« Tonsae » un ballet théâtralisé du chorégraphe Sam wallet sur les femmes tondues
Par Jacky Tronel | dimanche 3 mai 2015 | Catégorie : ACTUALITÉS, Dernières parutions | Pas de commentaireEn novembre 2006, Sam Wallet – danseur se produisant sur les plus grandes scènes, tant en France qu’à l’étranger – me contactait suite à un article publié dans la revue Arkheia sur les femmes tondues à la Libération en Dordogne. Il avait le projet, pour le moins original, de monter un ballet-théâtre sur ce thème, et cherchait des témoignages.
Sam avait une caution scientifique en la personne de Fabrice Virgili, historien, auteur de La France virile, Des femmes tondues à la Libération (Paris, Payot, septembre 2000). Initialement, le ballet devait porter le titre de « Shaven ».
Nous sommes restés en contact et depuis, non seulement le projet a pris forme, mais il est aujourd’hui finalisé et ne cherche plus que des partenariats et des sponsors en vue d’assurer son financement, permettant ainsi son montage et sa présentation au public.
« Tonsae » est le nom donné à ce ballet théâtralisé en deux actes, en quête de mécènes… dont voici « la version light » du dossier de presse :
Note d’intention du chorégraphe Sam Wallet
Touché par le film documentaire « Tondues en 1944 » de Jean-Pierre Carlon, j’ai souhaité mettre en lumière le sort réservé aux femmes tondues sous la forme d’un ballet. « Tonsae » tend à souligner les différents visages de ces femmes, il insiste sur leur souffrance, sur la violence qu’elles ont subie et sur la vanité humaine. Le corps des danseurs traduira les états extrêmes vécus par les femmes tondues.
C’est en faisant la rencontre de deux personnes déterminantes que ce ballet a pu émerger. La première est Fabrice Virgili, historien et directeur de recherche au CNRS. Il m’a permis d’approfondir mon travail de documentation, il me l’a enrichi et m’a ainsi confirmé le fait de vouloir créer « Tonsae ». Il a renforcé les aspects historiques du ballet. La seconde est Alexis Desseaux, comédien et metteur en scène. Il m’a appuyé dans le déploiement artistique de « Tonsae ». Nous avons souhaité tous deux développer sur scène une forme particulière dans laquelle le mouvement, l’univers sonore et numérique, et le jeu dramatique auront une véritable écriture. « Tonsae » envahit le champ de l’art en entretenant des accointances particulières avec le théâtre, Alexis Desseaux en précise ses contours.
Sam Wallet © Photo DR.
« Tonsae » se construit au fur et à mesure avec l’équipe artistique, les danseurs. À travers ces échanges, je tends à prolonger et explorer corporellement ces instants où tout bascule.
Note de mise en scène du comédien et metteur en scène Alexis Desseaux
Jamais la mort ne retiendra la vie. Au-delà de notre condition humaine, au-delà des mots… Il y a l’homme déchu et les conséquences en ce bas monde. Une inextricable humiliation qui plombe vers les profondeurs ou bien un réveil de conscience par l’esprit qui transcende âme et corps. Je ne désire dans « Tonsae » rien mettre d’autre que la vérité des corps. Ils se raconteront au travers de cette compagnie de danse en résidence pour leur nouvelle création, dans un théâtre chargé d’histoire. Cependant, ne dit-on pas que les murs ont des oreilles ? Dans ce théâtre, qui se trouve sur la place centrale, ils ont aussi des yeux ! Et une mémoire… indéfectible. M. Jean, homme sans âge, gardien de ce théâtre, ne souhaite nullement qu’on oublie. C’est pourquoi il préfère que l’art soit au service de la réalité. Il ne supporte plus l’inverse. Il influencera, plus ou moins visiblement, ces artistes.
Lorsque j’ai rencontré Sam Wallet et eu connaissance de son projet artistique, je fus immédiatement inspiré tant par la responsabilité d’élaborer l’écriture autour d’un tel sujet (les femmes tondues) que par la nécessité d’exprimer la force du combat intérieur. Il est apparu comme une évidence que cette collaboration devait se poursuivre sur scène, j’ai ainsi souhaité que Sam Wallet incarne l’un des rôles principaux du ballet en tant que danseur-comédien. A travers ce choix, j’ai voulu soulever la richesse de son empreinte identitaire, israélo-allemande. Enfin la décision finale d’un tel investissement fut remportée par la rencontre marquante de Fabrice Virgili, qui nous accompagne jusqu’au seuil de la mise en scène. C’est donc, dans mon parcours de metteur en scène, ma deuxième implication avec un chorégraphe. Je n’y recherche que des « moments » de vérité au-delà du verbe. La danse, les gestes impulsés, éprouvés seront volontairement au service de l’intention… Mon moteur dans la création artistique.
