Les peintures allégoriques et vichystes de la caserne Chanzy
Par Jacky Tronel | samedi 18 février 2012 | Catégorie : Dernières parutions, VARIA | 1 CommentaireLa presse bergeracoise (Sud-Ouest et Le démocrate indépendant) s’est fait l’écho de la construction prochaine, sur le site de la Caserne Chanzy, d’un lycée des métiers. Or, l’un des bâtiments de la caserne qui doit être démoli abrite les peintures des régiments qui ont stationné là à partir de 1877 ainsi que des fresques du 26e RI, d’inspiration vichyste. Le Conseil régional d’Aquitaine étudierait la question de savoir comment les sauvegarder…
Bref historique de la Caserne Chanzy
Construite de 1875 à 1877 sur un terrain de quatre hectares choisi pour abriter le 108e de ligne dont la ville de Bergerac venait de recevoir le cantonnement, la caserne Chanzy est occupée, après la dissolution du régiment en 1923, par différents corps de troupes : le 50e RI, puis par des tirailleurs sénégalais et, de juillet 1940 à novembre 1942, par le 3e bataillon du 26e RI. Le 30 novembre 1942, les Allemands prennent possession des lieux. Ils désarment et démobilisent les soldats du 26e RI et installent leur propre garnison d’environ 500 hommes. Le 21 août 1944, ils mettent le feu à la caserne avant de quitter précipitamment Bergerac. Depuis 1952 elle accueille la 17e Compagnie républicaine de sécurité (CRS).
C’est le bâtiment de droite (aile sud) qui nous intéresse où, semble t-il, rien n’a changé depuis la dernière guerre. C’est là que nous retrouvons les traces des précédentes occupations qui peuvent se décomposer en deux principaux ensembles: les fresques et maximes patriotiques évoquant le 108e dans une grande salle du rez-de-chaussée (côté sud) et les fresques symboliques consacrées à la période de Vichy et au cantonnement du 26e RI. Dans un précédent article, nous avons évoqué les graffiti des cellules disciplinaires datant de la période de l’Occupation allemande puis de la Libération [lien].
Les décorations du 108e RI
Dans une grande salle du rez-de-chaussée de l’aile sud, occupant la largeur du bâtiment (14 x 5 mètres environ), deux panneaux de dimensions quasi identiques (1,60 x 1,60 mètres environ) sont en vis-à-vis. Éclairées par les fenêtres qui les encadrent, ces fresques sont intéressantes à la fois par le sujet traité et le style pictural, mêlant réalisme et patriotisme.
Côté cour d’honneur, la scène représente un épisode de la guerre franco-prussienne : la charge de la garde nationale mobile à Villersexel (Haute-Saône), le 9 janvier 1871. Dans un cartouche surmontant le tout et encadré de feuillages, un numéro 10 désigne l’unité engagée. L’original provient d’une aquarelle d’Alfred Paris publiée dans l’ouvrage de Charles Malo, Champs de batailles de France (1899). La comparaison des deux œuvres laisse perplexe tant les similitudes sont nombreuses. La fresque de Chanzy est-elle une copie habile ou un original réalisé par l’auteur qui aurait été incorporé au 108e ? Mystère !
Lui faisant face, côté cour extérieure, le second panneau illustre une charge d’infanterie d’époque révolutionnaire. Tourné vers ses hommes, un officier incite la troupe à l’assaut en soulevant sa coiffure panachée de tricolore. Le chiffre 108 surmontant le cadre ainsi que le détail scrupuleux des uniformes (chapeau et casques des fantassins, uniforme blanc de l’ennemi autrichien couché à terre), font penser à un combat du 108e. Cette hypothèse est confirmée par le n° 12 de la revue Tradition qui publie un tableau en tout point identique : il s’agit de la bataille de Wattignies (Nord), le 16 octobre 1793, où une unité, ancêtre du 108e, aurait combattu.
Outre ces deux peintures murales, la pièce est décorée en hauteur d’une frise de feuillages. Au deux-tiers des murs, des vertus patriotiques alternent avec les noms des victoires du régiment. On trouve ainsi les quatre victoires: Hohenlinden (Bavière) le 3 décembre 1800, Austerlitz (Moravie) le 2 décembre 1805, Auerstaedt (Saxe-Anhalt) le 14 octobre 1806 et La Moskowa (Russie) le 7 septembre 1812. Elles figurent dans des cartouches de formes et de décors identiques (feuillage de deux roses). Une cinquième victoire plus sobrement encadrée (lauriers) renvoie à la part prise par le 108e au combat de Champigny, les 30 novembre et 2 décembre 1870.
Quand aux vertus patriotiques destinées à susciter et à entretenir l’esprit militaire, elles figurent dans des cartouches identiques aux couleurs entrelacées (lettres bleues sur fond gris) : « valeur, discipline, camaraderie, sacrifice, abnégation, héroïsme, courage, dévouement ».
