Léon Moussinac ou les tribulations d’un prisonnier politique (1940-1941)
Par Jacky Tronel | vendredi 15 octobre 2010 | Catégorie : Dernières parutions, DES HOMMES… | Pas de commentaireDramaturge, poète et romancier, éditeur, scénariste
et acteur, Léon Moussinac
(à droite sur la photo) est fondateur, avec Vaillant-Couturier et Aragon, de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires. Le 20 avril 1940, Moussinac est arrêté et interné à la prison de la Santé au motif d’avoir, à partir du 26 septembre 1939, « eu une activité ayant directement ou indirectement pour objet de propager les mots d’ordre de la IIIe Internationale communiste ».
Louis Aragon et Léon Moussinac, au camp de Saint-Sulpice la Pointe (Tarn), photo Germaine Chaumel, 11/1944.
Du 10 au 21 juin 1940, Léon Moussinac et ses compagnons de détention subissent le repli de la prison militaire de Paris (la prison de la Santé fait alors office d’annexe de la prison militaire de Paris) jusqu’au camp de Gurs. Le 28 octobre 1940, Moussinac fait partie d’un groupe de 85 détenus transférés de Gurs vers la prison militaire de Nontron, en Dordogne (photo ci-dessous). Pour en savoir plus sur ce repli pénitentiaire…
Transféré et jugé à Périgueux
Ce 11 novembre 1940, le transfert de Léon Moussinac de la prison militaire de Nontron jusqu’au siège du tribunal militaire de Périgueux se fait à pied et sous escorte, de Nontron à Saint-Pardoux-la-Rivière, puis par le train, via Brantôme : « Nous sommes arrivés à Périgueux vers 10 heures, écrit-il. Il faisait froid. On est allé se réchauffer à la gendarmerie. Puis, à midi, mes gardiens m’ont emmené déjeuner avec eux à l’auberge du “ Cheval blanc ” […] Le repas fini, nous partons pour le siège du tribunal militaire de la XIIe région [les tribunaux militaires de Paris sont repliés à Périgueux le 5 juillet 1940].
En fin d’après-midi, le juge Arnoux annonce à Léon Moussinac sa mise en liberté provisoire, assortie d’une assignation à résidence. Léon Moussinac est tenu de se présenter au juge militaire tous les deux jours. Avec Jeanne, sa compagne, ils prennent pension à l’hôtel Domino [futur hôtel Talleyrand-Périgord, place Francheville].
Le 26 avril 1941, l’écrivain communiste reçoit une citation à comparaître à l’audience du 5 mai. Moussinac décrit son arrivée au palais de justice, la longue attente dans la salle d’audience… « On nous regarde du prétoire : greffier, gendarmes, commissaire du gouvernement, soldats de service. Enfin, selon le cérémonial d’usage : le Tribunal… Présentez… armes ! Les juges font leur entrée : un colonel, deux commandants, un capitaine, un lieutenant, un adjudant et un simple soldat. Ils saluent, ôtent le casque et s’installent. » Il est 3 heures quand est donnée lecture de l’acte d’accusation. Interrogatoire du président, accusation du commissaire du gouvernement qui réclame que le maximum de la peine soit appliqué, soit cinq années d’emprisonnement, plaidoirie de l’avocat, dernière défense de l’accusé, puis délibération du tribunal. C’est finalement l’acquittement pur et simple.
« Le Radeau de la Méduse »
Les mémoires de Léon Moussinac sont publiées dès 1945 sous le titre « Le Radeau de la Méduse », en référence au tableau de Géricault dans lequel apparaissent deux personnages « agitant au bout du bras le chiffon de l’espoir ».
C’est la période comprise entre son arrestation et son acquittement qu’il raconte dans ce journal de captivité.
« Témoignage terrible et haletant des prisons et des camps d’internement en France, ce livre est aussi le bilan du travail d’un homme qui s’est placé au croisement de toutes les tendances culturelles et littéraires de l’époque, en liaison avec son engagement révolutionnaire. », dixit François Eychart.
Hommage
d’Olivier Barbarant
Dans Les Lettres françaises (supplément à L’Humanité) du 5 décembre 2009
(p. 9), Olivier Barbarant rend un vibrant hommage à Léon Moussinac :
Dramaturge, poète et romancier, l’un des premiers spécialistes de cinéma, cofondateur en 1932 de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR), lauréat en 1935 du Prix Renaudot – qu’il refusa – pour son roman Manifestation interdite, président du CNE, directeur de l’IDHEC puis de l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs c’est peu de dire que Léon Moussinac occupa une place déterminante dans la culture du XXe siècle, sans proportion avec le souvenir qui en demeure aujourd’hui.
