Aumônier bénévole des établissements pénitentiaires : un agrément si difficile à obtenir ?

"Sans foi ni loi – La religion en prison"

Il y a tout juste un an, Le Passe-Murailles, revue du Groupement Étudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées (GENEPI), consacrait un dossier à la question de la pratique religieuse en prison intitulé « Sans foi ni loi – La religion en prison ». Sur fond d’actualité juridique, deux articles retiendront notre attention : « Les religions de parloir : le trou du culte ? » de Martin Bégaud et l’interview de maître Michel Trizac, avocat de personnes détenues témoins de Jéhovah, par Élodie Riffaut.

Les religions de parloir : le trou du culte ?

Rencontre avec un visiteur de prison témoin de Jéhovah, par Martin Bégaud, trésorier national du GENEPI

Hors les murs, le statut des Témoins de Jéhovah est l’objet de vives polémiques : organisation sectaire pour certains, association cultuelle pour d’autres. En détention, les visiteurs témoins de Jéhovah ne bénéficient pas des mêmes possibilités que celles accordées aux aumôniers agrémentés.
Nous avons rencontré un ministre du culte pour proposer l’interprétation de ce traitement particulier…

Dossier "Sans foi ni loi – La religion en prison", Le Passe-Murailles, GENEPI

Martin Bégaud / Pouvez-vous présenter votre expérience en détention : depuis quand intervenez-vous, dans quel établissement pénitentiaire, et auprès de quels détenus ?
René Schneerberger / J’interviens dans le centre de détention de Bapaume dans le Pas-de-Calais, depuis 1999. Je vois en moyenne entre deux et trois détenus en permanence, mais ils ont changé au fur et à mesure des années, puisque certains ont été libérés, et d’autres sont arrivés au sein de la prison.

MB / Connaissiez-vous déjà ces détenus, ou sont-ce eux qui ont demandé à vous rencontrer ?
RS / Ce sont eux qui ont fait la demande. Le plus souvent, ce ne sont pas des témoins de Jéhovah, mais en tout cas ils sont pratiquants. Ce sont des personnes qui nous connaissaient avant leur incarcération, mais elles ne s’étaient pas spécialement intéressées à la question religieuse parce que leur mode de vie les accaparait par ailleurs. En prison, ils ont demandé à être visité pour connaître et approfondir la foi des témoins de Jéhovah et repenser leur rapport à Dieu.

MB / Comment, de votre côté, s’est prise la décision de proposer une intervention en détention, et de pouvoir présenter votre foi ? À quel niveau cela s’est décidé ?
RS / Cela s’est fait un peu par hasard ; ces personnes ont en général écrit au siège français à Louviers. Je ne réside pas loin de Bapaume. En ma qualité de ministre du culte, sensible à la détresse des détenus, je me suis porté volontaire.

MB / Pourquoi à titre personnel avez-vous choisi de visiter des détenus ?
RS / J’ai moi-même été incarcéré 17 mois à Fresnes à l’époque où les témoins de Jéhovah étaient en prison parce qu’ils refusaient de faire leur service militaire, pour objection de conscience. Donc il y avait une époque où de nombreux jeunes témoins de Jéhovah étaient incarcérés. À l’époque où j’étais détenu, on devait être en permanence 70 à Fresnes, et à peu près 600 ou 700 en France, pendant de nombreuses années. Donc j’ai connu le milieu carcéral de l’intérieur, même si j’appartenais à la catégorie des détenus d’opinion et non de droit commun.