L’état de conservation de ces fresques est relativement correct. En l’absence de date ou de signature, il est impossible d’en savoir plus sur leur origine.
Les fresques du 26e RI d’inspiration vichyste
À l’autre extrêmité du bâtiment, au rez-de-chaussée, côté entrée principale de la caserne, dans une pièce mesurant 6 x 6 m, des traces de peinture ont révélé, après grattage d’un enduit, une double fresque occupant la quasi totalité de la cloison.
L’ensemble se présente sous la forme de deux panneaux disjointifs. Celui de gauche est une grisaille de La Marseillaise de Rude surmontant le chapeau tricolore du 26e RI. La symbolique est sans ambiguïté : il s’agit de rappeler la gloire du régiment pour en fortifier l’esprit de corps. La fresque est ainsi légendée : « Batailles inscrites au drapeau du 26e RI ». Les noms sonr répartis sur deux colonnes : à gauche, les combats « glorieux » des anciens, à droite, ceux où s’illustrèrent leurs cadets : Fleurus (Pays-Bas autrichiens) en 1794, Constantine (Algérie) en 1837, Beni Mered (Algérie) en 1842, Sébastopol (Crimée) en 1854, Lorraine en 1914, Artois en 1915, Verdun (Lorraine) en 1916 et Aisne en 1917-18.
Pris dans la tourmente de 1940 et ne pouvant rejoindre son dépôt en zone occupée, le 26e RI (traditionnellement stationné à Nancy) se replie à Périgueux et Bergerac. Il est intégré dans l’armée d’armistice qui fut autorisée par les Allemands jusqu’au 27 novembre 1942. Son insigne représente l’étoile de Bethléem (marque des véhicules en 14-18), le chardon, la croix de Lorraine, le nom de la ville d’origine, Nancy, et la fourragère rouge pour citations obtenues durant la Grande Guerre.
Le second panneau est plus original par sa symbolique qui regroupe les thèmes classiques véhiculés par la propagande de Vichy. L’élément central de la composition est un chêne puissant, au tronc épais, autour duquel s’articulent différents symboles : dans la ramure, à gauche, l’écu à la francisque entouré de lauriers ; à droite, la France industrielle évoquée par des usines dont les cheminées fument. À gauche, un paysan laboure, préparant la récolte future tandis que la précédente est évoquée par d’énormes meules – une imagerie symbolique de la France rurale de Vichy qui prône les vertus de la terre. Enfin à la base, une colonne de soldats est en marche illustrant la renaissance de l’armée nouvelle. Suivant une didactique simple, le renouveau du pays est assuré par le respect des valeurs du travail et de la patrie.
Aux étages, les anciennes chambrées conservent des traces des maximes à demi-effacées, des blasons de provinces, des insignes régimentaires ainsi que l’écu à la francisque.
Enfin un nom et une date : « R. Schotte – 42 » peut-être la marque du décorateur. Le colonel Maurice Auduy, ancien du 26e, affirme qu’il s’agissait d’un soldat alsacien ou lorrain du 3e bataillon.
Le fait que ces fresques d’inspiration vichyste n’aient pas été effacées à la Libération, mais simplement recouvertes d’un enduit, les a remarquablement protégées des outrages du temps. Pour combien de temps encore ?
Le Conseil régional, le conseiller général Emmanuel Español et le maire de Bergerac, Dominique Rousseau, tiendront-t-ils la promesse qu’ils ont faite dans la presse de les préserver ? L’avenir le dira…
Ce texte doit beaucoup au travail effectué sur ces fresques par Jean-Louis Audebert, professeur d’histoire, recherche publiée dans la revue Arkheia n° 17-18, en 2006. Photos Hervé Couton et Jacky Tronel.
À lire sur ce blog :
Les graffiti des cellules disciplinaires de la caserne Chanzy à Bergerac
« Les fresques historiques de Chanzy menacées : patrimoine à sauver »
Bonjour,
Je viens vers vous suite à ce magnifique article sur les fresques de la CRS 17 de Bergerac.
J’ai été affecté à cette compagnie de 09/1978 au 04/1995, et avec l’aide de plusieurs collègues, notamment le collègue Luc LASFILLE, nous avions commencé à désaffecter une pièce du bâtiment sud pour y faire une salle de jeux pour nos enfants et ceux des collègues ayant un appartement de fonction dans l’enceinte de la compagnie.
Et à notre grande surprise nous avions découvert ces fresques. Après en avoir informé le Commandant d’unité, je pense que c’était le Commandant Roger PAGES, ou son prédécesseur dont j’ai oublié le nom. Nous avons arrêté les travaux et bien refermé les pièces où se trouvent ces magnifiques fresques. Et les années passantes cela en était resté là. Voilà mes brefs souvenirs et magnifiques moments d’émotions sur l’instant.
Respectueusement, Jacques Lacombe.