« Prisonniers de guerre français dans l’industrie de guerre allemande (1940-1945) »

Étude sur les prisonniers de guerre français pendant la Seconde Guerre mondiale, déportés en Allemagne et employés dans l'industrie de guerre allemande

Livre « PRISONNIERS DE GUERRE DANS L’INDUSTRIE DE GUERRE ALLEMANDE (1940-1945) » de Christophe Woehrle

Sur le site de l’éditeur : Bon de commande téléchargeable

Quelles sont les conditions de captivité des prisonniers de guerre français dans une ville industrielle allemande, devenue dès 1943 la cible des bombardements alliés ? En analysant les structures administratives des commandos de travail, à partir de documents d’archives et de témoignages provenant des deux côtés du Rhin, se dessine la façon dont l’administration nazie a réussi à créer un système élaboré permettant le contrôle et le fonctionnement de la main-d’œuvre, de la captivité et sa supervision en temps de guerre.
Comment la société française d’après-guerre a-t-elle considéré les prisonniers de guerre à leur retour de captivité ? Les prisonniers de guerre n’ont toujours pas trouvé de place dans la mémoire collective. La société française d’après-guerre a besoin de faits héroïques pour refonder la nation, les prisonniers de guerre ne sont pas ces héros. Ils restent encore aujourd’hui les victimes oubliées de la Seconde Guerre mondiale.

Prisonniers de guerre dans l’industrie de guerre allemande (1940-1945)
Christophe Woehrle, Éditions Secrets de Pays, ISBN 978-2-9560781-8-0, octobre 2019, 336 pages, 160 x 240, 22 €

Présentation de l’éditeur

Mai-Juin 1940, Hitler adopte la stratégie du Blitzkrieg (la Guerre éclair). L’armée allemande déferle sur l’ouest de l’Europe, capturant au passage près de deux millions de soldats français. Leur seul espoir : l’Armistice, synonyme de libération et de retour dans leurs foyers…
Dans cet ouvrage, Christophe Woehrle traite la question du travail des prisonniers de guerre français dans l’industrie de guerre allemande et s’intéresse à leur vie quotidienne. Il s’agit de comprendre, par l’analyse d’un commando de travail industriel d’une ville de Bavière, comment se met en place le plan de Fritz Sauckel, surnommé « le négrier de l’Europe ». L’historien retrace le parcours de soldats qui ont subi et construit l’évènement.
Grâce à sa maîtrise de l’allemand et à ses compétences d’universitaire français en Allemagne, Christophe Woehrle a réalisé un travail de recherche approfondi et novateur. Il s’est appuyé sur des fonds d’archives situés de part et d’autre du Rhin, exploitant des documents exceptionnels, jamais encore consultés.

Jaquette du livre « Prisonniers de guerre français dans l'industrie de guerre allemande (1940-1945) », Christophe Woehrle, les éditions Secrets de Pays, Beaumontois-en-Périgord, 2019.

Table des matières :

Introduction, 7
Le poids des mots : la catégorisation de la main-d’œuvre française dans l’économie du Reich, 17
Organisation du système des camps de prisonniers militaires sur le territoire français et dans le Reich, 23
Du Frontstalag au Kommando. Étude de la période entre la capture et l’arrivée en Allemagne au sein des détachements de travail, 37
Conditions de vie des prisonniers de guerre français dans les commandos de travail industriel en Bavière :
Nourriture, 59
Logement, 67
Travail, 79
Salaire, 88
Lettres et colis, 93
Système de santé et décès en captivité, 105
Loisirs, croyances et études, 115
Retours anticipés, 122
Transformation, 133
Relations avec des prisonniers de guerre, 139
Bombardements, 153
Refus de travail et sabotages, 162
Évasions, 169
Retour au pays et après-guerre, 175
Postface, 183
Annexes :
Notices biographiques, 187
Documents, 290
Sources bibliographiques, 295
Iconographie, 303
Notes, 315
Remerciements, 334

Introduction :

Voici une étude sur la captivité des prisonniers de guerre français dans l’industrie du Reich. Après-guerre, le sort des prisonniers de guerre n’est que très rarement abordé par l’historiographie et ce n’est que dans les années 1980 que le phénomène est considéré dans sa globalité par les historiens, préoccupés jusqu’alors par d’autres sujets : la débâcle de 1940, la collaboration et le régime de Vichy, la Résistance française, les procès des dignitaires nazis et l’Holocauste. La catégorie des requis du Service du Travail Obligatoire (STO), à laquelle les prisonniers de guerre n’appartiennent pas, a connu un regain d’intérêt dans les années 2000 à cause de la polémique sur la notion de déportés du travail. Cette recherche s’attache à définir le plus précisément possible les différentes catégories de Français envoyés en Allemagne pour servir l’économie et la production du Reich.

