Le 10 juin 1940, sur ordre de Georges Mandel, la prison de la Santé est évacuée…

Frédéric Auger, jeune écrivain, est arrêté et écroué à la prison de la Santé pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Le 10 juin 1940, lors du transfert des détenus en zone libre, il est entraîné dans une rocambolesque évasion par un voyou sympathique, Raoul. Ils se dirigent vers Bordeaux, où le tout-Paris, gouvernement compris, s’est réfugié… La scène du départ de la prison de la Santé est extraite du film Bon voyage, du réalisateur Jean-Paul Rappeneau.

Scène du film "Bon voyage" de Jean-Paul Rappeneau, avril 2003. Évacuation de la prison de la Santé, le 10 juin 1940.

Yvan Attal, alias Raoul, et Grégori Derangère, alias Frédéric Auger, dans le film « Bon voyage », avril 2003.

Quelques témoignages sur l’évacuation de la prison de la Santé…

Les récits biographiques de Léon Moussinac, Henri Martin, Charles Lesca et Maurice Jaquier permettent de connaître les conditions du repli de la prison militaire de Paris, au départ de la prison annexe de la Santé.

Dans l’ouvrage polémique Quand Israël se venge, Charles Lesca décrit ainsi son départ précipité de la Santé : « Un peu avant 18 heures, un surveillant […] entre en trombe dans ma cellule. “ Préparez vos affaires, me dit-il, vous partez. ” J’ai une minute de grande illusion: “ Qu’est-ce qu’il y a ? – Il y a qu’on vous évacue ! ” Je suis atterré. […] Je mets en hâte mon linge, mes pauvres objets, mon encrier, ma plume, mon papier dans ma serviette que je noue par les quatre coins. Je sors dans les couloirs très animés, où les gardiens s’affairent et où des prisonniers commencent à affluer. On me met en tête de file, spécialement, et Alain Laubreaux est placé à mon côté. En troisième, un homme qui, malgré la fatigue de ses vêtements, a encore […] l’aspect d’un bourgeois d’avant 1914. Nous lui demandons qui il est. “ Daniel Renoult de L’Humanité ” nous dit-il […] On nous fait sortir dans la rue, qui est en état de siège, interdite à la circulation et gardée par des agents et des mobiles. Nous montons dans un autobus où […] il règne une température de bain turc […] Nous attendons longuement […] Enfin nous partons […] Dès la porte d’Orléans, nous avons une vision de débâcle. La route est affreusement encombrée des véhicules les plus hétéroclites, autos, voitures à cheval, charrettes, attelées ou à bras, bicyclettes, voitures d’enfant. Entassés sur tout cela des matelas, des meubles, des grappes de gens. C’est la fuite, la vraie fuite éperdue, une tristesse visible accable tous ces gens et un morne silence pèse sur cette foule ».

Dans Le Radeau de la Méduse, Léon Moussinac revient sur les conditions de transport des prisonniers, au départ de la Santé : « Les stores des autobus sont abaissés, les glaces qui ont été préalablement barbouillées de peinture sont fermées. L’air est étouffant […] Un chef mobile fait encore une fois l’appel et nous annonce les consignes : “ Défense de se lever de sa place sous aucun prétexte, de baisser les glaces. ” – Le premier qui bouge, une balle dans la peau. On se regarde. Il y a trois garde-mobiles sur la plate-forme. – Un joli voyage d’agrément qui s’annonce… »

Extrait du registre d'écrou de la prison de la Santé, le 10 juin 1940.

Extrait du registre d’écrou de la prison militaire de Paris, annexe de la Santé, à la date du 10 juin 1940,
jour de l’évacuation de la prison, mentionnant 1559 détenus « sortis dans le jour ».
Source Archives municipales de la Ville de Paris, D 2 Y 14/594.

Pierre Montagnon confirme le récit de Moussinac (42 rue de la Santé) et commente ainsi les événements du 10 juin, le départ désordonné et la fuite de la prison de la Santé : « L’approche de l’ennemi – il entrera dans quatre jours dans Paris – précipite l’évacuation de la prison. Par convoi de 20 à 25 véhicules, la Santé se vide de ses prisonniers, politiques et droits communs. Il est même quelques condamnés à mort qui partent les menottes aux mains. Les détenus s’éloignent. Le personnel reste. La Santé s’apprête à vivre […] quatre ans sous l’occupation allemande. »

Dans La prison sous Vichy, Pierre Pédron, sous-directeur à la Santé de 1989 à 1992, fait une relation détaillée de l’évacuation des prisons parisiennes par les autobus de la TCRP : « Certains détenus vont rester dix-huit heures confinés deux par deux, les chaînes aux pieds, dans des cellules miniatures (50 centimètres sur 50). Au départ, les prisonniers peuvent emporter quelques affaires de toilette (savon, brosse, peigne) et des victuailles (chocolat et sucre) […] Une pagaille indescriptible préside à ces transferts en catastrophe. Les conditions de déplacement sont précaires, tant au point de vue de l’encadrement que de l’alimentation. Les prisonniers sont accompagnés de leurs gardiens, mais aussi parfois d’unités armées. Ces terribles conditions ne sont rien cependant relativement aux exactions dont vont être victimes certains détenus. Outre le traumatisme créé par le bruit de la bataille et des avions qui survolent ces autobus bondés d’hommes enchaînés et qui tremblent de peur, des exécutions sommaires parachèvent ce tableau d’apocalypse d’une administration en déroute ».

La maison d’arrêt de la Santé, annexe de la prison militaire de Paris située rue du Cherche-Midi est évacuée le 10 juin 1940. Les étapes du repli passent par Orléans, les camps des Groües (Orléans), Cepoy (Montargis), Avord (Cher) et Gurs, le terminus. 1559 prisonniers quittent Paris, au départ de la prison de la Santé, et 297 au départ de la prison du Cherche-Midi, le même jour. Un peu plus de la moitié seulement parviendra jusqu’au camp de Gurs, dans les Basses-Pyrénées.

Pour en savoir plus sur le film Bon Voyage, cliquez sur le lien…

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