MB / Comment concevez-vous votre rôle lors de vos visites ?
RS / Les personnes qui nous demandent de venir sont des personnes en manque de spiritualité, qui se posent des questions et qui demandent des réponses au niveau de leur foi, foi qu’ils ont ou qu’ils ont eu. Donc c’est une demande de leur part. C’est de leur part une soif spirituelle à laquelle on essaie de répondre. La réponse à leurs interrogations leur apporte une certaine sérénité. Par essence, le message évangélique parle aux plus démunis, aux exclus, aux parias. Cette parole de l’Évangile prend ici tout son sens : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais ceux qui vont mal. »

MB / Quelles difficultés posent le fait de ne pas se voir attribuer le statut d’aumônier ?
RS / Il y a plusieurs choses. Je me présente pour voir des personnes en tant que ministre du culte mais avec de simples permis de visite individuels, de droit commun. Pour vous donner une idée, ce permis ne me permet pas d’apporter une Bible. Si la personne a des questions bibliques à poser, je ne peux me reposer que sur ma mémoire. Je me souviens d’une époque où le seul livre qui était autorisé en prison c’était la Bible. Aujourd’hui, pour aller visiter un détenu qui est en demande spirituelle, je ne peux pas avoir de Bible avec moi. De plus le but est de pratiquer un culte, et le cadre du parloir n’est pas vraiment approprié, à cause du bruit et de la promiscuité, etc.

MB / À ce titre, le contrôleur général des lieux de privation et de liberté recommandait en avril 2011 que les intervenants des témoins de Jéhovah puissent bénéficier du statut d’aumônier. Il vous présentait comme une « religion de parloir ». Est-ce que cette expression est appropriée ?
RS / Dans le contexte actuel, puisqu’on ne peut voir les détenus que dans le cadre des parloirs familles, avec des rendez-vous individuels, cette expression décrit fort bien la pratique religieuse au rabais accordée à ces détenus. En 2010, la Halde avait relevé le caractère discriminatoire de cet état de fait.

MB / Concrètement, comment êtes-vous perçu par le personnel pénitentiaire, les autres intervenants au sein de la détention, les proches des détenus ou encore les autres aumôniers ?
RS / Je n’ai aucun contact avec les autres aumôniers, ni même les familles, je vois les personnes seules. Je ne suis vraiment en contact qu’avec les détenus. Les surveillants pénitentiaires que je croise depuis des années me connaissent. On a de bons rapports, il n’y a pas de problèmes particuliers, mais je suis considéré comme un membre de la famille du détenu qui vient le voir, ni plus ni moins. L’aspect religieux de mes visites ne ressort aucunement, puisque je suis considéré comme un visiteur lambda.

MB/ Est-ce qu’il y a une surveillance particulière de vos échanges avec les détenus?
RS / Particulière, non, me semble-t-il. Mais, les règles de surveillance propres au parloir s’exercent à plein. De son côté, le détenu est bien souvent fouillé intégralement au sortir du parloir.

MB / Les conditions d’accueil sont-elles suffisantes pour satisfaire les besoins des personnes qui vous sollicitent en prison ?
RS / Non. Comme je vous le dis, ce n’est pas du tout un cadre approprié. Dans une relation avec un aumônier, il peut se faire que la personne ait besoin de se confier. Or les détenus sont dans un parloir avec les familles. Ils ont toujours des craintes, fondées ou non, qu’au parloir ils soient surveillés, donc ils se sentent moins libres que dans un rapport privilégié avec un aumônier. Ils ne peuvent pas comme les autres détenus se confesser, aborder certains sujets dont ils ont envie de parler. Ils n’ont pas le sentiment de bénéficier de tous les droits accordés aux détenus. En outre, on ne bénéficie pas d’un cadre adapté à l’exercice du culte qui implique des actes comme la prière et les offices en groupe.

MB / Les détenus ont parfois du mal à exprimer pleinement ce dont ils veulent parler. Quel est selon vous l’apport de la religion quand les détenus n’ont pas les libertés indispensables pour pratiquer un culte ?
RS / La religion, mais dans un cadre cultuel, leur permettrait de s’exprimer plus facilement. Cela s’entend comme une relation privilégiée avec un ministre du culte, capable de répondre aux grandes interrogations existentielles et, éventuellement, de donner des conseils avec la Bible, de les amener à s’ouvrir, mais dans un cadre religieux, pas dans un parloir famille où on est entouré. Les parloirs à côté sont parfois bruyants. Il arrive que des familles se disputent, ça crie, on ne s’entend pas parler. Ce n’est pas un endroit digne pour l’exercice d’un culte.

