Le Camp de Sallegourde, chronique d’un projet avorté (juillet-septembre 1940)
Par Jacky Tronel | lundi 24 mai 2010 | Catégorie : Dernières parutions, DES CAMPS… | 2 commentairesEn juin 1940, l’offensive allemande sur la capitale entraîne le repli des quatre tribunaux militaires de Paris et de tous les détenus de la « prison militaire de Paris » (Le Cherche-Midi et son annexe de la Santé). 1020 prisonniers seulement (sur les 1865 au départ de Paris) parviennent jusqu’au Camp de Gurs, au terme d’un exode tragique. Au mois de juillet, l’autorité militaire décide d’installer les tribunaux militaires de Paris à Périgueux. Cette décision rend nécessaire la création d’un camp de prisonniers à proximité. C’est ainsi que naît le projet du Camp de Sallegourde…
Formation du tribunal militaire de Périgueux
Le 5 juillet 1940, le ministre de la Guerre annonce au général Frère, commandant la 12e Région militaire à Limoges, la création d’un tribunal militaire destiné à suivre « les procédures en cours devant les 1°, 2°, 3° et 4° tribunaux militaires de la région de Paris ». La ville de Périgueux est choisie pour devenir le siège du tribunal militaire de la 12e Région.
Le château des Bernardoux à Marsac, à deux pas de Sallegourde où devait être implanté le camp destiné aux prévenus de la prison militaire de Paris. Réquisitionné par la Subdivision de Périgueux, le 20 décembre 1939, le château est remis aux Compagnons de France par l’état-major du département militaire de la Dordogne, le 1er octobre 1940. Cet immeuble héberge aujourd’hui l’hôtel de ville de la commune de Marsac-sur-l’Isle. Coll. La Thèque.
Projet d’installation d’un camp de prisonniers sur la commune de Marsac
Le 21 juillet 1940, le général Frère résume le projet tel qu’il a été conçu par l’autorité militaire : « Il s’agit d’organiser un camp sous tentes de 2 000 places pour les prévenus du Tribunal militaire de la 12e Région. Le terrain d’emprise du camp sera partagé de la façon suivante : 2 îlots de 100 places chacun pour les femmes [accusées d’atteinte à la sûreté de l’État et de propagande communiste], 18 îlots de 100 places pour les hommes. Chaque îlot comportera 10 tentes de 10 places chacune et sera délimité par une clôture constituée par une rangée de piquets et de la ronce artificielle. (…) Deux wagons de ronces artificielles seront expédiés dans les plus courts délais sur la gare de Périgueux ». Ce camp provisoire porte le nom de « Camp de Sallegourde » (orthographié aujourd’hui « Saltgourde »), commune de Marsac (« Marsac-sur-l’Isle », depuis 1961).
Le capitaine Kersaudy, commandant la prison militaire de Paris, fait le voyage de Gurs à Périgueux, afin d’étudier la faisabilité du projet. Dans son rapport du 2 août 1940, il décrit les lieux : « Le camp est dressé sur un terrain de deux hectares environ, à fond argileux à la forme d’un quadrilatère dont un côté donne sur une rivière [l’Isle] ». Il ne sera pas possible de placer plus de six hommes par tente, contre les dix prévus. Kersaudy émet des réserves sur l’opportunité de placer un camp de femmes à proximité immédiate d’un camp pour hommes : « À mon avis, dit-il, ces femmes doivent être incarcérées dans une prison civile et surveillées par des surveillantes. Elles doivent être totalement séparées des hommes. […] Sans aucun doute, pendant la nuit, les détenus de sexe masculin franchiront le barbelé pour leur rendre visite, de plus, ces femmes ne peuvent être fouillées que par une personne de leur sexe. […] Les détenus couchant sur la paille, elle prendra très vite l’humidité, au contact du sol. Il est à présumer de nombreux malades dès qu’il tombera de la pluie dont le climat de Périgueux est assez souvent gratifié suivant les dires de la population, même pendant la saison d’été… »
Le général Frère donne raison au Capitaine Kersaudy. S’il reconnaît que le camp de Sallegourde « répond à la nécessité du transfert rapide des détenus du camp de Gurs dans le but d’accélérer l’instruction des affaires en cours », il tient à signaler l’existence d’un camp composé de baraques en dur, appelé à devenir « le camp permanent de détenus » [il s’agit du camp de Mauzac, situé à 25 km à l’est de Bergerac]. Le général suggère que les femmes y soient logées en priorité, « sous la garde de surveillantes, comme en maisons d’arrêt ». Il est donc prévu d’utiliser provisoirement le camp de Sallegourde en vue de regrouper les prévenus de la prison militaire de Paris repliée à Gurs, « solution transitoire. En effet, dès la fin de la belle saison, il sera à abandonner pour des considérations élémentaires d’hygiène ». Les officiers, quant à eux, pourront être « détenus à la prison de St-Yrieix[-la-Perche, Haute-Vienne], qui offre une capacité de 100 places, dont une certaine partie peut être occupée par des condamnés du tribunal militaire ». Le camp pressenti pour accueillir les détenus du camp de Gurs pourrait s’établir « dans les baraquements dépendant de la poudrerie de Mauzac, à 20 kilomètres de Bergerac. […] D’une capacité de 2 000 places, ce camp pourra contenir non seulement les détenus du camp de Gurs, mais encore ceux qui, répartis dans l’ensemble des prisons et locaux disciplinaires de la Région, sont en instance de traduction devant le tribunal militaire ».
