Le sit-in de Garry Davis devant l’entrée de la prison du Cherche-Midi, en 1949

Gary Davis, citoyen du Monde se réfugie à Chaillot, Palais de l'ONU, le 12 septembre 1948

Pour ne pas oublier l’action en faveur de l’objection de conscience du militant pacifiste et fondateur du mouvement des Citoyens du Monde, Garry Davis (27/07/1921 – 24/07/2013), voici quelques repères :

Le 21 septembre 1949, vers 22 heures 30, cet Américain aux cheveux blonds et à l’allure juvénile vint s’asseoir devant l’entrée de l’ancienne prison militaire de Paris, devenue la « Maison d’arrêt du Cherche-Midi ».

Commençait alors une faction qui devait se prolonger pendant près d’une semaine, coupée par de multiples et brefs séjours forcés au poste de police voisin. Déterminé, Garry Davis entendait protester pacifiquement contre l’incarcération au Cherche-Midi de l’objecteur de conscience Jean-Bernard Moreau, dont il s’était déclaré solidaire…

Le 12 septembre 1948, Garry Davis, Citoyen du Monde, se réfugie à Chaillot, palais de l’ONU, photo DR.

Garry Davis, défenseur de l’objection de conscience

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Sit-in de Garry Davis devant l’entrée de la prison du Cherche-Midi, le 22 septembre 1948,
photo Agence Intercontinentale, 100 rue Réaumur, Paris 2e, coll. J. Tronel.

La photo est ainsi légendée : « GARRY DAVIS, RELACHÉ CE MATIN A 6 HEURES EST RETOURNÉ DEVANT LA PRISON DU CHERCHE-MIDI. Le premier citoyen du monde qui, par solidarité avec l’objecteur de conscience J.B. Moreau, s’est fait appréhender deux fois en vingt-quatre heures par les agents de la force publique alors qu’il manifestait devant la prison du Cherche-Midi, a été relâché ce matin à 6 heures. Sa tente et son sac de couchage sous le bras, Garry DAVIS a quitté le Commissariat de Notre-Dame des Champs où il a passé la nuit et sans perdre un instant, il est retourné devant la prison du Cherche-Midi. »

Entretien avec Garry Davis (1998)

Quel fut le point de départ de votre engagement ?

« La guerre, ce fut un véritable choc. D’abord un choc par rapport à mon éducation familiale. Mon père était un chef d’orchestre réputé, Meyer Davis, fréquemment convié à la Maison-Blanche. Ma mère, Hilda, était également artiste. Mes deux autres frères étaient musiciens, ma sœur et moi étions comédiens. En 1940, je jouais dans un théâtre ; ma philosophie était alors de rendre le public heureux… J’ai été appelé en 1941, comme pilote de bombardier dans la 8e U.S. Air Force (stationnement près de Londres)… Mes cibles étaient alors l’Allemagne, la Belgique… J’étais jeune, j’avais été happé par la propagande de la guerre… 5 miles au dessus des populations civiles, c’était une sorte de fantaisie… Rien dans mon éducation ne m’avait préparé à être un tueur. A ma 6e mission au-dessus de Berlin, mon avion a été touché par la DCA, j’ai du me poser en Suède. Interné, je me suis évadé trois mois après. J’ai alors traversé ce qu’on appelle une crise de conscience.

Le fait qu’on soit entré dans une période d’extermination avec pour seule excuse que la guerre des nations était légale… j’ai eu besoin de réfléchir. J’ai repensé mon identité envers les États souverains qui étaient responsables de la guerre. Au lieu de retourner à Broadway poursuivre une carrière obscure d’acteur, j’ai décidé de faire triompher l’idée d’un gouvernement mondial, seule solution à mes yeux pour éviter un nouveau conflit. »

De quelles manières concrètes avez-vous pris position ?

Garry Davis, citoyen du Monde, place de l'Opéra, Paris,1948

Garry Davis, citoyen du Monde, place de l’Opéra, Paris, 1948. Photo DR.

