Repli de la prison militaire de Bordeaux sur le camp de Gurs, le 30 juin 1940

Trains en gare de Bordeaux Saint-Jean au début des années 50.

L’installation du tribunal militaire de la 18e région à Oloron Ste-Marie entraîne le repli de la prison militaire de Bordeaux sur le camp de Gurs, le 30 juin 1940. Le transfert se fait en train, de la gare de Bordeaux Saint-Jean. 155 prisonniers sont au départ, 141 arrivent à destination. 2 évasions, dont une spectaculaire en gare d’Orthez, émaillent le voyage. Le récit de ces événements rapporté par le commissaire Soulié, rattaché au tribunal militaire d’Oloron Sainte-Marie, n’est pas dénué d’intérêt…

« L’officier de Justice militaire de 2e classe SOULIÉ, commissaire du Gouvernement près le Tribunal Militaire permanent de la 18e Région replié à Oloron-Ste-Marie à Monsieur le Ministre de la Guerre, 10e Direction, Justice militaire, Clermont-Ferrand. Le 4 juillet 1940. »

Objet : Prévenus de la 18e Région militaire

Texte du rapport du commissaire du Gouvernement Soulié

« Comme suite à mon télégramme du 30 juin 1940, j’ai l’honneur de vous rendre compte que les détenus au Fort du Hâ à Bordeaux (136) auxquels ont été joints les prévenus libres en subsistance au Dépôt d’Infanterie N° 181 (14), ont fait mouvement de Bordeaux au Camp de Gurs dans la journée du 30 juin et la nuit suivante. »

Prison du Fort du Hâ, Bordeaux, 1940.

La maison d’arrêt du Fort du Hâ et son quartier militaire, Bordeaux. © Archives municipales de la Ville de Bordeaux.

« En gare de Bordeaux, par suite de la confusion qui s’est produite avec des troupes qu’on embarquait précipitamment, 9 prévenus se seraient évadés

Gare de Bordeaux Saint-Jean.

D’autre part, dans ce détachement escorté par 25 gendarmes, avaient été compris 5 condamnés à mort provenant de la Prison Militaire de Bordeaux, reconstituée pour les recevoir lors du repliement des Tribunaux militaires de Paris.

Parmi eux se trouvait l’espion MASSON (Charles, Julien) condamné par le 3e Tribunal Militaire de Paris, 2 Allemands, l’Alsacien SPIETH, et un Italien, ce dernier, je crois, condamné par le Tribunal Militaire de Lille. Au passage du train en gare d’Orthez, à la limite de la zone occupée, SPIETH aurait appelé à son secours les soldats allemands gardant la gare, lesquels auraient alors exigé, sous la menace de leurs fusils chargés, que les cinq condamnés leur fussent remis.

À partir de l’armistice de juin 1940, la ligne va se trouver coupée en deux entre la zone libre et la zone occupée, avec un stationnement obligatoire d’une demi-heure de tous les trains en gare d’Orthez, imposé par l’armée allemande d’occupation.

Ceci m’a été rapporté par le sous-lieutenant Chiaramonti, gardien-chef de la Prison de Bordeaux, qui suivait le convoi, avec son personnel, dans un autre train.

Train en gare d'Orthez.

J’en ai rendu compte à Monsieur le Général Commandant la 18e Région bis à Pau, en lui faisant observer, qu’à mon avis, les Allemands étaient sans droit pour exiger la remise du Français MASSON, auquel l’article 19 de la convention d’armistice ne semble pas s’appliquer.

J’attends des renseignements complémen-taires du Lieutenant Chiaramonti qui a rejoint Gurs.
Bien que je sois sans qualité pour m’immiscer dans des questions qui concernent le Service pénitentiaire ou d’autres tribunaux militaires que le mien, je ne manquerai pas de vous faire connaître les noms de tous les condamnés capturés.