Alexis Desseaux
Propos artistique
« Tonsae » retrace en deux actes le sort réservé aux femmes arrêtées, humiliées et tondues à la libération pour avoir pratiqué la « collaboration horizontale », c’est-à-dire noué des relations amicales avec l’ennemi. Ces femmes sont exposées à tous les regards, comme une mise en scène de leurs corps, ce qui laisse alors une grande place au fantasme et à la sexualité. Cette mise en scène ostentatoire constitue un système de représentation en trois parties : la faute, la collaboration, le châtiment-épuratoire, pour aboutir enfin à une vision de l’avenir et à la reconstruction.
Regard historique
Les griefs et les fautes imputés aux femmes tondues sont d’ordre divers. Mais ce sont toutes les frustrations de la période de l’Occupation, les restrictions, la peur, la faim, qui sont déversées sur ces femmes que l’on accuse d’être passées à travers les souffrances. Tous les aspects de la vie quotidienne leur sont reprochés : de pouvoir rentrer en voiture accompagnées après le couvre-feu, d’avoir bu du vin, d’avoir pu danser et écouter de la musique, en un mot avoir été des privilégiées. Et bien sûr, par dessus tout, d’avoir « couché avec des boches ». Fortement fantasmées, leurs relations avec les Allemands conduisent à la construction de l’image érotisée des tondues. Ce qui laisse penser que la tonte est le châtiment exclusif des relations sexuelles avec l’ennemi.
À la libération, la majorité de la population française est encore ignorante des atrocités des camps de concentration mais semble incollable sur les pratiques sexuelles de l’occupant avec les femmes de leur pays. La rumeur publique condamne les moeurs légères et insouciantes de ces femmes, et s’immisce dans leur vie privée ; elle narre des scènes vraies ou imaginées de leur vie de stupre, de débauche, et de se gorger ainsi de multiples images de la jouissance et de la luxure.
À ce moment-là, il ne s’agit plus seulement de réprouver une attitude indépendante de la part de ces femmes comme une sexualité extra-conjugale, mais bien de condamner une trahison. Morale et politique s’unissent alors dans un même élan pour déposséder entièrement ces femmes de leur propre corps. Le délit d’adultère est alors considéré comme une collaboration à caractère particulier, il quitte le simple cadre familial pour devenir une affaire d’État et revêt alors un caractère national.
Les tontes de femmes sont extrajudiciaires, mais l’ordonnance du 26 décembre 1944 déclare « coupable d’indignité nationale tout individu qui a sciemment apporté, en France ou à l’étranger, une aide directe ou indirecte à l’Allemagne », ce qui permet dans un premier temps de poursuivre les coupables de collaboration horizontale. Les poursuites juridiques n’ont pas d’incidence directe sur la décision de tondre, mais soulignent les réticences à confondre vie privée et vie publique. Les femmes des prisonniers de guerre sont particulièrement exposées à ces poursuites d’autant que pendant l’absence du mari, le Ministère Public pouvait intervenir afin de sanctionner un adultère avéré.
Ces femmes tondues deviennent la représentation sexuelle de la collaboration où le corps des femmes est l’objet de cette trahison et doit être puni. « Elles porteront sur leur corps d’une manière ou d’une autre la trace de leur infamie ». On assiste alors, une fois de plus, à la mise en scène du corps de la femme qui a séduit l’ennemi. Leur corps est profané et dégradé par la tonte mais aussi par les coups, des inscriptions et des croix gammées sont peintes sur leur corps, soit avec de la peinture ou encore du goudron, voire aussi du rouge à lèvres. Enlaidi, le corps devient le support des signes de la trahison pour les éloigner voire les rayer de la communauté. La laideur physique de leurs crânes rasés est destinée à souligner leur laideur morale et patriotique.
Les crânes rasés des « tondues » devinrent le symbole de l’épuration, du nettoyage du pays et de sa reconstruction. La tondue se transforme inexorablement en un enjeu de réappropriation, grâce à elle le pays peut retrouver son unité, chaque citoyen ayant participé à la punition des tondues devient acteur du redressement du pays. Les femmes tondues n’avaient pas compris que leur corps ne leur appartenait pas. Dans l’exaltation de la Libération, de la fin de la guerre et des lendemains qui chantent, il restait avant tout un enjeu politique. Pour le plus grand nombre, avoir couché avec un Allemand demeurait une trahison.
