Bref historique de la prison militaire de Bordeaux (1842-1947)

Jusqu’en 1842, les militaires condamnés par les conseils de guerre de la place de Bordeaux sont emprisonnés au Fort du Hâ. En 1875, le ministère de la Guerre rachète les bâtiments de l’ancienne gare de Ségur, rue de Pessac, les transforme, y installe un tribunal, une prison et une caserne connue sous le nom de « Caserne Boudet ».

Bordeaux, l'ancienne gare de Ségur, siège du conseil de guerre, de la prison militaire et de la caserne Boudet

L’ancienne gare de Ségur, siège des conseils de guerre et de la prison militaire de Bordeaux. Coll. J. Tronel.

La prison militaire de Bordeaux de 1842 à 1926

Alors qu’un premier conseil de guerre siège à Bordeaux dès la fin du XIXe, il faut attendre
le 3 novembre 1842 pour qu’une prison militaire ouvre dans la ville préfecture de la Gironde, ainsi qu’en témoignent les premiers registres d’écrou conservés au Service historique de la Défense. Le 10 novembre 1875, le ministère de la Guerre se porte acquéreur des bâtiments de la rue de Pessac. Il s’agit de l’ancienne gare de Ségur, toute première gare de Bordeaux dont la ligne ferroviaire desservait les établissements balnéaires d’Arcachon, avant de fermer pour non rentabilité.

La nouvelle prison militaire de Bordeaux, connue également sous le nom de « Prison de la Caserne Boudet » s’installe peu après et fonctionne ainsi jusqu’au mois de décembre 1926, date de sa première dissolution (dépêche ministérielle n° 19627 2/10 du 14 décembre 1926). Les prisonniers sont alors transférés vers la prison civile de la ville, au Fort du Hâ.

La question reste posée de savoir où siégeait la prison militaire de 1842 à 1877…

La prison militaire à Bordeaux du 20 au 30 juin 1940

En 1940, la prison militaire reprend du service. Le 20 juin, elle est virtuellement formée et retrouve ses anciens quartiers de la caserne Boudet. Lors du repli de la Prison militaire de Paris et de son passage à Bordeaux, dix condamnés à mort sont remis au nouveau commandant de la prison militaire, Antoine Chiramonti, venant du Cherche-Midi.
Le 22 juin, quatre des condamnés à mort, Rambaud Roger, Rambaud Marcel, Lebeau Léon et Amourelle Jean sont extraits de la prison militaire pour être conduits au Champ de tir de Verthamon, commune de Pessac, où ils sont fusillés à l’aube. [Pour en savoir plus…]

Le tribunal militaire permanent de la 18e Région ayant été replié à Oloron Sainte-Marie (Basses-Pyrénées), tous les justiciables de ce tribunal sont transférés vers le camp de Gurs, sous escorte de 25 gendarmes. Le 30 juin, au départ de Bordeaux, le convoi se compose de 136 prévenus relevant de la justice militaire, détenus au Fort du Hâ, de 14 « prévenus libres en subsistance au Dépôt d’Infanterie n° 181, auxquels se rajoutent les 5 condamnés à mort restants, détenus à la prison militaire de Bordeaux (Ferréa Jacques, Masson Charles, Spieth René, Verdaguer Raymond et Weil Otto. Lebeau Maurice, dont la peine de mort a été commuée en celle des travaux forcés à perpétué reste écroué au Fort du Hâ).
Profitant de la confusion, 9 détenus parviennent à s’évader en gare de Bordeaux, tandis que les 5 condamnés à mort sont libérés par les Allemands en gare d’Orthez.
Dans un premier temps, le capitaine Kersaudy, commandant la prison militaire de Paris repliée à Gurs, incorpore à son effectif les détenus en provenance de Bordeaux.

La prison militaire de Bordeaux repliée au camp de Billère
(25 juillet – 13 août 1940)

En exécution de la note de service n° 994 S/CH en date du 24 juillet 1940 du général commandant la 18e Région, la Prison militaire de Bordeaux repliée au camp de Billère, près de Pau est formée le lendemain 25 juillet. Le cadre administratif se compose des officiers et sous-officiers Chiaramonti Antoine, sous-lieutenant comptable commandant la prison, Arnaud Antonin, adjudant-chef comptable, Baron Pierre, adjudant comptable et Petit Henri, sergent-chef. L’effectif est de 130 détenus.

En 1940, le camp de Billère est un camp militaire servant de lieu de repli et de démobilisation pour les unités de l’armée. Le 19 juillet 1940, par exemple, le journal Ouest-Éclair signale que le personnel civil et militaire du C.F.T. ainsi que le 1er C.O.A. y sont repliés.