« À 27 ans, j’ai choisi de faire parler de moi pour donner corps à mon idée… Premièrement, dès mon arrivée en France en mai 1948, j’ai rompu avec ma patrie d’origine en remettant symboliquement mon passeport américain à l’ambassade des États-Unis à Paris.
Deuxièmement, devenu apatride, j’avais le droit et le devoir de choisir ma citoyenneté… Parce que l’humanité était en danger, j’étais en danger. Je me suis donc déclaré citoyen du monde. Je n’étais pas Américain, Français ou Japonais. En sortant du ventre de ma mère, j’étais entré dans la famille Monde pour le meilleur et pour le pire…
Troisièmement, j’ai dressé ma tente sur les marches de la Place de Chaillot devant le Palais du Trocadéro, y campant jour et nuit, pour demander asile et protection à l’Assemblée Générale de l’ONU qui se tenait dans le Palais… Un mois plus tard, une vingtaine d’intellectuels dont Albert Camus, André Gide, Jean-Paul Sartre, André Breton, l’abbé Pierre sont venus me soutenir.
Quatrièmement j’ai lancé le “Registre International des Citoyens du Monde”, c’est-à-dire l’enregistrement des citoyens du monde par la prise d’une carte d’identité numérotée ; l’idée était simple et immédiatement réalisable. Robert Sarrazac m’avait convaincu de l’intérêt de la notion nouvelle d’“Institutions Mondiales Techniques Neutres”…

À l’époque, d’autres, de nombreux savants atomistes et intellectuels, comme Einstein, Gandhi, Willkie… avaient déjà écrit des livres sur le besoin d’une loi mondiale disant que la guerre n’était plus légale… »

Le citoyen du monde Garry Davis au Vel d'Hiv en 1948, soutenu par l'abbé Pierre, à gauche. Photo DR.

Le citoyen du monde Garry Davis au Vel d’Hiv, en 1948, soutenu par l’abbé Pierre, à gauche. Photo DR.

Certains ont commenté votre « naïveté » et votre course aux médias ?

« D’une part, je n’étais pas naïf, au contraire… La naïveté, c’était et c’est toujours, de croire que l’on peut avoir la paix avec les mêmes institutions. Je ne crois pas non plus à l’efficacité du fédéralisme où toutes les nations renonceraient à une partie de leur souveraineté pour créer un gouvernement mondial… Ce n’est pas aux états mais à chaque citoyen, enregistré comme citoyen du monde, d’élire un gouvernement mondial… De même, en est-il de l’élaboration d’une constitution mondiale ; j’en ai dix sur mon bureau… Mais, une constitution qui n’a pas le soutien du peuple, ce n’est qu’un morceau de papier…

4 octobre 1949, Garry Davis, citoyen du Monde comparaissait en correctionnelle pour infraction a la loi sur les étrangers. Photo DR.

4 octobre 1949, Garry Davis comparaissait en correctionnelle pour infraction à la loi sur les étrangers. Photo DR.

D’autre part, j’étais apatride, la presse était mon seul ambassadeur. Je n’ai pas eu le soutien d’un État ou d’une ambassade. J’étais donc seul avec mon idée et quelques amis. La presse fut pour moi un outil de travail. Nous n’avions pas d’argent mais nous avions des idées. Je ne pouvais pas me contenter d’envoyer des communiqués à la presse. J’ai donc voulu surprendre, attirer leur attention… La presse, vous savez, est en partie achetée par l’État, par les hommes d’affaires. Il fallait faire réagir nos hommes politiques… »

13 décembre 1949, à la suite du refus opposé a sa demande d'entrée en Allemagne, sit-in de l'activiste Garry Davis. Photo DR.

13 décembre 1949, sit-in à la suite du refus opposé à sa demande d’entrée en Allemagne… Photo DR.

Que s’est-il passé après ces années de forte mobilisation personnelle ?

« Entre 1948 et 1950, nous avons eu quelques 750 000 personnes enregistrées. Là-dessus la guerre de Corée a éclaté… J’ai continué à militer… J’ai créé symboliquement le passeport mondial ; écrit 4 livres sur le sujet ; créé le journal World Citizen News, fondé la World Citizen Foundation, lancé 4 sites sur internet : dont un sur Worldgovernment et un site personnel Garrydavis… je me suis même présenté sous l’étiquette du parti des Citoyens du Monde à la candidature de maire de Washington en 1986 et à la candidature de Président des États-Unis en 1988… Une fois encore, ce n’étaient que des gestes symboliques mais qui m’ont permis d’expliquer qu’on pouvait être citoyen du monde à n’importe quel niveau de la politique…

Je suis père de Kristina, Athena, Kim et Troy. Je suis heureux, à 77 ans, que l’un de mes fils, Troy, poursuive mon œuvre. Mondialiste convaincu, ancien étudiant à Harvard, il se bat lui aussi pour la désignation d’un gouvernement mondial chargé de trois missions essentielles : prévenir les guerres, défendre l’environnement et protéger les droits des minorités. Pour Troy, le seul clivage qui tienne, c’est le clivage entre démocratie et dictature. Et l’unique remède est de se mettre à l’écoute des peuples, des individus et des minorités afin de promouvoir l’émergence d’un état de droit mondial. »

Source : « Territoires Citoyens du Monde », à partir d’extraits de la brochure « 24 juin 1950 – 24 juin 2000 Citoyens du Monde » éditée par la ville de Cahors.

