La 7e fresque de St-Sulpice la Pointe, enfin sortie de l’oubli

7e fresque de Boris Taslitzky au camp de St-Sulpice la Pointe dans le Tarn

Le 22 janvier dernier, François Bordes, directeur des Archives municipales de Toulouse, m’annonçait qu’une exposition rétrospective sur l’œuvre photographique de Germaine Chaumel était en préparation, pour l’automne 2012. Il ajoutait : « C’est dans ce cadre que nous avons eu accès à l’ensemble des négatifs et des tirages conservés par la famille, d’abord avec la fille de Germaine, Paquerette, qui est malheureusement décédée en juillet 2010, puis avec sa petite fille, Pilar, depuis cette date, et j’ai le plaisir de vous annoncer que nous avons retrouvé la photo de la 6e fresque (chapelle) et surtout de la 7e qui vous manquait… » Ce message faisait suite à un article publié sur ce blog le 18 juillet 2010, dans lequel je déplorais que nous ayons perdu la trace d’une des 7 fresques peintes par Boris Taslitzky au centre de séjour surveillé de Saint-Sulpice la Pointe (Tarn), au début de l’année 1944.

« Aux armes, citoyens »

À défaut de posséder une photo de cette fresque, nous disposions de deux descriptions de l’œuvre. Voici la première, elle nous vient d’Aragon : « Il y a plus singulier : ces cinq hommes sans armes qui se tiennent par le bras, comme s’ils étaient devant des mitrailleuses et que surmonte une Marseillaise, avec les mots sacrés : ‘Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons !’ Cela a été peint dans le moment où le maquis mobilisait. Songez donc ! » ainsi parlait Louis Aragon, ami de l’artiste, qui attribua à Boris le titre de Maître de Saint-Sulpice, tandis que ce dernier se trouvait encore prisonnier au camp de Buchenwald.

La seconde description a pour auteur Édouard Julien, conservateur du Musée Tououse-Lautrec, à Albi : « Tous les personnages sont au moins grandeur nature. Ils paraissent peints à la colle en camaïeu brun, avec retouches bleues et rouges pour les drapeaux. Cinq personnages chantent ensemble l’hymne de la liberté. Au-dessus d’eux plane une allégorie rappelant la Marseillaise de Rude ».

Ci-dessous, la photo de la 7e fresque : « Aux armes citoyens – Formez vos bataillons »

Fresque peinte par Boris Taslitzky, interné politique au camp de St-Sulpice la Pointe (Tarn)

Photo Archives photographiques Germaine Chaumel, aimablement communiquée par M. François Bordes,
Conservateur en chef du Patrimoine, Directeur des Archives municipales de Toulouse.

La question de la conservation des fresques de Boris Taslitzky à l’étude…

Le 15 décembre 1945, l’architecte départemental adresse un rapport au préfet du Tarn dont voici les termes : « Conformément à vos instructions je me suis rendu, hier 14 décembre, au Camp de St-Sulpice, en compagnie de Monsieur Edouard JULIEN, conservateur du Musée de Toulouse-Lautrec, pour examiner la façon dont on pourrait enlever et transporter les fresques que le peintre Boris TASLITZKI [sic] a exécutées sur les panneaux de bois de certains baraquements, au cours de son internement.

Ces fresques à grands personnages, sont peintes à même les planches constituant les cloisons séparatives de l’intérieur des baraquements. Elles sont exécutées dans les baraquements portant les numéros 5, 6, 18 et 19 et dans la chapelle installée dans une partie du baraquement N° 3.

Toutes ces fresques sont à l’eau et peintes sur la paroi de bois préalablement badigeonnée à la chaux ou au blanc soi-disant fixe – si le badigeon à tendance à s’écailler, la fresque s’efface facilement au moindre frottement. C’est pourquoi, il serait nécessaire, même indispensable de fixer ces fresques, avant toute opération. Cette opération se fait à l’aide d’un produit spécial, que les peintres connaissent bien, et qui s’appelle “fixatif”. Ce fixatif à base d’alcool s’applique sur le dessin à conserver à l’aide d’un vaporisateur, ou mieux encore d’un “pistolet”.

La paroi de la cloison est constituée par des lames de parquets, clouées sur des poteaux verticaux et traverses horizontales allant du plancher du baraquement à la ferme de la toiture. Ces panneaux mesurent 2.20 de hauteur et 4.00 de large, y compris la partie haute, triangulaire, épousant la forme de la toiture. Mais la fresque ne commence qu’à partir de 0,80 centimètres du sol. Toute la partie haute est en carton gauffré.

Pour ne rien dissocier de l’ossature du baraquement, il semble que le moyen pratique aurait été d’enlever le panneau du parquet lame à lame, en ayant soin de numéroter chaque lame, de façon à les repérer pour le remontage. Mais ce travail risquerait d’abîmer la fresque à chaque joint des lames, et le badigeon de la fresque écaillé, de tomber par pellicules. À la réflexion, ce travail, qui n’aurait eu pour but que de préserver l’ossature d’une ferme, serait peut-être plus coûteux que la réparation ou la consolidation de la ferme, et risquerait certainement d’abîmer irrémédiablement la fresque.