Télégramme du Général Sciard, commandant la 17e région militaire, signalant que le transfert des prisonniers
de Gurs vers le camp de Sallegourde a été ajourné, la 12e région ne pouvant les recevoir… SHD-DAT, 13 J.
Abandon du projet…
À peine conçu, le projet de création du camp de Sallegourde est abandonné ! Un télégramme du 5 septembre 1940 (ci-dessus) du général Jeannel, nouveau commandant de la 12e région, indique que le transfert à Sallegourde des détenus du camp de Gurs est ajourné et reporté à une date ultérieure : « Utilisable en période d’été, le camp de Salegourde ne le sera plus à très brève échéance, en raison de l’abaissement déjà très sensible de la température durant la nuit. Dans ces conditions, il a paru judicieux de prévoir le transfèrement […] directement dans les installations définitives dont l’organisation est envisagée. […] Toutes dispositions sont prises pour que les séances du tribunal militaire au cours desquelles seront jugés les détenus du camp de Gurs commencent dès que possible ».
7 octobre 1940, courrier du Général Sciard au Général Jeannel, commandant la 12e Région. SHD-DAT, 13 J.
Comme mentionnées dans l’extrait du courrier reproduit ci-dessus, les raisons de l’ajournement puis de l’abandon du transfert des prévenus de la prison militaire de Paris repliée à Gurs vers le camp de Sallegourde sont essentiellement d’ordre matériel. D’autres solutions apparaissent à l’autorité militaire : l’incarcération des prisonniers dans des baraquements en dur, à Mauzac ou à Creysse. Les deux sites en question (poudrerie de Bergerac et annexe de Mauzac) possèdent des baraquements d’ouvriers susceptibles d’être transformés en prison… L’urgence de la situation tient également au fait que le camp de Gurs doit être affecté à la détention de 3.500 Allemands, en provenance du camp de Saint-Cyprien.
Témoignage du prisonnier politique Henri Martin
Henri Martin, détenu au camp de Gurs, a connaissance du projet de transfert. Il relate l’épisode dans son journal : « 3 septembre – Grande nouvelle : la cantine est supprimée car les comptes doivent être arrêtés en vue d’un départ imminent. On nous emmènerait dans un camp près de Périgueux ! Au bureau, on emballe les archives. Cela paraît sérieux ! 4 septembre – Il n’est plus question que de départ. Depuis hier, on sait que le capitaine [Kersaudy] est parti à Périgueux pour inspecter les lieux. Dans tous les coins on ne parle que de cela, du moyen de transport, de la résidence future, camp provisoire, couchage sous des marabouts, etc… et maints commentaires sans aucun fondement… 5 septembre – Chaque jour apporte du nouveau… Finie l’histoire du départ ! Au bureau, on a déballé les archives, on reste. Il paraît que le capitaine n’a pas été satisfait de la disposition des lieux et il ne veut pas prendre la responsabilité de nous y transporter. Peut-être se souvient-il que lors du voyage d’Orléans à Gurs il a perdu plusieurs centaines d’hommes, et ne veut pas recommencer ? »
Sallegourde demeure donc à l’état de projet avorté. Il faut attendre le 6 novembre 1940 pour que soit officiellement créée la « prison militaire de Paris repliée à Mauzac »…
Domaine de Saltgourde, commune de Marsac-sur-l’Isle, lieu pressenti par l’autorité militaire pour y implanter,
en 1940, un camp de prisonniers… Actuel golf de Périgueux. © Photo Père Igor.
Bonjour,
Cherchant des choses sur la prison de St Yrieix la perche, je suis tombé sur votre site. Je vous cite sur
http://lefenetrou.blogspot.com
Merci
À propos de la prison de St-Yrieix-la-Perche, et en complément… Le général Frère commandant la 12e Région militaire (Limoges) signale dans un courrier du 15 août 1940 : « La prison de St-Yrieix, utilisée comme prison militaire pour recevoir les officiers en prévention de tribunal militaire et certains condamnés, ne possède ni commandant de prison, ni comptable, ni surveillants. La garde et l’alimentation des détenus sont provisoirement assurées par les soins d’une formation de l’armée d’armistice stationnée à St-Yrieix. Il est donc à craindre que, malgré le zèle déployé par le personnel commis actuellement à la garde de cette prison, il ne se produise quelques erreurs, notamment au point de vue de l’application du régime en vigueur dans les établissements pénitentiaires. Il est de toute nécessité que le personnel qualifié indispensable soit dirigé de toute urgence sur St-Yrieix. »… (Service historique de la Défense, département de l’armée de Terre, Vincennes, cote 13 J 1712).