Deux motifs éclairent sans doute cette éclipse : ouvert à tous les domaines de la modernité, Moussinac s’est intéressé aussi bien à la littérature qu’aux arts décoratifs, à l’édition qu’au journalisme quand cette diversité déborde les catégories qui peuvent garantir une concession tranquille dans la postérité. Il fut aussi, de 1924 à sa mort, membre du Parti Communiste Français, et lié comme tel à une Histoire qu’il s’agit de réécrire, peut-être de reconquérir. Cette réédition y contribue.
Il faudrait en effet revenir sans cesse sur la période, un rien oubliée, où la France au seuil de la guerre se fixait pour urgence une lutte anticommuniste qui culmina avec le décret Sérol condamnant à mort les auteurs de « menées communistes » (9 avril 1940). C’est à ce titre que Léon Moussinac fut arrêté par la police le 20 avril, emprisonné à la Santé, puis transféré au camp de Gurs où il fut prisonnier du 24 juin au 28 octobre 1940, avant d’être remis en liberté provisoire et acquitté enfin le 5 mai 1941. Il faudrait revenir sur le camp de Gurs, où les Français emprisonnés faisaient face aux Espagnols pour avoir, les uns comme les autres, défendu une idée de la nation qui n’était visiblement plus celle de ce qui s’appelait encore République française.
Dans sa troisième partie, le livre décrit à pointe sèche la vie du camp. On y trouve les éléments hélas bien connus du fonctionnement concentrationnaire, portés ici avec la force toute particulière de la notation diariste. Nul, après lecture, ne peut oublier la chasse aux poux, la conférence sur l’histoire de la langue française effectuée aux prisonniers affamés et émus, ou la silhouette de Mohammed, dont la figure maigre et démente évoquant « le Nègre qui agite au bout du bras le chiffon de l’espoir » donna son titre aux carnets, par rappel de Delacroix. La valeur historique de ce journal est donc considérable. Elle doit beaucoup à l’art de la notation et de la réflexion qui caractérise l’écrivain. On l’entend tout particulièrement dans la première partie, consacrée à La Santé. Ainsi remarque-t-il que l’époque désastreuse le conduit à la relecture des classiques ; ainsi élabore-t-il « un nouveau romantisme, celui de la joie ». Le carnet se fait alors poème, d’une âme en lutte pour sa liberté, pour un amour du monde que rien ne lui ôtera. C’est l’observation de la lumière sur les murs et le sol de la cellule, la « fête des vitraux » au crépuscule passant par les fenêtres bleuies ; c’est, le 10 mai, ces quelques notes : « J’ai toujours aimé les arbres. Ça mange le ciel, ça mange la terre, ça dégage une bonne odeur de vie. Dans le jour, c’est plein d’oiseaux ; dans la nuit, c’est plein d’étoiles. Si on secoue l’arbre, tout s’envole : étoiles et oiseaux ». Moussinac offre ici sa pleine recherche de poète : une beauté – la plus proche, la plus humble, et ce faisant la plus solide – pour demeurer libre ; une attention à toutes les réalités, quelles que soient les conditions de l’esprit et de la prison, pour préserver « le beau diamant du cerveau ».
Léon Moussinac décède le 10 mars 1964. Son ami Aragon lui adresse dans Les Lettres françaises le texte intitulé « Cette nuit de nous » dans lequel il s’engage, en poète, à ne jamais la quitter.
Réédition du « Radeau de la Méduse »
L’ouvrage de Moussinac a été réédité sous le titre Le Radeau de la Méduse – Journal d’un prisonnier politique 1940-1941 en septembre 2009, aux Éditions Aden (Belgique), collection Fond rouge. Cette nouvelle collection est dirigée par François Eychart : spécialiste d’Aragon, ses travaux littéraires concernent aussi d’autres écrivains comme Roger Vailland, Jean-Richard Bloch, Maxime Gorki, etc. Il collabore par ailleurs aux Lettres françaises.
« Fond rouge » a l’ambition de remettre dans les mains d’aujourd’hui des auteurs qui ont pensé l’engagement, la révolution et l’humanité dans des textes remarquables, qui n’ont rien perdu de leur force, tant sur le plan de la littérature que sur celui de l’histoire des idées [note de l’éditeur].