Iconographie du livre de Christophe Woehrle : "Prisonniers de guerre dans l'industrie de guerre allemande (1940-1945)

Lorsqu’en 1967, Pierre Gascar édite un livre sur la captivité, l’accueil n’est que limité. Il n’y a, dans la mémoire collective de cette époque, pas encore de place pour ceux que l’on considère alors comme les perdants de 1940. La Résistance et les personnages, tels que Jean Moulin ou le général de Gaulle, occupent l’espace mémoriel. Le nom de Jean Moulin résonne encore aujourd’hui aux oreilles des plus jeunes, mais combien de nos jeunes concitoyens savent que François Mitterrand avait été prisonnier de guerre ? Les travaux de Gascar restent dans l’ombre et sont ignorés du grand public.

C’est seulement en 1980, lorsqu’Yves Durand publie en collaboration avec la Fédération nationale des combattants prisonniers de guerre des témoignages d’anciens prisonniers de guerre sur leur captivité lors de la Seconde Guerre mondiale, que la curiosité de l’opinion et de la société française est éveillée au sort de ces personnes. Le travail d’Yves Durand est encore aujourd’hui la référence sur le sujet dans l’historiographie française. En Allemagne, on observe le même phénomène aux mêmes moments. En 1968, Hans Pfahlmann publie son livre sur les travailleurs étrangers et prisonniers de guerre dans l’économie de guerre allemande qui, comme celui de Gascar, ne rencontre pas un vif succès.

Par contre, les travaux d’Ulrich Herbert publiés sur les travailleurs étrangers en 1985 éveillent, comme pour Durand, un intérêt tout à fait particulier auprès de la population. Comme pour son homologue français, ses travaux sont toujours considérés comme une référence. Depuis, de nombreuses publications ont eu pour thème l’utilisation de main-d’œuvre étrangère dans le Reich allemand lors de la Seconde Guerre mondiale. Le phénomène n’est plus étudié sous l’aspect global mais par des études plus ciblées et plus régionales. Toutefois, ces travaux sont menés par des historiens allemands et ne reflètent qu’une vision autocentrée de la question. Mais surtout, la catégorie des prisonniers de guerre y est majoritairement mêlée aux autres catégories de main-d’œuvre.

En dehors du travail portant sur la ville de Brême d’Helga Bories-Sawala, qui a également mené ses investigations hors des frontières allemandes et sur le territoire français, les publications bilingues ou binationales sur le sujet de la captivité dans les bibliographies françaises ou allemandes ne sont pas courantes. Il est tout à fait intéressant de remarquer que depuis les années 1980, après les travaux d’Ulrich Herbert, s’est développée une terminologie particulière à la captivité et à la main-d’œuvre étrangère. En effet, le mot Zwangsarbeiter est de plus en plus utilisé dans la littérature allemande pour désigner toutes les personnes envoyées en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale et mises au travail dans le Reich, en dehors, bien entendu, des volontaires.

Dans les publications antérieures à celles d’Herbert, comme celles de Pfahlmann par exemple, la différence entre main-d’œuvre étrangère et prisonniers de guerre est parfaitement balisée et reconnaissable. Ulrich Herbert n’a pas utilisé dans le titre de ses publications le mot Zwangsarbeiter et préfère désigner la majorité des étrangers soumis au travail dans le Reich par le terme Fremdarbeiter.

Alors que la Seconde Guerre mondiale n’a pas encore connu son épilogue, le phénomène de la captivité est déjà traité par la littérature et ses conséquences ont été étudiées. La plupart des récits et témoignages sont rédigés par les prisonniers de guerre eux-mêmes. Tout comme les Français requis pour le STO, certains prisonniers de guerre entreprennent d’écrire leurs mémoires dès la fin de la guerre. Il s’agit pour la majorité de biographies, de récits de captivité, d’études ou de réflexions sur les conséquences de la captivité et des analyses politiques ou de stratégie militaire. La plupart des publications ne considère pas la captivité dans son ensemble mais l’aborde plus ou moins de façon parcellaire. Ce phénomène se constate dans la majorité des éditions traitant du régime de Vichy.

