d’instruction au tribunal militaire de la 12e Région séant à Périgueux (Dordogne) », au bénéfice des nommés Charles Lesca, Alain Laubreaux, Clément Serpeille de Gobineau, Robert Fabre-Luce et Armand Thierry de Ludre (à titre posthume). Le comte Thierry de Ludre figure parmi les détenus qui ont été exécutés froidement lors des opérations de repli de la prison militaire de Paris, du côté de Montargis (Loiret). Inculpés d’« agissements contre la sûreté de l’État », tous sont mêlés, de près ou de loin, à l’hebdomadaire fasciste et antisémite Je Suis Partout.
Pour en savoir plus : Le repli tragique de la colonne de Cepoy (15-17 juin 1940)
Le 24 septembre 1940 se tient enfin au palais de justice de Périgueux la première séance du tribunal militaire de la 12e région. Les séances étant publiques, il n’est pas rare que des détenus libérés viennent soutenir et encourager d’anciens compagnons de captivité, le jour de leur jugement.
Projet d’aménagement d’un camp de prisonniers à Saltgourde
Le tribunal maintenant installé, il est urgent de créer un camp de prisonniers pour les prévenus en attente de comparution devant leurs juges. Le 21 juillet, le général Frère résume ainsi la situation : « Il s’agit d’organiser un camp sous tentes de 2 000 places pour les prévenus du Tribunal militaire de la 12e Région. Le terrain d’emprise du camp sera partagé de la façon suivante : 2 îlots de 100 places chacun pour les femmes [accusées d’atteinte à la sûreté de l’État et de propagande communiste], 18 îlots de 100 places pour les hommes. Chaque îlot comportera 10 tentes de 10 places chacune et sera délimité par une clôture constituée par une rangée de piquets et de la ronce artificielle. (…) Deux wagons de ronces artificielles seront expédiés dans les plus courts délais sur la gare de Périgueux. ». Ce camp provisoire porte le nom de « Camp de Sallegourde » (orthographié aujourd’hui « Saltgourde »), commune de Marsac-sur-l’Isle.
Le capitaine Kersaudy fait le voyage de Gurs à Périgueux, afin d’étudier la faisabilité du projet. Dans son rapport du 2 août 1940, il décrit les lieux : « Le camp est dressé sur un terrain de deux hectares environ, à fond argileux à la forme d’un quadrilatère dont un côté donne sur une rivière [l’Isle] ». Il ne sera pas possible de placer plus de six hommes par tente, contre les dix prévus. Kersaudy émet enfin des réserves sur l’opportunité de placer un camp de femmes à proximité immédiate d’un camp pour hommes : « À mon avis, dit-il, ces femmes doivent être incarcérées dans une prison civile et surveillées par des surveillantes. Elles doivent être totalement séparées des hommes. […] Sans aucun doute, pendant la nuit, les détenus de sexe masculin franchiront le barbelé pour leur rendre visite, de plus, ces femmes ne peuvent être fouillées que par une personne de leur sexe. […] Les détenus couchant sur la paille, elle prendra très vite l’humidité, au contact du sol. Il est à présumer de nombreux malades dès qu’il tombera de la pluie dont le climat de Périgueux est assez souvent gratifié suivant les dires de la population, même pendant la saison d’été… »
Le général Frère donne raison au capitaine Kersaudy. S’il reconnaît que le camp de Sallegourde « répond à la nécessité du transfert rapide des détenus du camp de Gurs dans le but d’accélérer l’instruction des affaires en cours », il tient à signaler l’existence d’un camp composé de baraques en dur, appelé à devenir « le camp permanent de détenus » [il s’agit du camp de Mauzac]. Le général suggère que les femmes y soient logées en priorité, « sous la garde de surveillantes, comme en maisons d’arrêt ». Il est donc prévu d’utiliser provisoirement le camp de Sallegourde en vue de regrouper les prévenus de la prison militaire de Paris repliée à Gurs, « solution transitoire. En effet, dès la fin de la belle saison, il sera à abandonner pour des considérations élémentaires d’hygiène ». Les officiers, quant à eux, pourront être « détenus à la prison de St-Yrieix[-la-Perche, Haute-Vienne], qui offre une capacité de 100 places, dont une certaine partie peut être occupée par des condamnés du tribunal militaire ».
