Projet de construction à Paris d’une prison militaire modèle en 1819
Par Jacky Tronel | jeudi 3 février 2011 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | Pas de commentaireÀ la fin de l’année 1819, le Baron Haxo, inspecteur général des fortifications,
se voit confier la présidence d’une commission créée en vue d’étudier le projet
de construction à Paris d’une prison militaire « destinée à servir de modèle aux établissements de ce genre ». La commission est chargée d’examiner là où il conviendrait d’implanter cette nouvelle prison, de réfléchir
à un système de détention conforme aux idéaux philanthropiques, d’en évaluer le coût et d’en prévoir le financement conjointement avec le ministre de l’Intérieur.
François Nicolas Benoît Haxo (1774 – 1848),
Baron d’Empire, lieutenant général du Génie,
surnommé « le Vauban du XIXe ».
La Société royale pour l’amélioration des prisons
… et les prisons militaires
Le 9 avril 1819, la Société royale pour l’amélioration des prisons est créée par Louis XVIII, sur proposition du comte Decazes, ministre de l’Intérieur.
Le 14 juin 1819, Louis Gabriel Suchet, maréchal duc d’Albufera, est nommé
à la tête de la commission de surveillance en charge des prisons militaires de Paris.
Le 19 juillet, dans un courrier adressé
au maréchal de Gouvion Saint-Cyr, le maréchal Suchet attire l’attention du ministre de la Guerre sur un projet dont
l’« exécution formerait le point de départ pour les améliorations à établir successivement dans le système régénéré des prisons ».
Il suggère que soient vendus « les bâtiments de Montaigu […] ainsi que la prison insalubre de l’Abbaye et l’hôtel rue du Cherche-Midi, où siègent les conseils de guerre » et propose la construction d’une « prison à Paris, qui servirait de modèle à toutes celles du Royaume […] de manière à contenir 400 détenus classés méthodiquement, et à recevoir le tribunal et les bureaux des conseils de guerre, les greffes & co ».
Le plan de la future prison militaire de Paris vient de Londres
C’est un juriste, Charles Cottu, membre de la Société royale pour l’amélioration des prisons, qui a rapporté ce plan de Londres et l’a déposé au ministère de l’Intérieur. Il « ne laisse rien à désirer », rapporte Ch. Houel, chef du Bureau de la Justice militaire. Il « présente un classement méthodique pour 400 détenus : c’est-à-dire les moyens de séparer les hommes en punition, ceux en prévention, et ceux condamnés à l’emprisonnement ou à la détention ; il renferme un local suffisant pour le tribunal, les greffes, et le logement des concierges, geôliers et surveillants ; […] toutes les précautions qu’exigent la salubrité et la sûreté ont été conciliées ».
Le président de la commission de surveillance des prisons militaires ne manque pas d’arguments pour faire valoir auprès du ministre de la Guerre l’intérêt qu’il aurait à réaliser ce projet « qui a pour but une amélioration propre à honorer [son] ministère par l’importance de l’objet […] Une prison modèle exécutée par des ordres militaires et sous votre influence, serait tout à la fois plus économiquement et plus promptement exécutée. Nos voisins qui font, des prisons, un objet constant de sollicitude, et qui nous croyent pas capables de suivre sérieusement l’exécution d’une entreprise de longue haleine, verraient avec étonnement que votre Ministère marche d’un pas ferme et constant vers toutes les améliorations nécessaires. En mon particulier, je serais satisfait que l’on m’eût chargé de vous faire part du vœu de la Société générale. Je dois y ajouter que le Ministre de l’Intérieur a annoncé au Conseil qu’il pourrait disposer d’une somme pour vous aider dans l’exécution de cette noble entreprise. Le soin, que j’ai pris de visiter les prisons civiles et militaires, m’a convaincu que nous ne pourrons obtenir aucun résultat sans l’établissement d’un modèle, attendu que toutes nos prisons, loin d’être des lieux de répression, sont plutôt des écoles d’enseignement mutuel de vices. Aussitôt que vous désirerez la communication des plans venus d’Angleterre, le Ministre de l’Intérieur s’empressera de vous les adresser ».
Extrait de la lettre du 19 juillet 1819 du Maréchal Suchet, président de la commission de surveillance en charge
des prisons militaires, adressée au Ministre de la Guerre à propos de la construction d’une prison militaire modèle.
Le financement du projet repose sur la vente des prisons de Montaigu et de l’Abbaye ainsi que sur celle de l’hôtel des conseils de guerre de la rue du Cherche-Midi. La construction doit être confiée au ministère de la Guerre, avec le soutien financier et politique du ministère de l’Intérieur. La demande de Suchet est évidemment intéressée : « une prison modèle exécutée par des ordres militaires », ajoute-t-il, « serait tout à la fois plus économiquement et plus promptement exécutée ».