Entre 1940 et 1953, les éditeurs français publient 153 récits de prisonniers de guerre. En rapport au nombre de prisonniers de guerre qui s’élève à 1 800 000 soldats français, seuls 0,01 % ont été publiés. Ceci peut s’expliquer par le fait qu’il faille considérer les récits de prisonniers en deux catégories : la catégorie des textes publiés qui représente la moindre partie des textes rédigés puis publiés par un éditeur et les textes rédigés pour un cercle restreint, qui n’ont jamais été écrits dans le but de sortir du cadre familial. Sur un seul commando de travail de 711 prisonniers de guerre de la ville industrielle de Schweinfurt, six récits jamais publiés ont été retrouvés, soit 100 fois plus que la moyenne totale. Il est donc probable que de nombreux témoignages aient été écrits par des prisonniers de guerre et dorment encore dans des boites à chaussures ou une malle remisée dans un grenier.

Pour mener ce travail sur les prisonniers de guerre dans l’industrie du Reich, il était essentiel de pouvoir accéder à la totalité des archives d’une entreprise allemande. Après la guerre, une majorité d’entreprises a fait, volontairement ou non, table rase de son passé et les archives souvent perdues ou détruites ne permettent plus de considérer l’époque sombre du point de vue interne. D’autres entreprises, encore gênées par leur passé, préfèrent ne pas divulguer ce qu’elles conservent dans leurs fonds.

Dans le cadre d’un accord d’entreprise, en été 2013, un accès à la totalité des archives de l’entreprise dans laquelle ont évolué les prisonniers de guerre considérés dans cette étude, a été obtenu. Centre industriel important en temps de guerre, la ville de Schweinfurt et les firmes Kugelfischer, SKF, Star et Fichtel & Sachs qui y avaient leurs productions, rayonnaient dans le monde entier. Fondée en 1895 par Ernst Sachs et Karl Fichtel, la Société Fichtel & Sachs s’est spécialisée dans la fabrication de roulements à billes et a, vers la fin des années 1920, atteint le 1er rang mondial de la production de ces derniers. Avec l’emploi de 711 prisonniers de guerre français, l’entreprise bavaroise reste toutefois un utilisateur moyen de cette main-d’œuvre lors de la Seconde Guerre mondiale. L’accès aux archives a permis de retrouver la trace de la totalité des prisonniers de guerre soumis au travail dans cette entreprise, d’entrer en contact avec des descendants et de considérer l’histoire de ce détachement industriel du point de vue de l’entreprise.

Bâtiments administratifs de la Société Fichtel & Sachs en Bavière, collection Christophe Woehrle

Les six récits, jamais publiés, découverts chez les descendants de prisonniers de guerre de ce commando de travail, sont pris en considération dans cette étude car ils traitent directement du quotidien de ce détachement industriel. Ces éléments exclusifs viennent étayer les travaux présentés dans ce livre :

• Le récit d’Émile Gendrin est le plus complet et le plus précis. Il présente l’avantage de couvrir une période allant de juin 1940 à mai 1942. Il raconte avec force détails les conditions de sa captivité durant cette période. Il faut toutefois prendre en considération le fait que ce prisonnier de guerre est rapatrié en 1942 et que son récit ne couvre donc que la période du début de la guerre. Les STO n’y sont pas évoqués étant donné que ces derniers n’arrivent qu’après 1942 sur le sol allemand. Il faut également avoir à l’esprit que l’engagement politique de cet homme, après la guerre, a eu un impact certain sur la rédaction de ses mémoires rédigées tardivement.

• L’histoire racontée par Pierre Julien est structurée différemment car elle répond à un récit thématique. Rédigé en 1994, soit plus de 55 ans après les faits, ce texte atteste de la volonté de son rédacteur de laisser un témoignage à l’un de ses neveux. L’intérêt majeur de son témoignage réside dans le fait que ce prisonnier de guerre a passé une très longue période en captivité au sein du commando Fichtel & Sachs. Il décrit précisément les travaux accomplis aux différents postes occupés dans l’entreprise et la manière dont il est traité avec ses camarades français, par rapport à d’autres catégories de travailleurs étrangers. Son récit traite en particulier de la drôle de guerre, de la captivité, du travail, des relations avec les femmes et les autres catégories de travailleurs et permet de porter un regard sur le quotidien au sein de l’entreprise Fichtel & Sachs. Le fait que sa rédaction soit si tardive oblige à ne considérer que les éléments factuels du récit.