Le camp pressenti pour accueillir les détenus du camp de Gurs pourrait s’établir « dans les baraquements dépendant de la poudrerie de Mauzac, à 20 kilomètres de Bergerac. […] D’une capacité de 2 000 places, ce camp pourra contenir non seulement les détenus du camp de Gurs, mais encore ceux qui, répartis dans l’ensemble des prisons et locaux disciplinaires de la Région, sont en instance de traduction devant le tribunal militaire. ».
Pour en savoir plus, lire sur ce blog : Le Camp de Sallegourde, chronique d’un projet avorté (juillet-septembre 1940) :
À peine né, le projet est déjà abandonné ! Un télégramme du 5 septembre 1940 émanant du général Jeannel, nouveau commandant de la 12e région, indique que le transfert à Sallegourde des détenus du camp de Gurs est ajourné et reporté à une date ultérieure : « Utilisable en période d’été, le camp de Sallegourde ne le sera plus à très brève échéance, en raison de l’abaissement déjà très sensible de la température durant la nuit. Dans ces conditions, il a paru judicieux de prévoir le transfèrement […] directement dans les installations définitives dont l’organisation est envisagée. […] Toutes dispositions sont prises pour que les séances du tribunal militaire au cours desquelles seront jugés les détenus du camp de Gurs commencent dès que possible. ».
Le détenu politique Henri Martin a connaissance de la chose et relate l’épisode dans son journal : « 3 septembre – Grande nouvelle : la cantine est supprimée car les comptes doivent être arrêtés en vue d’un départ imminent. On nous emmènerait dans un camp près de Périgueux ! Au bureau, on emballe les archives. Cela paraît sérieux ! 4 septembre – Il n’est plus question que de départ. Depuis hier, on sait que le capitaine [Kersaudy] est parti à Périgueux pour inspecter les lieux. Dans tous les coins on ne parle que de cela, du moyen de transport, de la résidence future, camp provisoire, couchage sous des marabouts, etc… et maints commentaires sans aucun fondement… 5 septembre – Chaque jour apporte du nouveau… Finie l’histoire du départ ! Au bureau, on a déballé les archives, on reste. Il paraît que le capitaine n’a pas été satisfait de la disposition des lieux et il ne veut pas prendre la responsabilité de nous y transporter. Peut-être se souvient-il que lors du voyage d’Orléans à Gurs il a perdu plusieurs centaines d’hommes, et ne veut pas recommencer ? ».
Transfert de Gurs à Périgueux et prison de la Perlerie
La question du transport des détenus est un véritable casse-tête pour l’administration militaire. Les moyens de locomotion disponibles et l’essence sont rares, les lieux de détention peu nombreux. La logistique est complexe. Le 14 octobre 1940, un groupe de 105 prévenus est acheminé à Périgueux. Une note de service de la 17e région militaire [Toulouse] définit très précisément les modalités du transfert : rassemblement devant l’îlot B du camp de Gurs et distribution de vivres pour deux jours ; départ du camp à 11 h. 10 ; transport de Gurs à Oloron par camions de la Régie départementale des Basses-Pyrénées ; embarquement en gare d’Oloron au train de 12 h. 30 ; de Gurs à Toulouse, escorte constituée de deux pelotons de gendarmes de la Garde républicaine mobile d’Aire-sur-l’Adour (Landes) et, de Toulouse à Périgueux, escorte constituée par deux pelotons de la 17e Légion de gendarmerie. Henri Martin fait partie du voyage. Il décrit le moment du départ après la séance de la fouille : « On nous appelle deux par deux pour toucher les vivres du voyage : un kilogramme de pain chacun, un morceau de viande froide, et une boîte de « singe » [corned-beef] pour deux. Des camions nous attendent et nous y montons accompagnés de quatre garde-mobiles par véhicule. Ils nous mettent les menottes dont la chaîne nous relie deux par deux. Les bracelets sont trop serrés… Va-t-il falloir faire tout le voyage ainsi entravés ?… Les camions s’ébranlent, le camp reste derrière nous. Au-delà des barbelés, des vivats d’adieu retentissent… ». À leur arrivée à Périgueux, les « Gursiens » sont provisoirement logés dans l’une des casernes de la ville.
