Cent-onze dessins de Boris Taslitzky faits à Buchenwald
Par Jacky Tronel | vendredi 9 décembre 2011 | Catégorie : Dernières parutions, DES CAMPS… | Pas de commentaire« Je voudrais savoir moi aussi dessiner pour les montrer dans cet enclos du crime, face à face : ces hommes, ces penseurs, ces artistes, ces savants, soldats de la noble cause de la Culture, de la Beauté, de la Civilisation, de l’Humanisme et le monstre fasciste botté, le revolver, la mitraillette ou le gourmi à la main, terrorisant, assassinant hommes et femmes et aussi des enfants seulement coupables de ne pas appartenir à la prétendue race supérieure. C’est dans ce cadre dantesque où s’affrontaient l’Esprit et la Bête que Boris Taslitzky a croqué ses immortels dessins, qui, pour un si grand nombre d’entre nous, sont et resteront éternellement bouleversants. Ces dessins projetés, ces dessins réalisés, achevés, témoignages à tout jamais irrécusables d’un drame inimaginable pour la raison humaine, dans lequel le fascisme avait projeté les descendants de l’an II, symbole de l’amour de la liberté et de l’honneur de l’homme. »
Ainsi s’exprimait en mars 1978 Marcel Paul, l’un des responsables de l’organisation clandestine au sein du camp de Buchenwald, dans un avant-propos présentant les cent-onze dessins-témoignages réalisés par Boris Taslitzky.
Témoignage de Julien Cain
Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque nationale révoqué par le gouvernement de Vichy, compagnon de lutte de Boris à Buchenwald témoigne : « Je revois ma première rencontre avec Boris Taslitzky à Buchenwald, à l’automne 1944, au premier étage du block 40, dans le lavabo ou ‘waschraum’ qui nous servait ce jour-là de lieu de réunion. Il s’agissait d’organiser parmi les Français du camp un concours de poésies, de récits en prose et de dessins. De ce concours devaient sortir des œuvres émouvantes et sincères, quelques-unes pathétiques, d’autre simplement charmantes. Le ‘Jury’ avait estimé que ce premier et timide effort vers une vie spirituelle et collective dans ce camp de mort devait être expliqué et commenté par un manifeste. Boris Taslitzky avait été chargé de le rédiger. Il le lut d’une voix à la fois timide et assurée. Il définit avec précision une sorte d’Art poétique dont les formules vigoureuses me frappèrent, et il termina en nous lançant comme un défi les vers du ‘Lancelot’ d’Aragon que je ne connaissais pas encore : Vous pouvez me frapper en voici la raison / Riez de mon silence et souillez ma figure / Je ne pratique pas le pardon des injures / Lorsque je ne dis rien c’est que j’ai mes raisons… »
« Depuis ce jour, j’ai revu bien souvent Boris Taslitzky. Je l’ai vu travailler. Je l’ai vu devant ses modèles, composant sans hâte des portraits de détenus, ses camarades, que son crayon approfondissait peu à peu et qu’il chargeait d’expression. Je l’ai interrogé. J’ai voulu connaître sa formation, celle de l’artiste et celle de l’homme. Et j’ai compris comment, sans l’avoir recherché peut-être, par le jeu naturel des forces qui étaient en lui, Boris Taslitzky était devenu l’incarnation même de l’artiste révolutionnaire. »
« Le crayon souvent amusé de l’artiste nous promène à travers le camp. Il retient au passage telle figure, tel accoutrement bizarre, des groupes de travailleurs se chauffant autour d’un maigre feu, des rassemblements pour une corvée. Le tragique n’est pas loin. L’étonnant « Jeune Français » [autoportrait], presque élégant, sûr de lui, qui a pris la mesure des hommes et des choses du camp, peut avoir un instant surmonté sa misère ; son sourire va se figer au premier tournant, quand il tombera sur un cortège de morts ou de moribonds… Dans cette rencontre avec la Mort, l’art de Boris Taslitzky va s’affimer de manière décisive. »
« La Mort, toujours et partout présente à Buchenwald, apparaît d’abord furtivement dans des scènes qui représentent des demi-morts, des morts virtuels, des corps que la faim et le travail ont épuisés et qui ne sont plus que des squelettes ambulants. Ils se serrent les uns contre les autres. Ils se rassemblent pour ne former qu’une seule masse qui se meut lentement. On se persuade que chacun d’eux, s’il venait à tomber, entraînerait tous les autres dans sa chute. »
« Et quant aux camps d’extermination, si la reproduction cinématographique nous a apporté des documents d’une vérité qui surprend et qui bouleverse, il y a une limite qu’elle ne peut dépasser et que, par le sortilège de son art, avec son crayon et quelques couleurs, un peintre inspiré d’un seul bond franchira. Dans cette confrontation tragique avec la réalité, Boris Taslitzky, artiste révolutionnaire, n’a pas détourné la tête et l’on a vu se multiplier toutes les puissances d’invention et d’expression qui étaient en lui. » Julien CAIN, 1945.
Boris Taslitzky en son atelier parisien, le 6 juin 2002
En 2002, alors que je préparais un article biographique pour la revue d’Histoire Arkheia (« Boris Taslitzky, le Maître de Saint-Sulpice »), je rencontrais l’artiste dans son atelier situé 7 rue Ricaut (Paris 13e). À cette occasion Boris me dédicaçait le magnifique coffret-témoignage des Cent-onze dessins faits à Buchenwald : « Pour Jacky Tronel, très fraternellement, Boris Taslitzky »…
Pour aller plus loin, voir le site officiel : ici
Lire sur ce blog : « Les fresques de Boris Taslitzky au camp de Saint-Sulpice la Pointe »