Louis Beilvert a laissé un témoignage oral enregistré en 2009 par l’historienne Sylvie Le Got. Depuis son retour de captivité, cet homme ne s’est jamais exprimé sur sa captivité et lorsqu’il le fait, il demande que l’enregistrement ne soit publié qu’après son décès. Ses récits à propos du Frontstalag 124 de Troyes, puis de la localité de Gochsheim en Bavière, sont déterminants.

Aimé Philipponneau a tenu un carnet de notes de 1939 jusqu’à sa libération anticipée le 3 mars 1942. Ce petit document donne de nombreuses informations sur les étapes de la captivité, depuis la capture jusqu’à l’arrivée au commando Fichtel & Sachs. D’autres notes renseignent sur le salaire, d’autres camarades de captivité et les différents postes occupés au sein de l’usine.

Germain Porte a rédigé sa propre biographie il y a quelques années. La partie qui traite de la captivité, conservée par son fils, concerne son séjour en Bavière et les conditions de sa captivité dans la ville de Schweinfurt.

• Lorsque Jean Rougié rentre de captivité, en 1943, des membres de la famille de prisonniers de guerre restés sur place lui demandent de décrire les conditions de la captivité, afin de se faire une idée du quotidien des leurs, restés en Allemagne. Il se met à l’ouvrage et rédige une « Étude sur la vie des prisonniers ». Ce document de quatre pages est écrit avec la volonté de rassurer les parents de ces captifs, ce qui ne peut être occulté dans l’analyse.

• Enfin, un autre cahier de notes, celui d’André Vimeux, vient compléter le corpus documentaire de récits non publiés utilisés dans cette étude. Un document d’une grande importance pour saisir l’essence de la captivité et qui est, de plus, écrit au jour le jour.

Lors des recherches menées chez les descendants, des correspondances complètes entre les prisonniers de guerre et leurs familles ont été découvertes. Certaines correspondances courent du début de la drôle de guerre jusqu’à l’armistice, d’autres ne couvrent que la période de captivité. Certaines traitent de la captivité au sein de la firme Fichtel & Sachs, d’autres encore abordent d’autres lieux et d’autres entreprises.

Il est évident que cet échange épistolaire constitue une source majeure pour l’historien, car il permet d’entrer dans la dimension émotionnelle du prisonnier de guerre. Malgré cela, ces sources doivent être traitées avec la plus grande prudence, du fait de la censure dont elles font l’objet et de l’obligation faite aux prisonniers de guerre d’être prudents avec le contenu de leurs lettres, au risque que celles-ci ne parviennent jamais à leurs destinataires. Il est à constater que certains prisonniers ont développé une technique de dissimulation pour faire passer des messages que les prescriptions interdisent. Mais les aspects négatifs de leur captivité ne sont quasiment jamais abordés ou avec une grande prudence. Dans un cas en particulier, la correspondance du prisonnier est accompagnée de son journal intime, ce qui permet d’évaluer dans quelle mesure il a fait passer les messages les plus importants de sa captivité.

Collection famille Carette - Christophe Woehrle

Toutes ces archives conservées dans le cercle familial ne peuvent être considérées seules et doivent être confrontées aux archives officielles. C’est au sein de la Division des Archives des Victimes des Cnflits Contemporains de Caen (DAVCC) que sont conservées les informations personnelles des captifs. Ces documents traitent du parcours militaire complet des 711 prisonniers de guerre soumis au travail chez Fichtel & Sachs. Ils permettent de comprendre comment fonctionnent l’administration et l’organisation des camps. Grâce à l’élaboration d’un fichier des prisonniers de guerre par les autorités françaises, il est possible de suivre le déroulement de la captivité de ces hommes et les différents camps par lesquels ils ont transité. Ce fichier permet également d’entrevoir l’organisation minutieuse du Reich, la répartition des prisonniers de guerre sur tout le territoire et les différentes formes de camps, aussi bien dans les territoires occupés, qu’en Allemagne. En outre, ces documents personnels donnent de précieuses informations sur l’origine et le statut social des prisonniers de guerre, leur grade et leur situation familiale, ils permettent également d’évaluer l’état de santé de ces milliers de soldats à leur retour de captivité.