Exceptionnellement, afin de simplifier les procédures, le juge d’instruction permet à un prévenu de se rendre par ses propres moyens jusqu’au siège du tribunal militaire. Une simple lettre d’engagement sur l’honneur suffit pour autoriser le déplacement… Au mois d’octobre 1940, les officiers Louis Bouscarle et Camille Cardot bénéficient de cette mesure.
Pour en savoir plus, lire sur ce blog : Quand l’usine de la Perlerie servait d’annexe à la prison militaire de Paris repliée à Mauzac
À partir du mois de décembre 1940, les prisonniers transférés à Périgueux par l’autorité militaire sont dirigés soit vers la maison d’arrêt de la ville (prison Belleyme) – un quartier militaire d’une capacité de 80 places maximum leur est réservé – soit vers La Perlerie. « La Perlerie » est une usine dépendant de la Compagnie française pour l’industrie de la perle spécialisée dans la fabrique de « perles et cannetilles, fleurs et feuilles, accessoires pour couronnes, pour broderie, passementerie, etc ». En février 1920, l’usine de Périgueux compte 140 ouvriers et ouvrières . Elle est située rue des Prés prolongée, non loin du pont des Barris. De décembre 1940 à mars 1941, elle prend le nom de « Prison militaire de Mauzac, annexe de la Perlerie à Périgueux ». Elle est utilisée comme lieu de transit des prévenus en attente de comparution devant le tribunal militaire, ou bien au retour, après jugement, condamnation et transfert vers le lieu de détention définitif.
Pour les seuls mois de janvier et février 1941, pas moins de 237 détenus sont répertoriés sur les registres d’écrou. Ces registres nous renseignent sur les chefs d’accusation qui sont retenus contre les prévenus. Arrivent en tête les « politiques » (98), pour la plupart communistes, puis les militaires « réfractaires à l’armée » (77) et enfin les militaires jugés pour délits de droit commun (62). Parmi les « politiques » les plus connus comparaissant devant le tribunal militaire de Périgueux, citons Léon Moussinac, Yves Péron (futur député de la Dordogne), Charles Joineau (secrétaire général de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes), Léon Bérody (cadre à la Confédération générale du travail unitaire et premier président de l’amicale du camp de Gurs) et Jacques Georges, frère du colonel Fabien, tous communistes.
Pour en savoir plus, lire sur ce blog : Léon Moussinac ou les tribulations d’un prisonnier politique (1940-1941)
Les transferts successifs vers Périgueux et son tribunal militaire contribuent à vider l’îlot B du camp de Gurs. Le 26 octobre 1940, une « situation d’effectif » relève la présence de 436 internés, soit 42,75 % des 1 020 présents le 21 juin 1940. Le 31 décembre 1940, un contingent de 113 détenus quitte Gurs pour le centre de séjour surveillé de Nexon (Haute-Vienne). On trouve parmi eux Daniel Renoult et Louis Lecoin. Ce dernier, pacifiste et anarchiste, s’est battu pour la mise en place du statut des objecteurs de conscience. Daniel Renoult, quant à lui, est un ancien journaliste de L’Humanité, conseiller général de la Seine sous étiquette communiste et futur maire de Montreuil. Bien que bénéficiant d’une mesure de libération à compter du 21 octobre 1940, il fait l’objet d’un internement administratif sur ordre du préfet des Basses-Pyrénées, Émile Ducommun, et reste en détention jusqu’au 19 juillet 1944. Il devra sa libération de la citadelle de Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence), où il se trouve alors incarcéré, à un coup de main des maquis FTP.
