Le nouveau centre de détention de Mauzac : « Club Med » ?
Par Jacky Tronel | lundi 24 juillet 2017 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | 1 CommentaireInvité le 19 juillet 2017 par Mme Caroline San-Nicolas, directrice du Centre de détention de Mauzac (Dordogne), l’architecte Christian Demonchy est venu parler du modèle de la « prison expérimentale » construite de 1984 à 1986 et auquel il a participé avec Noëlle Janet.
Il a rappelé les objectifs du projet initié par Robert Badinter, alors garde des Sceaux, et a dressé un bilan très en demi-teinte de cette expérience unique, jamais renouvelée.
La genèse du projet de Mauzac
En 1984, désireux d’étendre son parc pénitentiaire, le ministère de la Justice lance un appel à concours dont le contenu est ambitieux et original. Original car, désireux de renouveler le genre, le ministère s’adresse à des architectes n’ayant jusque-là jamais construit de prison. C’est ainsi que l’agence parisienne d’architecture Noëlle Janet – Christian Demonchy est sollicitée, à la surprise des deux architectes dont l’activité principale est la création de villages de vacances. Trois agences concourent, et c’est l’agence Janet-Demonchy qui l’emporte, suscitant au passage quelques remarques ironiques. Une fois le projet connu puis réalisé, le centre de détention est qualifié par ses détracteurs de « Club Med » et de « prison 4 étoiles »…
Le cahier des charges
La question posée – celle qui se trouvait au cœur du projet – est la suivante : comment va-t-on faire vivre les détenus et le personnel à l’intérieur de la nouvelle prison ? Christian Demonchy explique que la problématique est très proche de celle que lui et son associée se posaient quand ils travaillaient à la conception d’un village de vacances : comment organiser la vie 24 h./24 dans un espace délimité – et sur le temps long – tout en privilégiant le libre accès aux différentes activités proposées aux résidents.
Le programme se présente sous la forme d’un document d’orientation résumant la philosophie du projet puis le mode de fonctionnement envisagé, et indiquant les surfaces… Ce programme, commandé par Badinter, est le fruit d’une réflexion menée par des directeurs de centres pénitentiaires, des psy ainsi que des architectes ayant visité un certain nombre de prisons, tant en France qu’en Europe.
« La prison de demain »
En 1972, l’une des inflexions apportées à la politique pénitentiaire répressive en usage concerne l’abrogation de la règle du silence. Jusqu’alors, les détenus enfermés, privés de tout moyen de communication, n’avaient aucune vie sociale. Ils devaient faire pénitence, s’amender en silence. On attendait d’eux qu’ils « purgent leur peine ».
Christian Demonchy se souvient avoir eu entre les mains un rapport d’une quarantaine de pages intitulé : « La prison de demain ». Dans ce rapport de 1974, la question de l’organisation d’une vie sociale en milieu carcéral était déjà évoquée.
« Dix ans plus tard, explique l’architecte, le programme de Mauzac naît de l’idée qu’il faut permettre une unité de vie globale pour 252 personnes, se décomposant en unités plus petites : des pavillons pour 12 détenus ainsi que des unités de travail, c’est-à-dire des ateliers dotés chacun d’un réfectoire. Je déteste l’expression “prison-modèle” poursuit Christian Demonchy. Ce que je trouve intéressant, c’est la question que l’on s’est posée à l’époque, plus que la réponse qu’on lui a apportée. Il faut bien comprendre que la peine de prison ne consiste pas seulement en une privation de liberté. C’est aussi une privation de ressources. Elle provoque la rupture de la vie sociale qu’avait le détenu avant d’entrer en détention, rupture familiale, professionnelle, rupture avec les amis… On leur impose une autre vie sociale. C’est donc nous qui fabriquons leur peine… et non pas eux qui font leur peine ! »
« Cette expérience n’a servi à rien ! C’est mon regret… »
De 1986 à 1988, Albin Chalendon est garde des Sceaux. La politique en matière pénale est réorientée et prend une tournure plus sécuritaire. Face au problème aigu de la surpopulation carcérale, le ministre obtient l’accord du gouvernement pour la construction de 25 établissements neufs qui ouvrent entre 1990 et 1992, programme de construction connu sous le nom de programme 13 000 ou programme Chalandon.