Les documents retrouvés dans les archives de la firme Fichtel & Sachs sont essentiels pour la compréhension de l’organisation et de la création des commandos de travail. La plupart des archives des services du travail allemands ont été détruites lors du conflit, ce qui rend ardue, voire impossible, toute tentative de reconstituer la composition d’un tel commando de travail. Grâce aux archives internes de l’entreprise, recoupées avec celles de l’International Tracing Service (ITS) de Bad Arolsen, il a été possible, avec précision, de recomposer la totalité de l’effectif du commando de travail Fichtel & Sachs. Les documents de la société ne traitent pas uniquement des prisonniers de guerre en tant qu’individus, ils comportent également des rapports, protocoles, décrets et mesures prises par les autorités de l’État ou de l’entreprise elle-même, ainsi que des échanges épistolaires entre l’entreprise et les autorités compétentes pour la gestion des prisonniers de guerre.

Une partie des recherches a été menée dans les archives communales de la ville de Schweinfurt et dans deux dépôts d’archives du Land de Bavière. Les archives communales ne conservent pas uniquement des fonds sur les prisonniers de guerre français, mais également sur les travailleurs étrangers présents dans la ville. Ces archives apportent une vision globale des différentes catégories de travailleurs dans l’économie de la ville et permettent de constater dans quelle mesure ces différentes catégories se différencient ou ce qu’elles ont en commun. Aux archives du Land de Wurtzbourg sont conservés les fonds de la Gestapo concernant les étrangers ainsi que les ouvriers allemands présents chez Fichtel & Sachs, poursuivis par la police secrète. Aux archives du Land de Bamberg sont conservés les actes du tribunal d’exception de la ville qui traite les affaires de mœurs et particulièrement les relations, interdites par le régime nazi, entre les prisonniers de guerre et les femmes allemandes. L’analyse de ces archives permet de considérer un sujet rarement abordé, celui des contacts entre la population allemande et les étrangers. Pour finir, les archives militaires de Fribourg-en-Brisgau conservent les actes du haut commandement de l’armée allemande et des différents ministères du Reich, des directives des services de l’armement, des rapports quotidiens, règlements et statistiques concernant la captivité. La mise en perspective des documents administratifs avec les témoignages est un préalable incontournable pour une analyse objective et complète du phénomène de la captivité.

Léon Laine, prisonnier de guerre français déporté en Allemagne

De nombreuses rencontres avec des proches de prisonniers de guerre ont permis d’étudier la façon dont s’est faite la transmission du vécu de la captivité. Afin de permettre cette étude, il a été établi un questionnaire à l’attention des familles et proches de prisonniers de guerre qui est adressé à plusieurs dizaines de contacts. De nombreuses entrevues ont été menées avec des membres de familles de prisonniers de guerre. Ainsi il a été possible de rencontrer le fils d’un prisonnier de guerre français et d’une femme allemande. Son témoignage est d’une importance capitale dans la compréhension des relations d’alors entre Français et Allemands. Les relations entre ces deux catégories restent depuis la fin du conflit un sujet tabou, mais si l’on considère le nombre d’enfants nés en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale qui sont à la recherche de leur père étranger, il faut admettre que le phénomène n’a rien de marginal. La rencontre avec un prisonnier de guerre est un élément déterminant de ce travail. Celui-ci a partagé une partie de sa captivité avec les membres du commando de travail de Fichtel & Sachs. Du Frontstalag et jusqu’à son arrivée au Stalag XIII C d’Hammelburg, il a vécu le quotidien de ses camarades avant que ces derniers ne soient transférés vers le commando industriel de Fichtel & Sachs, et que lui, en raison de son statut d’agriculteur, rejoigne le commando de Dertingen. Son témoignage permet de mieux appréhender le statut de prisonnier de guerre et son quotidien.

Deux questions essentielles ont constitué le fil conducteur de cette étude : quelles sont les conditions de captivité des prisonniers de guerre français lors de la Seconde Guerre mondiale dans une ville industrielle allemande, devenue dès 1943 la cible prioritaire des bombardements alliés ? Comment la société française d’après-guerre a-t-elle considéré les prisonniers de guerre après leur retour ?

La catégorisation des travailleurs étrangers par une présentation succincte doit permettre au lecteur de comprendre que les Français envoyés en Allemagne pour travailler lors de la Seconde Guerre mondiale ne font pas partie d’une seule et même catégorie. Alors que l’histoire ignore le sujet de la captivité et que la société française se préoccupe d’autres pans de son histoire, les différentes catégories de travailleurs envoyés en Allemagne se livrent, après la guerre, à une bataille juridique sans concession pour défendre les particularités de leur statut.