Pour en savoir plus : « Les Français internés à Gurs de juin à décembre 1940 »
Quel est le sort réservé aux détenus politiques ? Le 1er février 1941, le colonel Blasselle, commandant militaire du département de la Dordogne, s’adresse au commissaire du gouvernement près le tribunal militaire de Périgueux, lui demandant « de bien vouloir [lui] communiquer la liste de tous les individus accusés par le Tribunal Militaire de Périgueux, depuis le début de son fonctionnement, d’avoir commis : des actes de propagande révolutionnaire, distribution de tracts communistes… ». Sur une liste de 141 prisonniers politiques, il ressort que 16,31 % sont acquittés à l’issue de leur jugement, 56,74 % sont condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un an, et 26,95 % à une peine de 2 à 5 ans d’emprisonnement. Au nombre de 15, les femmes représentent 10,64 % de l’effectif. Toutes sont jugées pour activité communiste.
Formation d’une section spéciale puis dissolution du tribunal militaire
En application de la loi du 14 août 1941 réprimant l’activité communiste ou anarchiste, une section spéciale est créée au sein du tribunal militaire de Périgueux, section devant laquelle sont déférés les auteurs de toutes infractions pénales commises avec une intention d’activité communiste ou anarchiste. Le 6 janvier 1942, sur ordre du colonel Blasselle, Combalat, chef d’état-major de la 12e région militaire, établit une « liste nominative des individus accusés par le Tribunal militaire de Périgueux d’avoir commis des actes de propagande révolutionnaire, distribution de tracts communistes » : 23 jugements sont prononcés lors de la première séance, le 22 septembre 1941, 12 à la séance suivante, le 30 octobre, 10 autres à celle du 13 novembre. Ainsi, au cours du dernier trimestre de l’année 1941, la section spéciale du tribunal militaire de Périgueux juge 45 affaires, impliquant 17 femmes (37,78 %). Les juges condamnent 19 des « propagandistes communistes » à des peines de un à cinq ans de prison. Près du tiers des condamnations à des peines de prison concerne des femmes (31,58 %). Deux d’entre elles écopent de la peine maximale : cinq ans de prison. Des peines de travaux forcés de 10, 15 et 20 ans, jusqu’à perpétuité, résultent de 9 des jugements rendus. Les juges prononcent 16 acquittements (8 hommes et 8 femmes) et ordonne un jugement de dessaisissement.
En vertu de la loi du 15 octobre 1941 conférant aux préfets la police des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique, les détenus politiques internés à Mauzac font généralement l’objet, à l’issue de leur peine, d’une mesure d’internement administratif. Ils sont alors dirigés vers les camps de Saint-Paul-d’Eyjeaux et de Nexon, en Haute-Vienne, ou de Saint-Sulpice-la-Pointe, dans le Tarn.
La prison militaire de Paris repliée à Mauzac
Par télégramme du 6 novembre 1940, le commandant du camp de Gurs rend compte de la mise en route, à destination de Mauzac, des détenus de la prison militaire du camp, à savoir, « effectif 420 surveillants compris escortes 5 officiers 120 gradés et gardes ». Ils arrivent le 7 novembre, par le train de 14 h 44. Le lieutenant Gros prend le commandement de la « prison militaire de Paris repliée à Mauzac ». Il dispose de 17 sous-officiers d’encadrement dont 4 comptables et 13 surveillants. L’effectif est de 407 détenus, dont 60 condamnés.
Le 13 novembre 1940, le général Jeannel soumet à l’approbation du Secrétaire d’État à la Guerre l’organisation des prisons militaires suivante : « a) Le camp de Mauzac qui vient d’être aménagé pour 500 hommes recevrait les préventionnaires […]. b) L’usine désaffectée de la Perlerie, située près de Périgueux, à deux kilomètres du siège du tribunal militaire et d’une contenance de 50 hommes, servirait d’établissement de transition pendant l’instruction, de manière à éviter les déplacements quotidiens, préjudiciables à la bonne marche des affaires à instruire et très onéreux en essence, entre Mauzac et Périgueux, distants d’une cinquantaine de kilomètres. c) La prison de Nontron, qui contient 200 places, serait conservée pour loger les condamnés ; quelques cellules seraient conservées pour recevoir éventuellement les officiers. D’autre part, en ce qui concerne les femmes condamnées par le Tribunal militaire, il convient qu’elles soient dirigées pour purger leur peine sur des prisons civiles, qui seules sont aménagées pour garder des détenus du sexe féminin. ».