La solution que nous proposons serait donc la suivante : Faire au préalable un châssis en bois, avec croisillon, qui se visserait fortement sur les poteaux et traverses de la cloison. On découperait ensuite à l’égoïne la partie basse de la cloison, à hauteur de cymaise et après avoir scié les poteaux ou traverses au droit des panneaux verticaux des pans de bois du baraquement, on aurait ainsi un grand panneau de toute la fresque, d’un seul tenant et rien ne serait abîmé. Seulement il faudrait au préalable soutenir les pannes de la ferme par des étais verticaux, à droite et à gauche du panneau fresque, pour remplacer l’ossature de la ferme qui faisant corps avec le panneau de la fresque aurait été enlevé avec lui. »

Fresque de la chapelle du camp de St-Sulpice la Pointe, peinte par Boris Taslitzky en 1944

Photo Archives photographiques Germaine Chaumel.
« Devant sa croix, un Christ qui porte agressivement les caractères raciaux des Juifs tend ses poignets ornés de menottes et,
de part et d’autre de lui, une vieille femme du peuple, un homme chauve et maigre en haillons regardent et touchent le martyr avec
une expression d’angoisse et de pitié. La colombe est au-dessus de la tête porteuse d’épines. Et le fond de la scène est tricolore.
Un ciel qui fait un drapeau bleu, blanc, rouge. »
On doit cette description au poète Louis Aragon.

« Le travail d’enlèvement de la fresque de la chapelle, fresque qui à notre avis est un morceau remarquable, sera plus important car si le panneau de bois est moins large, 2.00, il est de toute la hauteur, depuis le plancher jusqu’au faîte de la toiture, mais le détail de l’opération s’il est plus long que celui des autres baraquements, se fera par les mêmes procédés. Il s’agira ensuite d’enlever ces grands panneaux de l’intérieur des baraquements, de les charger et de les transporter. L’emballage et le transport devront être faits avec soin et confiés de préférence à des spécialistes.

Nous estimons que non compris les frais d’emballage et de transport, il faut prévoir une dépense de 8 à 10.000 francs par fresque. Cette dépense comprendra : 1°. Le fixage de la fresque par un peintre-spécialiste (Monsieur Sudre, à Albi, peintre-décorateur, pourrait se charger de ce travail. 2°. La confection d’un châssis ou cadre en bois et sa fixation au panneau de la fresque. 3°. Le découpage de ce panneau et son détachement des parois du baraquement. 4°. L’étaiement provisoire des pannes de la toiture. 5°. Le moisage de la ferme, la fourniture et la pose de poteaux et traverses, après l’enlèvement de la cloison portant la fresque, et le remplacement de la cloison en lames de parquet. 6°. Enfin la manutention de la sortie de la fresque de l’intérieur du baraquement. Puisqu’il y a 6 panneaux, la dépense globale, sans emballage et transport, serait pour l’enlèvement de ces fresques, de l’ordre de 50 à 60.000 francs. Il serait peut-être utile sinon prudent de photographier ces fresques avant tout travail. »

Les fresques à jamais perdues du camp de St-Sulpice la Pointe

Il semblerait qu’une subvention de 100.000 francs ait bel et bien été accordée par le ministre de l’Éducation nationale afin de procéder à l’enlèvement des fresques en vue d’organiser une exposition de ces peintures au Musée des Augustins, à Toulouse. Les initiateurs de ce projet sont l’écrivain et poète Tristan Tzara, président du Centre des Intellectuels, et Jean Cassou, directeur-fondateur du Musée national d’art moderne de Paris et premier président de l’Institut d’études occitanes, ami de Boris et ancien codétenu, à la prison militaire de Mauzac (Dordogne).

En janvier 1946, une association pour la création d’un Musée de la Résistance à Toulouse est formée. Jean Cassou en est le président. M. Montariol, architecte en chef de la Ville de Toulouse est chargée des travaux de transfert des fresques.

La dernière évocation de ce transfert remonte au 2 février 1946. Le préfet du Tarn, Edmond Cornu, adresse un courrier au secrétaire de l’association pour la création d’un Musée de la Résistance à Toulouse, autorisant MM. Tzara, Montariol et Debat, adjoint au Maire, à pénétrer dans le camp de Saint-Sulpice « pour examiner les conditions dans lesquelles peuvent être démontés et transférés les panneaux peints par l’intéressé Taslitzki [sic]. »

Les archives départementales du Tarn que j’ai consultées sur ce dossier (cote 493 W 59), ne nous en apprennent pas davantage sur le devenir des 7 fresques peintes en 1944 par l’interné administratif Boris Taslitzky. L’enquête reste à mener…

Les 7 fresques du « Maître de Saint-Sulpice » : Boris Taslitzky…

1.« Une autre chanson française à ses lèvres est montée, finissant la marseillaise pour toute l’humanité »
2.« Mes fils soyez contents, l’honneur est où vous êtes »
3.« Par de là ces fusillades, la liberté nous attend »
4.« Marianne »
5.« Marchons tous unis devant la vie »
6.« Chapelle »
7.« Aux armes citoyens, formez vos bataillons »

Pour en savoir plus sur Boris Taslitzky, lire sur ce blog :

Les fresques de Boris Taslitzky au camp de Saint-Sulpice la Pointe
Quand Boris Taslitzky témoignait des conditions de survie dans les prisons de Vichy
Cent-onze dessins de Boris Taslitzky faits à Buchenwald

1 Commentaire de l'article “La 7e fresque de St-Sulpice la Pointe, enfin sortie de l’oubli”

  1. Ciaravolo nicole dit :

    Très émue par ces lectures.
    Mon oncle Jean-Baptiste IVALDI a séjourné dans le camp et je possède quelques lettres.
    Il n’est pas revenu de Buckenwald après son départ par le dernier convoi…
    Quand aura lieu l’expo de Toulouse?
    Merci

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