MB / Quel est l’apport du message des témoins de Jéhovah en prison ?
RS / Le message des témoins de Jéhovah repose sur le message du christianisme, qui est porteur d’espérance, qui répond aux grandes questions de l’existence. Et le rapport à la transcendance est source de réconfort chez le détenu et produit chez lui une certaine sérénité. Le message biblique se justifie pleinement dans les prisons. J’apprends aux gens le respect des autres, aimer son prochain, rejeter toute violence… Ce sont souvent des personnes qui, ayant subi la violence dans leur jeunesse, sont devenues violentes par réaction. La religion leur permet de se remettre en cause, d’évoluer. Concernant leur réinsertion, je pense que c’est même un avantage. La foi les apaise et les aide à regarder les autres différemment : c’est-à-dire avoir un regard plus chrétien, respectueux de la dignité humaine. Et j’ajouterai même que le détenu peut améliorer ses relations avec les surveillants, l’administration, ou plus généralement son rapport à la Justice. Le christianisme est un mode de vie qui repose sur des valeurs telles la bonté, la patience, l’empire sur soi.

MB / La religion apporte de la sérénité, dites-vous, et permet de rejeter toute malhonnêteté envers son prochain. Comment trouvez-vous votre place à côté de la chaîne pénale ordinaire dans la lutte contre la récidive ?
RS / On apporte une religion. Le fait pour le détenu d’avoir une espérance, une foi, une croyance peut l’aider à affronter les difficultés liées à l’incarcération. Nous ne remettons jamais en cause les décisions de justice. Nous aidons la personne à y faire face par un comportement responsable.

MB / Quel regard portez-vous sur la punition, les crimes et délits dans votre religion ?
RS / Nous restons axés sur le message biblique, à savoir que les gouvernements, les autorités occupent une position que l’on doit respecter. L’Épître aux Romains rappelle que l’autorité publique est là pour punir les coupables de mauvaises actions. Si elle inflige une punition, il faut l’accepter, et en tirer les leçons pour repartir sur de bonnes bases.

MB / Votre religion propose une vision assez apocalyptique : dans les derniers jours avant la venue du Christ, on assiste à une hausse du nombre de crimes, de comportements violents et malhonnêtes…
RS / L’apocalypse, au sens étymologique, c’est la « révélation ». L’apocalypse révèle les événements qui marquent la venue du Christ et tous les bienfaits qui s’en suivent pour l’humanité : paix, bonheur, vie éternelle. Les textes bibliques disent que le monde actuel va mal. C’est un constat, les crises que le monde traverse aujourd’hui, telle la crise financière, conduisent les gens à se rebeller, génèrent la violence, ce qui aggrave encore la situation. Nous encourageons les gens à ne pas aller dans le sens de la violence, bien au contraire. Nous les incitons à ne pas se laisser entraîner par le tourbillon de la violence et de ne pas s’engager sur la voie de la criminalité. Nous invitons les gens à s’approprier les valeurs évangéliques : aimer son prochain, respecter les autres, être pacifique. Le fait que la Bible dit que le système va en se dégradant ne signifie pas qu’il faille se laisser glisser sur cette pente.

MB / Comment portez-vous ce message en détention auprès de personnes qui, peut-on dire, sont « entraînées » par ce mouvement du monde ?
RS / Je vais vous donner un exemple concret. Un détenu que je visitais, l’autre jour, m’expliquait qu’il ne savait pas pardonner et qu’il ne respectait plus rien, ni les autorités, ni les surveillants. Je ne cherche pas à savoir ce que les détenus ont commis mais lui me confiait qu’il était violent. Et depuis qu’il étudie la Bible, malgré les conditions de vie difficiles en détention, il a appris à pardonner, à devenir calme, à respecter les autorités, les gardiens, etc. Il a évolué dans son attitude avec les autres.