La construction est estimée à plus de quatre millions de francs. Houel juge le projet trop ambitieux et s’en explique : « le nombre de militaires en prison à Paris est ordinairement de 160 à 180 et comme on calcule que sur 50 militaires il y en a un en prison, il faudrait supposer qu’il y eut 20.000 en garnison à Paris et dans les environs. On aime à espérer qu’une prison pour 250 sera bien suffisante ».
Composition de la commission en charge de l’examen du projet
Dans un premier temps, la commission se compose de cinq membres : « un officier général ou supérieur du Génie, un administrateur militaire, un officier de santé ayant exercé en chef aux armées, un militaire ayant rempli pendant longtemps les fonctions de rapporteur et l’un des maires ou adjoints de la ville de Paris. Un rapport du 20 novembre 1819 indique que la présidence est attribuée à Guillaume Dode de la Brunerie, lieutenant général du Génie. »
Dans le courant du mois de janvier 1820, la liste nominative des membres devant former cette commission est arrêtée. Ils sont au nombre de sept. Elle est finalement présidée par le lieutenant général du Génie Haxo, et se compose de M. l’intendant militaire Daure, de M. Laubert, membre du conseil de santé militaire, du chef de bataillon Delong, ancien rapporteur près les conseils de guerre, du Marquis d’Aligre, membre du conseil municipal de Paris, du Marquis de Beaufort, secrétaire du comité des fortifications et du capitaine du Génie Bayard.
La commission se réunit dans l’hôtel du comité des fortifications, rue de l’Université.
Le ministre de la Guerre vient aux nouvelles… deux ans plus tard
« M. le Baron, le 24 décembre 1819, vous fûtes chargé de présider une commission établie pour examiner et apprécier l’ensemble et les détails d’un modèle de prison militaire à construire à Paris, et qui fut capable de contenir le nombre présumé de prévenus et de condamnés et dans laquelle on trouverait les localités nécessaires au tribunal, greffe, bureaux, corps de garde, et à toutes personnes employées pour le service, police, administration et sûreté de l’établissement.
Extrait de la lettre du Marquis de Latour-Maubourg, ministre de la Guerre, adressée en 1821 au Baron Haxo,
président de la commission chargée d’étudier le projet de construction d’une prison militaire modèle à Paris.
Les inconvénients attachés à la dissémination des divers établissements existants, se font sentir fréquemment, et donnent lieu à des propositions plus ou moins étendues de la part de l’autorité chargée de la surveillance et de la discipline des détenus militaires, propositions dont je dois ajourner l’examen jusqu’à ce que la commission nommée en décembre 1819 m’ait fait connaître son opinion sur le mérite du plan qui lui est soumis et sur le montant approximatif des dépenses à faire pour son exécution.
Je vous prie, Monsieur le Baron, de m’informer de ce qui a déjà été fait à cet égard, et de me dire ce que vous pensez du plan lui-même, des avantages qu’il offre, et du temps que demanderait son exécution.
Cette lettre, au reste, ne doit pas être considérée comme ayant pour but d’activer le travail de la Commission, il s’agit seulement de me faire connaître si elle s’est occupée du projet en question et quels sont ses aperçus.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur le Baron, avec une considération très distinguée, votre très humble & très obéissant serviteur. »
Projet classé sans suite…
Si le projet n’aboutit pas, c’est sans doute pour des raisons financières. On peut y voir également le peu d’enthousiasme manifesté par le nouveau ministre de la Guerre, le marquis de Latour-Maubourg, successeur du maréchal de Gouvion-Saint-Cyr.
Finalement, c’est le ministère de l’Intérieur qui expérimente, seul, le premier projet de prison cellulaire à Paris. Il s’agit de la prison pour jeunes délinquants de la Petite-Roquette, construite par Hippolyte Lebas entre 1827-1836. C’est la première grande réalisation panoptique en France, et elle devient un modèle. La prison de Mazas, édifiée à Paris par Gilbert et Lecointe entre 1843 et 1850, adopte elle aussi un plan radiant comprenant six ailes abritant 1 260 cellules entre lesquelles cinq promenoirs cellulaires sont disposés.
La nouvelle prison militaire de Paris, édifiée au 38 rue du Cherche-Midi, entre en service le 30 décembre 1851, soit une trentaine d’années plus tard. Il s’agit d’une maison d’arrêt et de correction, une prison cellulaire également qualifiée de modèle, plus connue sous le nom de « prison du Cherche-Midi ».
Pour aller plus loin…
Consultez quelques-uns des articles publiés sur ce blog :
Genèse des prisons militaires de la place de Paris
L’Abbaye, maison d’arrêt et de discipline militaire à Saint-Germain-des-Prés
Montaigu, ancien collège transformé en pénitencier militaire
Projet de construction d’une nouvelle prison militaire, rue du Cherche-Midi
Les sources utilisées dans cet article proviennent de la cote C 18-44 du Service Historique de la Défense, Département de l’Armée de Terre, à Vincennes.