En 2008, un décret du ministre de la Défense, en accord avec les anciens combattants, est publié et définit clairement les catégories de Français qui ont été envoyés en Allemagne. Les historiens ne peuvent ignorer l’importance des mots et risquer de donner aux victimes le sentiment de n’être pas considérées ou comprises. La catégorisation des travailleurs français ne supporte aucune simplification même si celle-ci permet une meilleure compréhension du sujet. Il s’agit de respecter l’honneur de chacun en le considérant individuellement dans la catégorie des victimes desquelles il se sent personnellement le plus proche. Cela l’aide à surmonter l’épreuve qu’il a partagée avec eux. Ces hommes et ces femmes sont rentrés vivants de la guerre dans leur pays, vivants mais pas indemnes.

L’analyse systématique des mouvements des prisonniers de guerre au sein du commando de travail Fichtel & Sachs de Schweinfurt permet de comprendre le fonctionnement d’un camp, en France ou dans le Reich. La mise en place des commandos de travail a également été étudiée. Cette étude a permis aussi de répondre aux questions d’organisation et de comprendre les raisons pour lesquelles un prisonnier de guerre est affecté à un commando agricole plutôt qu’à un commando industriel. Très rapidement, il a été constaté que le commando industriel de Fichtel & Sachs se compose de nombreux agriculteurs. Le recrutement formant ce commando a été analysé et apporte des éléments fondamentaux à la compréhension du sujet. Des documents jusqu’alors inexplorés ont permis de reconstituer nombre de commandos de travail de la treizième région militaire, de laquelle dépend le Stalag XIII C d’Hammelburg, et les listes de prisonniers de guerre détachés dans la ville de Schweinfurt.

En analysant les structures administratives des commandos de travail se dessine la façon dont l’administration nazie a réussi à créer un système élaboré permettant le contrôle et le fonctionnement de la main-d’œuvre, de la captivité et sa supervision en temps de guerre.

En outre, il est intéressant de considérer l’influence et la capacité d’acteurs internationaux comme la Croix-Rouge internationale, les États-Unis en tant que force neutre d’observation, à faire pression sur le régime national-socialiste à propos des conditions de traitement des prisonniers de guerre, des entorses faites aux conventions de Genève ou au contraire de constater leur observation, particulièrement pour les prisonniers de guerre des pays de l’ouest.

Étude sur les prisonniers de guerre français pendant la Seconde Guerre mondiale, déportés en Allemagne et employés dans l'industrie de guerre allemande.

Expertise graphologique menée par la Gestapo sur les suspects de sabotage.
Archives du Land de Schweinfurt, Gestapo, 18924.

Grâce aux témoignages, lettres, archives, journaux intimes trouvés chez les descendants ou dans les nombreux fonds d’archives, le quotidien et les conditions de vie du commando de travail Fichtel & Sachs sont abordés sous divers aspects tels que le logement, les conditions de travail, les transferts, la nourriture, la correspondance, la maladie, la mort, la discipline, les punitions, le temps libre, les libérations, les évasions, les sabotages, les refus de travail, les bombardements, les relations avec la population allemande et avec les autres catégories de travailleurs étrangers ou français. L’histoire du quotidien est ainsi proposée au lecteur.
Le retour de la captivité, la transmission des sentiments individuels et du ressenti personnel sont également abordés. Dans un pays comme la France, où la culture de la mémoire et la question identitaire jouent un rôle essentiel, les prisonniers de guerre de la Seconde Guerre mondiale n’ont toujours pas trouvé de place dans la mémoire collective.
La société française d’après-guerre a besoin de faits héroïques pour refonder la nation, les prisonniers de guerre ne sont pas ces héros. Ils restent encore aujourd’hui les victimes oubliées de la Seconde Guerre mondiale.

Portrait de Christophe Woehrle

Christophe Woehrle © photo Michel Koebel

L’auteur…

Docteur en histoire contemporaine de l’université de Bamberg, en Allemagne, Christophe Woehrle est membre du comité du Souvenir Français de Clairvivre.

Spécialiste de la captivité des prisonniers de guerre français lors de la Seconde Guerre mondiale, il est l’auteur d’un livre paru en août 2019 aux éditions Secrets de Pays : La cité silencieuse, Strasbourg – Clairvivre (1939-1945).

En mai 2019, Christophe Woehrle a également coordonné et organisé un colloque à Herrlisheim-près-Colmar, intitulé : Stolpersteine – Présence juive en Alsace – Devoir de mémoire« . Publication aux éditions Secrets de Pays (mai 2020).

Ces trois livres sont disponibles et peuvent être commandés sur le site de l’éditeur : Bon de commande téléchargeable.

Pour consulter le site de Christophe Woehrle, c’est ici : www.prisonniersdeguerre.com

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