MB / Comment est évoquée la victime lors de vos rencontres ?
RS / Il est déjà arrivé que certains m’en parlent. Bien sûr, il s’agit de ce que le détenu veut bien en dire ou peut en dire dans un parloir. Parce que ce n’est pas le cadre d’une confession. Jamais je ne remets en cause les décisions de justice. J’encourage le détenu à comprendre qu’il a un devoir envers la société, par le respect des lois, mais aussi qu’il a une responsabilité envers la victime. Par contre, comme on a un message de pardon et d’amour dans la Bible, on va lui montrer qu’on peut passer outre, et chercher à s’améliorer, changer de personnalité.

MB / Prenez-vous en compte les problèmes sociaux ou les histoires familiales des individus que vous rencontrez ?
RS / Là encore, la personne peut vouloir aborder son passé ou ne pas le faire. En fonction de ce qu’elle évoque, je reviens sur ce que la Bible enseigne sur la façon de conduire sa vie. Quand leur vie est en décalage, je l’invite à y réfléchir et à voir ce qu’il peut faire pour devenir un homme meilleur.

MB / S’agit-il d’essayer de redresser les comportements des personnes ?
RS / C’est plus précisément aider la personne à voir comment, elle, peut redresser sa vie. C’est elle qui doit faire les efforts. Moi, je ne peux que donner des conseils sur la manière de respecter les autres, respecter sa femme, ses enfants et manifester de l’amour du prochain. Par exemple, chez les témoins de Jéhovah, la fidélité conjugale est quelque chose d’important, on va donc leur enseigner ce genre de principes. Après, la personne l’applique ou ne l’applique pas, mais c’est ce genre de message qu’on va transmettre.

MB / L’un des aspects de votre religion est l’évangélisation d’autrui. Allez-vous en prison rencontrer des personnes qui se convertissent plus facilement ?
RS / Est-on vraiment sûr que les personnes se convertissent plus facilement en prison qu’à l’extérieur ? Nous visitons uniquement les personnes qui en font la demande.

MB / Est-ce que ces personnes essaient d’exprimer le message des témoins de Jéhovah en détention ?
RS / À Bapaume, ce sont souvent des longues peines qui touchent à leur fin. Je ne les vois jamais plusieurs années. Certains ont-ils parlé de leurs convictions autour d’eux ? Tout est possible, je n’en sais rien. Lorsqu’un détenu s’amende, certains peuvent lui demander pourquoi et alors il peut en venir à leur expliquer et leur raconter sa vie. On n’a pas de recherche de prosélytisme dans la prison. En ce qui me concerne, j’apporte une aide spirituelle aux personnes qui en font la demande et uniquement dans ce cadre.

MB / Pour revenir sur la question du statut que vous occupez en détention, quelle impression avez-vous de votre place à l’égard de celle des autres aumôniers ?
RS / Le refus du statut d’aumônier est une injustice parce que la loi prévoit qu’un détenu a le droit de recevoir l’aide d’un ministre du culte agréé. L’administration pénitentiaire nous oppose le fait qu’il n’y aurait pas suffisamment de demandeurs. Ce serait plutôt un critère de qualité parce qu’il n’y a pas beaucoup de témoins de Jéhovah en prison, c’est plutôt bon signe. Mais, tout détenu, selon la loi, doit pouvoir exercer son culte en détention, fût-il seul. C’est ce qui a été jugé. La situation présente est donc anormale et c’est pourquoi le statut d’aumônier doit nous être accordé pour que chaque détenu ait les mêmes droits, quelle que soit sa religion.

MB / Attendez-vous impatiemment l’arrêt du Conseil d’État ?

RS / Oui, je l’attends avec confiance. Cela fait des années que je vois des détenus, que je tente de leur apporter une aide spirituelle et morale, mais les conditions sont difficiles. C’est sûr que j’aimerais personnellement que la situation évolue dans le sens d’un plus grand respect des droits des détenus. Ils sont déjà en situation de restriction de libertés. Mais à partir du moment où la loi octroie un droit à un détenu, il est tout à fait juste qu’il soit accordé.