Pour ce qui me concerne, j’ai signalé à Monsieur le Général Cdt la 18e Région bis les Allemands ou ressortissants allemands livrés à l’Allemagne en exécution de l’armistice.
Il s’agit des nommés : SCHOLZ Ernest ; WOHLRAT Gérard ; DAHMES Otto ;
REDLICH Léo,
Ordre d’informer de la 18e Région n° 1130 du 6 mai 1940.
LEONHART Albert, Ordre d’informer 18e Région n° 1405 du 3 juin 1940.
FREY Hans, Henri, Ordre d’informer 16e Région n° 551 du 6 mai 1940.
TANNENBAUM Oscar, Ordre d’informer 16e Région n° 581 du 19 mai 1940.
Ce dernier est de nationalité douteuse (né en Autriche annexée d’un père polonais).

Situation du Tribunal Militaire de la 18e Région – Installé provisoirement au Palais de Justice d’Oloron, localité où il y a un Barreau constitué, et située à 14 km du Camp de Gurs (d’où les prévenus seront amenés dans une camionnette sanitaire prêtée par l’Armée de l’Air), le Tribunal Militaire a repris ses travaux depuis deux jours.
Lorsque les affaires les plus urgentes seront réglées, sans doute dans le délai d’un mois, et que les inculpés pourront être incarcérés à la Maison d’Arrêt de Pau, actuellement bondée, je souhaiterais que mon Tribunal fût remplacé au siège de la région, à Pau.

Le Général ALTMAYER, qui la commande et auquel j’avais fait part de l’éventualité de la réunion à Toulouse, par mesure d’économie de personnel, des Tribunaux militaires permanents des 17e et 18e Régions, m’a chargé de vous exprimer son très vif désir de voir le Tribunal Militaire de sa Région, maintenu dans les limites de sa compétence territoriale actuelle, en raison des effectifs de troupe importants qui sont appelés à stationner sur son territoire pendant la durée de l’armistice (200.000 hommes actuellement).

L’État-Major de la 18e Région reconstitué, étant dépourvu d’officier idoine en matière de Justice Militaire, le Général a envisagé de faire appel au concours (officieux, jusqu’à décision de votre part) du Capitaine-Greffier LABRÉGÈRE, dont les fonctions au Tribunal Militaire de Cassation ne sont pas incompatibles avec cet emploi momentané. J’attacherais personnellement une grande importance, pour le bon fonctionnement du Service, à ce que M. LABRÉGÈRE y demeure quelque temps, même dans le cas où le Tribunal Militaire de Cassation serait prochainement dissous. »

Palais de Justice d'Oloron Sainte-Marie.

« Dissolution du Tribunal Militaire de la 2e Région – En exécution de votre circulaire n° 172 c/10 du 29 Juin 1940, mon Tribunal va prendre en charge les procédures du Tribunal Militaire de la 2e Région, dissous. […]
Renseignements divers – […] II – Ont été repliés :
À Oloron, une quinzaine de commis-greffiers et secrétaires des Tribunaux militaires de Paris, provenant du Camp de Souges, tous réservistes. Doivent-ils rejoindre le Tribunal Militaire de la 13e Région, ou attendre leur démobilisation sur place ?
À Gurmençon (à 3 kms d’Oloron) le Commissaire du Gouvernement (M. BLANC) le Juge d’instruction militaire (M. SEYFOURD) et un commis-greffire auxiliaire du Tribunal Militaire de la 10e Division (morcelée et, semble-t-il, privée de commandement). Ils ont avec eux leurs archives et attendent vos ordres. »

Ci-dessous : extrait du rapport « confidentiel » n° 5409 du commissaire Soulié, 4 juillet 1940, SHD-DAT, 13 J 1420.

Extrait du rapport du commissaire Soulié près le tribunal de la 18e région militaire, 4 juillet 1940.

Pour aller plus loin…

Lire sur ce blog :
Bref historique de la prison militaire de Bordeaux (1842-1947)
Au sujet des atrocités commises par les Allemands à la prison militaire de Bordeaux…
Ces fusillés de juin 1940 dont on ne parle pas…

Photo du haut : trains en gare de Bordeaux au début des années cinquante, hall de la gare Saint-jean, Coll. Mémoire Vive. Source.

Photo de l’horloge de Bordeaux Saint-jean : blog de Marion B. « Du côté du Teich ». Source.

Photo de la gare d’Orthez : Jean Sarsiat. Source.

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