Biographie de Sam Wallet
Après des études de danse auprès de Karina Kavotvitch à l’Opéra Garnier de Paris, Sam Wallet est engagé au sein de l’Opéra National de Bordeaux. Il y aborde le répertoire classique et néo-classique (Petrouchka, Swan Lake, Ballenchine, The Nutckracker…) auprès du chorégraphe Charles Jude.
Sa danse est avant tout un mouvement en perpétuelle évolution, qui se nourrit de toutes ses influences, à commencer par celle de sa culture israélo-allemande mais aussi de toutes ses expériences, de Marie-Claude Pietragalla à Edouard Lock, et de ses rencontres avec des artistes venus d’horizon très divers.
Son premier ballet de danse contemporaine, « Tonsae », est marqué par le mélange des disciplines artistiques : la danse se mêle au théâtre et aux arts visuels. S’appropriant tous les langages gestuels, Sam Wallet exploite avec brio la musique et la lumière, composantes à part entière de son écriture. L’espace est travaillé avec rigueur et maîtrise. Il affirme sa vision de la danse comme un art total, sans frontières.
Biographie d’Alexis Desseaux
Alexis Desseaux a tourné dans plus d’une centaine de films, téléfilms, courts-métrages, tout en conciliant une riche activité théâtrale. Une cinquantaine de pièces à son actif, sur des textes d’auteurs classiques et contemporains, de Shakespeare (Antoine et Cléopâtre) à Sylvie Audcoeur et Marie Piton pour Bistro, de Molière (Le Misanthrope) à Saùl Enriquez pour Autopsie de l’Amour, de Pouchkine (Don Juan) à Bertrand Blier pour Buffet Froid, de Tchekhov (Bonjour, dernière page de ma vie) à Mélanie Rodrigues pour News Trottoir …
Alexis Desseaux développe également de nombreux projets en écriture et en mise en scène. Il s’implique régulièrement sur plusieurs festivals cinématographiques en soutenant les films d’auteur. L’intention dans l’interprétation comme les témoignages de vie dans les réalisations sont pour lui des moteurs artistiques.
Biographie de Fabrice Virgili
Historien et directeur de recherche au CNRS, Fabrice Virgili travaille au sein de l’UMR IRICE (Identités, Relations Internationales et Civilisations de l’Europe) à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Comment les relations entre hommes et femmes sont influencées par les guerres ? C’est autour de cette question que portent ses recherches, à propos de la Seconde Guerre mondiale et plus largement sur les autres conflits du XXe siècle.
Fabrice Virgili a consacré plusieurs années à l’étude des femmes tondues. Il a d’abord écrit un livre sur ce sujet : La France « virile » Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, septembre 2000, qui a ensuite été traduit en anglais : « Shorn Women Gender and Punishment in Liberation France », Oxford, Berg Publishers, Juin 2002.
Puis plusieurs articles dont :
– « Tondre », dans Michela Marzano (dir.), Dictionnaire de la violence, Paris, PUF, 2011, p. 1293-1298.
– « Les « tondues » à la Libération : le corps des femmes, enjeu d’une réappropriation », Françoise Thébaud (dir.) Résistances et Libérations France 1940-1945, Clio Histoire femmes et sociétés, n°1, Toulouse 1995, p. 129-151.
Et participé à trois films documentaires :
– « Une épuration française », film d’Emmanuel Hamon, Image et compagnie, 2008.
– « Tondues en 1944 », film de Jean-Pierre Carlon, Productions du Lagon, France 3, 19 mai 2007.
– « Enfants de boches », film d’Olivier Truc et Christophe Weber, Sunset Presse, 2003.
Les femmes tondues à la Libération sur ce blog :
De tous les articles publiés ici, ce sont ces deux consacrés aux femmes tondues à la Libération qui ont suscité le plus de commentaires, signe que les passions, soixante-dix après, restent toujours vives !…
Regard sur l’Épuration et les femmes tondues en Dordogne : lien
Qui étaient les « tondues de Bordeaux » du 29 août 1944 ? : lien
Pour contacter Sam Wallet et Alexis Desseaux :
Marion Cissoko (chargée de production et attachée de presse) : cissoko.marion@gmail.com – 06 22 70 34 39
Illustrations issues du dossier de presse. © Photos D.R.