MB / Vous qui avez connu l’enfermement, quelle est votre vision à rebours des vingt années qui se sont écoulées, sur l’évolution des droits des témoins de Jéhovah en détention ?
RS / Je dirais qu’il y a un certain recul. Quand j’étais incarcéré en tant qu’objecteur de conscience, je bénéficiais chaque semaine de la visite d’un ministre du culte des témoins de Jéhovah. Il tenait des offices religieux avec l’autorisation de l’administration pénitentiaire alors qu’il n’avait pas l’agrément d’aumônier. Par la suite, quand je suis devenu ministre du culte intervenant en prison, j’ai pu assister spirituellement des détenus, certes au parloir seulement, mais avec ma Bible, sans problème. La situation s’est dégradée avec le rapport d’enquête parlementaire sur les sectes de 1995 qui a tout faussé dans la façon dont l’administration pénitentiaire a considéré les témoins de Jéhovah. Les détenus ont des droits garantis par la loi, mais dès lors qu’il s’agit d’un témoin de Jéhovah, ces droits lui sont refusés. C’est une violation du grand principe d’égalité de tous devant la loi. C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers la justice, confiants que la loi sera respectée.

Rencontre avec maître Michel Trizac, avocat

Maître Michel Trizac est avocat de personnes détenues témoins de Jéhovah. Il est interviewé par Élodie Riffaut, du GENEPI-Fresnes.

Élodie Riffaut / En mai dernier, la Cour administrative d’appel (CAA) de Paris a rejeté l’appel du ministère de la Justice qui refusait jusqu’à présent de délivrer le statut d’aumônier des prisons aux ministres du culte des témoins de Jéhovah arguant notamment le nombre de personnes concernées trop faible. Quelle sont les suites données à cet arrêt ?
Maître Michel Trizac / Concernant la décision rendue par la CAA de Paris en mai dernier, celle-ci n’est pas définitive, l’affaire est toujours pendante, le garde des Sceaux a formé un pourvoi en Cassation devant le Conseil d’État. Deux solutions sont donc désormais possibles, soit le Conseil d’État va rejeter le pourvoi en cassation car ce dernier ne repose pas sur des moyens sérieux (s’il est invoqué par exemple que les témoins de Jéhovah ne sont pas assez nombreux), soit l’arrêt de la CAA va être cassé. Sur les suites pratiques, plusieurs candidats à l’agrément ont fait leur demande auprès des Directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP). En parallèle, trois autres dossiers sur ce même sujet sont en cours. Notamment un à la DISP de Strasbourg. De plus, il y a quelques jours, la CAA de Nancy a audiencé une affaire similaire à celle qui a été présenté devant la CAA de Paris en mai dernier. Nous pensons que la décision sera identique et viendra donc confirmer l’arrêt rendu au mois de mai, le rapporteur public s’étant prononcé sur un rejet de l’appel formé par les représentants du garde des Sceaux. Enfin, un autre dossier va également être audiencé par la CAA de Douais d’ici quelques jours.

"Sans foi ni loi – La religion en prison", Le Passe-Murailles n° 32

ER / L’arrêt de la CAA change-t-il considérablement les choses pour les personnes témoins de Jéhovah incarcérées ?
MT / Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de nombreuses décisions rendues ces derniers mois et années.
Le 21 juin 2010, le tribunal administratif (TA) de Paris avait rendu plusieurs décisions annulant la décision du garde des Sceaux et des DISP de désigner un aumônier bénévole des témoins de Jéhovah par région pénitentiaire, ou tout au moins un aumônier bénévole national.
On peut également se référer à la décision collégiale qui avait été rendue par la Halde le 22 février 2010 qui avait été saisie du refus opposé aux demandes d’assistance spirituelle par un ministre du culte des témoins de Jéhovah et de son agrément en tant qu’aumônier auprès du centre de détention de Val-de-Reuil, selon laquelle de tels refus constituent une discrimination fondée sur la religion des personnes.