Le coup d’éclat du 19 novembre 1948

Garry Davis, citoyen du monde. Photo DR.

À Paris, Palais de Chaillot, siège des Nations Unies, Robert Sarrazac et Gary Davis interrompent l’Assemblée Générale des Nations Unies pour exiger la démocratisation et la supranationalité de l’ONU.

Après la pause qui suivait une longue intervention de la Yougoslavie, Davis s’est levé. Le Père Montecland a dit d’une voix bondissante : « Et maintenant, la parole est au peuple ! ». Davis a répondu en anglais : « Messieurs les Président et Délégués, au nom des peuples du monde qui ne sont pas représentés ici, je vous interromps ! Mes paroles seront sans doute insignifiantes pour vous. Et pourtant notre besoin d’un ordre mondial ne peut être plus longtemps négligé. Nous, le peuple, voulons la Paix que seul un gouvernement mondial peut donner. Les états souverains que vous représentez ici, nous divisent et nous mènent à l’abîme de la guerre. J’en appelle à vous pour que vous cessiez de nous entretenir dans l’illusion de votre autorité politique. J’en appelle à vous pour que vous convoquiez immédiatement une Assemblée Constituante Mondiale qui lèvera le drapeau autour duquel, tous les hommes peuvent se rassembler : le drapeau de la souveraineté d’un seul gouvernement pour un seul monde. »

Document INA

Le 23 janvier 1966, Garry Davis accordait une interview à l’ORTF, interview dans laquelle il précisait sa vision du statut de « citoyen du monde » et donnait ses positions sur la paix. Il montrait son passeport mondial, qui lui accordait le statut d’apatride. C’est le papier officiel qui lui permettait de voyager. Cette interview réalisée par la journaliste Thérèse Alie est illustrée par des images d’archives… Document INA

Pour aller plus loin…

Un ouvrage récent retrace le parcours militant de Garry Davis ainsi que l’émergence du mouvement qu’il a initié : Histoire des citoyens du Monde. Un idéal en action, de 1945 à nos jours
 (Imago, 2020, 344 p., 24 €).

Socrate, Erasme ou Victor Hugo se voulaient déjà citoyens du monde. En 1948, cet idéal est incarné par Garry Davis : traumatisé par sa participation aux bombardements des villes allemandes durant la Seconde Guerre mondiale, cet ancien pilote américain renonce à sa nationalité et se déclare « premier citoyen du monde ». Très vite, ses initiatives font sensation et des foules enthousiastes l’acclament. Des dizaines de milliers d’hommes et de femmes s’affirment liés à la communauté mondiale ; la préfecture du Lot se proclame Cahors Mundi, suivie par des centaines de villes et de villages. Cet émoi populaire, soutenu notamment par Einstein et par l’abbé Pierre, se voit relayé par des écrivains – Camus, Breton, Queneau, Vercors… – amplifié par des journaux issus de la Résistance et des journaux tels que Le Monde et Le Canard enchaîné.

Michel Auvray fait le récit de ces événements aujourd’hui méconnus et qui firent alors la Une de la presse. Il relate comment, après la bombe d’Hiroshima, les tensions nées de la guerre froide semblent placer chacun devant une alternative : un monde uni ou le néant. Il décrit l’aspiration à une « mondialisation » – le mot apparaît dans ce contexte – au service des peuples, et qui sera symbolisée par l’ouverture d’une Route sans frontières.

S’appuyant sur des sources très diverses – témoignages, presse nationale et régionale, publications mondialistes, rapports des RG, archives publiques et privées, mémoires inédits… – Michel Auvray retrace pour la première fois l’émergence et l’apogée des Citoyens du Monde. Singulière et passionnante, telle est l’histoire de cet élan de fraternité universelle, qui se poursuit jusqu’à nos jours (texte de la 4e de couverture).

Michel Auvray, photo La Dépêche du Midi, Marc Salvet, 2016.

Historien et journaliste, Michel Auvray est spécialiste des relations armées-société et des questions de paix. Collaborant à nombre de périodiques, il a notamment publié Objecteurs, insoumis, déserteurs. Histoire des réfractaires en France (Stock, 1983) et L’Age des casernes. Histoire et mythes du service militaire (L’Aube, 1998).

1 Commentaire de l'article “Le sit-in de Garry Davis devant l’entrée de la prison du Cherche-Midi, en 1949”

  1. Avocat bail dit :

    Personnage intéressant que je ne connaissais pas, merci pour ce partage.

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