Le 10 décembre 1940, un décret ministériel spécifie qu’il n’est plus possible de continuer à placer des détenus militaires à la maison d’arrêt de Périgueux. En outre, il faut restituer au directeur de l’usine de la Perlerie son local réquisitionné. « Le fonctionnement du tribunal militaire en sera considérablement gêné, rétorque le colonel Blasselle, en admettant même qu’il reste encore possible. ». Dès le mois de janvier 1941, Blasselle souligne les difficultés que posent le transfert et la détention des prévenus militaires à Périgueux. Il évoque alors quatre cas de figure qu’il juge tous inacceptables. « Premièrement, transport des juges d’instruction au camp de Mauzac : impossibilité, résultant des contingences matérielles locales. Deuxièmement, transport du tribunal militaire à Mauzac : impossibilité, faute de salle d’audience et de délibération […]. Troisièmement, transfert à Périgueux des prévenus nécessaires à l’instruction ou à l’audience, avec prévision de retour à Mauzac : solution irréalisable, compte tenu des horaires des chemins de fer et des retards moyens observés sur les lignes intéressées ; accroissement considérable du service de la Gendarmerie déjà fort lourd d’où il résulterait de nouvelles dépenses ; retard certain dans la marche de l’instruction […] d’ailleurs les trains de retour n’existent que trois fois par semaine à des jours qui ne coïncident pas avec les jours d’audiences imposés au tribunal militaire. Quatrièmement, remplacement de “ La Perlerie ” : de grandes difficultés sont rencontrées ; partout la prospection se heurte à la réquisition civile des locaux pour des services (ravitaillement général, services municipaux, etc…) ». En conclusion, le colonel Blasselle réclame la mise à disposition d’un minimum de cinquante places à la maison d’arrêt de Périgueux, sachant qu’il s’agit là d’une mesure transitoire, « qui doit permettre la liquidation d’un passé n’ayant aucun rapport avec la 12e Division militaire, puisqu’il s’agit en fait d’individus qui, pour la plupart, en circonstances normales, auraient été traduits devant les tribunaux militaires de Paris ». À l’évidence, la question de l’implantation d’une prison militaire à Mauzac, éloignée des cours de justice siégeant à Périgueux, pose un réel problème aux autorités préfectorale, militaire et policière.
Dissolution du tribunal militaire
Le 1er décembre 1942, le Secrétaire d’État à la Guerre scelle par décret le sort du tribunal militaire de Périgueux : « Article 1er. – Les tribunaux militaires permanents des 12e [Périgueux], 13e, 14e, 15e, 16e et 17e divisions militaires sont supprimés. Article 2. – Il est institué pour l’ensemble de la zone non occupée trois tribunaux militaires permanents ayant respectivement leur siège à Toulouse, Clermont-Ferrand et Lyon. […] Article 4. – Les procédures en cours devant [le T.M de Périgueux] seront portées dans l’état où elles se trouvent devant le tribunal militaire permanent de Clermont-Ferrand ».
Peut-on esquisser un bilan au plan national ?
Au 1er octobre 1943, les prisonniers détenus dans les prisons militaires de la métropole sont au nombre de 925, répartis dans sept prisons qui sont, par ordre d’importance au plan de l’effectif : Mauzac, Nontron, Vancia (près de Lyon), Bergerac, Villefranche-de-Rouergue, Clermont-Ferrand et Toulouse. Jusqu’à la fin de la guerre, les prisons militaires du département de la Dordogne fonctionnent sous commandement français.
La forte concentration de prisons en Dordogne pendant la guerre – Périgueux, Bergerac, Nontron et Mauzac – explique sans doute la raison pour laquelle ce département, fort d’une incontestable tradition pénitentiaire, compte aujourd’hui deux centres de détention importants : Mauzac et Neuvic, ainsi qu’une ancienne maison d’arrêt, située en plein centre de Périgueux, place Belleyme.
Cet article a fait l’objet d’une publication dans la revue Arkheia n° 21, en 2009.
Très intéressant, merci beaucoup pour cet article.