ER / Le contentieux relatif aux détenus témoins de Jéhovah est-il important ?
MT / Ce contentieux est important non pas d’un point de vu quantitatif mais d’avantage dans le sens où il se décline en plusieurs domaines. L’aumônerie n’étant qu’une facette de ce contentieux. En ce moment, nous attendons une décision de la CAA de Nantes qui sera rendue en ce qui concerne les ouvrages religieux. Nous ne pouvons que constater le fait qu’il est parfois très difficile, voire impossible, pour les ministres du culte d’entrer en détention avec leur ouvrage, ce qui pose de véritables problèmes dans la pratique du culte des témoins de Jéhovah. De nombreux ministres du culte se voient également refuser l’octroi d’un permis de visite de droit commun par le chef d’établissement. Enfin, récemment, nous avons pu soulever devant le juge les limites de l’octroi d’un permis de visite de droit commun à un ministre du culte. Les personnes détenues, lorsqu’elles se rendent au parloirs pour rencontrer les ministres du culte, sont la plupart du temps soumises aux fouilles intégrales, l’administration pénitentiaire arguant du fait que le parloir est un lieu sensible à cause du contact avec l’extérieur. On comprend donc la réticence des témoins de Jéhovah à rencontrer leur ministre du culte si cette rencontre est soumise à la fouille avec, on le sait, le sentiment d’humiliation que celle-ci entraîne sur les détenus.

ER / Peut-on dater l’apparition de ce contentieux ? En effet, pour beaucoup de personnes, les témoins de Jéhovah sont reconnus comme appartenant à une secte, il paraît donc inconcevable qu’une jurisprudence constante soit rendue en leur sens…
MR / Jusqu’au milieu des années 1990, l’objection de conscience des témoins de Jéhovah était punie d’une peine d’emprisonnement. Cela a pris fin en 1995 avec la mise en place, par le ministère de la Justice, de décisions d’astreintes aux fins d’accomplir un service civil. Depuis 1993, date à laquelle ont été rendues les première décisions relatives à ce contentieux, les cours et tribunaux français reconnaissaient officiellement le culte des témoins de Jéhovah, ils rappellent également régulièrement que ce mouvement ne trouble pas l’ordre public. Les premiers contentieux étaient surtout concentrés sur les taxations des dons manuels des fidèles et cette question n’est toujours pas réglée aujourd’hui. Rappelons également la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme qui a clairement reconnu que les témoins de Jéhovah pratiquaient un religion, que celle-ci ne troublait pas l’ordre public et que par suite elle ne saurait subir sur l’ensemble des territoires couverts par la Convention de discrimination, d’atteintes quelconques à la liberté de culte.

ER / Quels sont alors les motifs invoqués par l’administration pénitentiaire lorsqu’ils empêchent un ministre du culte d’entrer en détention ou d’amener une Bible ?
MT / Plusieurs motifs ont déjà été invoqués : le caractère sectaire du contenu d’un ouvrage, des missions interministérielles de vigilance et de luttes contre les dérives sectaires ou plus simplement la réglementation en vigueur et la crainte de voir les demandes d’autres associations religieuses de faire les mêmes demandes.

ER / Ces motifs n’ont donc pas de valeur juridique ?
MT / La classification de secte repose sur une rapport parlementaire qui n’a nullement de valeur juridique en effet. Mais il arrive que d’autres arguments, tout aussi mal fondés, soient invoqués : le fait que les aumôniers pourraient éventuellement, par la suite, demander à être rémunérés (alors que, pour l’instant, ils sont bénévoles), le nombre trop peu élevé de pratiquants, le prosélytisme…

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Source : Le passe murailles, publication du GENEPI (Groupement Étudiant National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées), septembre/octobre 2011, p. 52-57. Lien

Lire sur ce blog : Le criminel « irrécupérable » et le Témoin de Jéhovah [lien]

1 Commentaire de l'article “Aumônier bénévole des établissements pénitentiaires : un agrément si difficile à obtenir ?”

  1. Frédéric dit :

    Bonjour,
    J’ai trouvé cet article très intéressant. Bien que cet article date de 2012, la jurisprudence du Conseil d’État a validé officiellement l’agrément des aumôniers Témoins de Jéhovah le 16 octobre 2013.
    Voici concrètement comment les Témoins de Jéhovah apportent une aide spirituelle à des détenus qui en font la demande: http://www.jw.org/fr/temoins-de-jehovah/activites/actions-d-interet-public/video-verite-biblique-aide-prisonniers/

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