« Le modèle de Mauzac est alors passé à la trappe, regrette Christian Demonchy. Il n’y a eu aucune analyse critique objective de ce centre. Et puis, par rapport au projet initial qui prévoyait le venue de détenus en fin de peine (inférieure à 5 ans) ainsi que la fermeture de l’ancien camp, Mauzac est devenu un centre de recrutement national pour délinquants sexuels condamnés à de longues peines [80 % de l’effectif carcérale est concerné]. Et on a dit que le modèle convenait pour cette population réputée calme… et qu’avec Casabianda en Corse, deux centres étaient suffisants. »
L’architecte est étonné qu’aucun sociologue ne se soit intéressé à l’expérience de Mauzac et qu’aucune étude – à sa connaissance – n’ait été menée. Il trouve également surprenant que l’on reparle aujourd’hui des « unités de vie familiales » [studio meublé, séparé de la détention, où la personne détenue peut recevoir sa famille dans l’intimité] comme d’une nouveauté, alors que le programme de Mauzac le prévoyait dès 1984.
La question financière est également abordée. Il est très difficile de comparer les deux modèles car il faut tenir compte non seulement du coût de la construction mais aussi du coût de la maintenance et de celui du personnel. Par rapport au modèle cellulaire qui est vertical, le modèle de Mauzac lui est horizontal, ce qui bien sûr a une incidence sur le prix du foncier. Cela mis à part, le prix au m2 serait moins élevé à Mauzac, alors que ramené à la place, le coût de revient serait sensiblement plus élevé.
La rénovation de l’ancien centre de Mauzac
Créé en 1939 pour servir de cantonnement aux ouvriers réquisitionnés en vue de la construction d’une poudrerie, puis devenu annexe de la prison militaire de Mauzac pendant l’occupation (camp Nord, situé à deux kilomètres, au lieu-dit Sauvebœuf, commune de Lalinde), l’ancien centre a, pour sa part, été entièrement reconstruit suite à un incendie ayant causé la mort d’une personne détenue, en 2003. « L’ancien camp est alors détruit pour être rebâti, à l’exact opposé de ce qu’il était, sans s’inspirer non plus de son voisin pavillonnaire. Le bâtiment A (80 cellules) a ouvert en 2005, le bâtiment B (39 cellules) en 2008. L’enceinte s’accompagne d’un grillage, de concertina et d’un bardage en métal qui bloque la vue sur l’extérieur. Le régime de détention est très critiqué pour ses différences avec le nouveau centre : installations matérielles plus vétustes, déficit d’équipements sportifs, peu d’activités, ou encore “manque d’hygiène et d’intimité dans les parloirs”, comme l’expliquait à l’OIP un détenu en avril dernier. » [Source : journal Dedans/Dehors, publication trimestrielle de la section française de l’Observatoire international des prisons, Paris, décembre 2015, article en ligne sur le site Mediapart].
La directrice du centre de détention de Mauzac exprime le regret qu’il n’y ait pas eu plus de concertation lorsque s’est posée la question de la rénovation de l’ancien centre. Elle s’étonne qu’il n’ait pas été fait appel à l’expertise de Christian Demonchy afin de poursuivre le modèle mis en place en 1986, voire même de l’améliorer, tenant compte de l’expérience acquise au cours de ces trente dernières années…
Conclusion de Christian Demonchy
Non, Mauzac n’est pas « une prison ouverte », ce n’est pas non plus « une prison 4 étoiles », même si c’est la perception qu’en ont certains, vu de l’extérieur. C’est une vraie prison !
« Les questions fondamentales qu’il faudrait se reposer, c’est : quelle vie sociale on souhaite imposer aux détenus ? Quelle peine on souhaite leur infliger ?… C’est aux citoyens d’apporter les réponses. »
Pour en savoir plus sur l’Histoire de l’architecture carcérale, retrouvez l’entretien vidéo de Christian Demonchy enregistré le 17 décembre 2008, visible sur le site Criminocorpus (collection Philippe Zoummeroff) : lien
Photos aériennes © Jacky Schoentgen.
[…] Par Jacky Tronel | lundi 24 juillet 2017. Pour en savoir plus lire le billet publié sur le site Prisons-cherche-midi-mauzac […]