La prison militaire de Bordeaux repliée à la Maison d’arrêt de Pau (13 août – 16 décembre 1940)

Le 13 août 1940, la prison militaire de Bordeaux est transférée à la Maison d’arrêt de Pau où elle occupe une aile de bâtiment. Le 17 août, un passage de commandement intervient. Le sous-lieutenant Chiaramonti quitte le poste, remplacé par le chef de bataillon Godfroy.
Le 22 août, le médecin commandant Azéma, médecin chef de l’infirmerie de la Caserne Bernadotte est désigné pour assurer le service sanitaire de l’établissement.
Au 31 août, l’effectif est de 153 détenus. Il est de 149 au 11 septembre, dont une femme et un mineur âgé de moins de 18 ans, inculpés de vol.

En raison de la suppression du tribunal militaire permanent de la 18e Région (arrêt du 24 août), le secrétariat d’État à la Guerre décrète la dissolution de la prison militaire de Bordeaux
(D.M. n° 2393 C/10 du 30 août 1940).

Le manque de place, tant dans les prisons militaires que dans les établissements pénitentiaires civils rend difficile le reclassement de la population pénale de la prison militaire de Bordeaux composée de prévenus et de condamnés, de militaires et de civils en attente de comparution devant une cour de justice militaire. Cette situation entraîne le report de la date initiale de dissolution de la prison militaire de Bordeaux repliée à Pau.

Le 28 octobre, une liste de 21 détenus devant être transférés à Clermont-Ferrand est constituée.
Le 11 novembre 1940, le secrétariat d’État à la Guerre charge le commandant de la 17e Région (Toulouse), de faire « hâter l’envoi sur Clermont-Ferrand des cadres de la justice militaire, ainsi que la totalité des prévenus incarcérés à Pau ». Les condamnés doivent être dirigés sur la maison d’arrêt de Pau. Le lendemain, le ministre nomme l’adjudant-chef Arnaud, aide-comptable des établissements pénitentiaires, et lui confie pour mission d’assurer « la reddition des comptes de la prison militaire de Pau ».
Le 14 novembre, s’adressant au surveillant-chef de la maison d’arrêt de Pau, le directeur de l’administration pénitentiaire (ministère de la Justice) lui demande de faire savoir au commandant de la prison militaire de Bordeaux qu’il « ne dispose, actuellement, ni du personnel nécessaire, ni des denrées, matières et objets indispensables pour surveiller efficacement et assurer l’entretien des condamnés relevant d’un juridiction militaire » et qu’il ne pourra « recevoir désormais de prévenus ou condamnés militaires, que dans la limite des places disponibles et sous l’expresse réserve qu’une garde militaire assurera l’ordre et la discipline dans le quartier réservé à cette catégorie de détenus. La nourriture, la fourniture des effets d’habillements, du matériel d’entretien et de couchage, incombent entièrement à l’autorité militaire. »

Finalement, les 58 prisonniers composant l’effectif de la prison militaire de Bordeaux quittent la ville de Pau : le 2 décembre, un premier convoi de 18 prévenus militaires est dirigé vers Clermont-Ferrand, le 9 décembre, un deuxième convoi de 20 prévenus militaires est conduit vers la même destination ; le 16 décembre, un troisième convoi de 20 condamnés militaires est transféré vers la prison militaire de Lodève. Le cadre administratif et les archives sont également dirigés sur la prison militaire de Clermont-Ferrand.

Le procès-verbal de dissolution de la Prison militaire de Bordeaux repliée à Pau est finalement dressé le 16 décembre 1940 par l’intendant départemental Deau, en présence du chef de bataillon Barbier.

La prison militaire de Bordeaux du 10 octobre 1944
au 30 novembre 1947

La prison militaire de Bordeaux retrouve la caserne Boudet le 10 octobre 1944, sur ordre n° 608/1 du général commandant la 18e Région. Le lieutenant Gitard Joseph prend le commandement de la prison nouvellement formée. Il est secondé par l’adjudant comptable Fourcade Paul, le sergent-chef comptable Labraize Pierre, le sergent-major Roque Paul et le sergent Cazenave Jean-Marie. La capacité de la prison militaire est portée à 200 détenus.

Le 6 février 1945, le colonel de Justice militaire Thomas, fait une visite d’inspection de la prison qui compte alors 203 détenus. Il déplore la durée excessive des détentions préventives ainsi que les conditions dans lesquelles elles s’exercent : « Les détenus sont un peu entassés mais il est facile de les desserrer en utilisant 22 cellules aménagées par les Allemands dans les locaux de l’ancien Tribunal militaire. La garde en serait rendue un peu plus compliquée mais l’hygiène y gagnerait ». Il relève également qu’aucun gardien n’est armé et le regrette, et enfin que « la prison héberge des détenues ; elles sont actuellement au nombre de 14. Il y aurait intérêt à demander à l’administration pénitentiaire civile de recevoir ces prévenues car leur séjour dans une prison militaire sous la garde de geôliers masculins peut être génératrice d’ennuis ».
Le 7 juin, le colonel Thomas revient sur cette question délicate : « Je vous avais signalé par mon rapport du 6 février dernier qu’il était fâcheux de maintenir dans une prison militaire des détenues femmes. Le cas de l’adjudant-chef Petit n’est pas unique et d’autres sous-officiers ont eu des relations avec ces femmes, et si l’on en croit certains renseignements, le lieutenant Gitard lui-même ne serait pas exempt de reproches. […] Depuis une quinzaine de jours les détenues ont été transférées au Fort du Hâ, prison civile de Bordeaux, et aujourd’hui il n’en reste plus aucune. »

La prison du Fort du Hâ à Bordeaux. Collection Jacky Tronel.

Prison civile du Fort du Hâ,
Bordeaux. Coll. J. Tronel.

Cette situation entraîne un changement du cadre administratif. Le 10 juillet 1945, le lieutenant comptable Chappert Joseph prend le commandement. Il est secondé par le sous-lieutenant Roche Emmanuel, le lieutenant Bousseau Jean, l’adjudant Piernetz Jean, le sergent-major Cora Joseph et le sergent-chef Chartin Maurice.

Du côté des détenus, la situation se dégrade à nouveau, en raison d’une forte surpopulation.
Le 4 décembre 1945
, le lieutenant Chappert attire l’attention du Général Chouteau, commandant la 18e Région militaire à Bordeaux et lui fait part de son inquiétude en ces termes : « Les locaux de la prison sont actuellement archi-comble, 414 présents pour 200 places, au maximum, et 28 absents susceptibles de réintégrer l’établissement d’un jour à l’autre, soit un effectif de 436. En raison de cet excédent d’effectif, l’établissement n’a plus de couvertures disponibles. Les détenus sont 6 et 7 par cellule au lieu de 4 et il est à craindre que quelque maladie contagieuse ne se déclare. D’autre part, j’ai été amené à mettre tous les prisonniers allemands en prévention de Tribunal militaire, dans le local réservé à usage d’atelier situé dans le jardin de la prison. Ce local ne présente pas la sécurité nécessaire pour servir de détention en permanence et les possibilités d’évasion, sont plus grandes. En conséquence, je demande de surseoir pendant quelques temps à l’incarcération d’autres prévenus et cela jusqu’à ce que l’effectif soit ramené aux environs de 200. »
Le Général Chouteau prend la mesure de la situation et obtient du directeur régional des Services pénitentiaires à Bordeaux l’autorisation de transférer vers la Maison d’arrêt, entre le 28 janvier et le 3 février 1946, 200 détenus civils munis de leurs effets de couchage, de façon à désengorger la prison militaire.

Le décret n° 47-2094 du 25 octobre 1947 entraînant la suppression de tous les établissements pénitentiaires militaires installés sur le territoire métropolitain, la prison militaire de Bordeaux, elle aussi, est dissoute le 30 novembre 1947.

Caserne Boudet, ancienne prison militaire de BordeauxLe 28 novembre 1947, un procès-verbal de remise des locaux par le Département de la Guerre au Département de la Justice est dressé. Il est approuvé par le Colonel Bonnelle et le Directeur régional du Génie, le lieutenant-colonel de Vathaire, le 30 mars 1948.

Dans les années 1980, la caserne Boudet est rachetée par la Communauté urbaine de Bordeaux, avant d’être cédée en juin 2003 à la Société Aquitanis afin d’y créer des logements sociaux et des logements pour étudiants. Photo J. Tronel

[pour en savoir plus…] sur la prison militaire de Bordeaux sous occupation allemande.

2 Commentaires de l'article “Bref historique de la prison militaire de Bordeaux (1842-1947)”

  1. René Cornand dit :

    Bonjour,
    Admirable étude sur ces faits ignorés par l’histoire, celle de français fusillés par des français.
    Que sont devenus les 5 rescapés (les 4 qui ont profité de la confusion en gare et l’alsacien, sauvé par les soldats allemands) ?
    Ça parait irréel de fusiller des condamnés quand la guerre est finie car perdue. La sentence aurait dû s’annuler d’elle-même. Mais bon, les gendarmes étaient là pour servir ! Et servir tous les régimes : traque des résistants puis des collaborateurs !
    Cordialement.
    René Cornand

  2. Jean-Luc Bounichou dit :

    Bonjour,
    Effectivement, l’histoire est bien triste et cruelle. Mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Les gendarmes étaient là pour servir et servir tous les régimes mais certains avaient le sens de l’honneur. Mon oncle était gendarme et résistant, il a été arrêté par la feldgendarmerie, la gestapo et des miliciens, le 21 avril 1944, à BOUGLON 47, avec ses camarades de la brigade suite à des faits de résistance, pour être emprisonné au fort du ha, caserne Boudet, pour y subir certainement des interrogatoires, puis transféré à Compiègne pour être déporté à NEUENGAMME puis à ORANIENBURG-Sachsenhausen. 2 gendarmes de la brigade ne sont jamais revenus de ces camps de la mort. Je voulais juste rétablir un moment de vérité en leur honneur…

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