Mutinerie à la prison du Cherche-Midi le jour de Noël 1944

Le 25 décembre 1944, en début d’après-midi éclate une mutinerie à la prison militaire de Paris. Des gardiens sont désarmés et pris en otage par quelques-uns des détenus militaires de l’établissement. Des dossiers administratifs sont brûlés et quatre prisonniers parviennent à s’évader. Voici les faits, tels qu’ils ressortent des rapports de police.

La prison militaire de Paris, à l'angle de la rue du Cherche-Midi et du boulevard Raspail

La prison du Cherche-Midi (1851-1947)

Il s’agit de la prison militaire de la place de paris. Ouverte le 30 décembre 1851, la prison du Cherche-Midi est abandonnée aux Allemands le 12 juin 1940. Jusqu’à la fin du mois d’août 1944, elle reste sous contrôle des autorités d’occupation. Du 1er novembre 1944 au 31 octobre 1947, la prison repasse sous commandement militaire français.
Le 25 décembre 1944, une mutinerie impliquant une quarantaine de détenus militaires éclate.
La rébellion sera vite réprimée, sans effusion de sang. La population carcérale est alors composée de militaires prévenus ou condamnés pour toutes sortes de délits et de prisonniers de guerre allemands en attente de comparution devant les tribunaux militaires.

Très rapidement, quatre mutins sont arrêtés

Passant par la rue du Cherche-Midi le jour de Noël 1944, vers 13 h. 10, le jeune Daniel Moral est témoin d’une scène peu ordinaire : deux hommes en tenue militaire et armés de mitraillettes cherchent à pénétrer dans la prison militaire. Moral prévient le poste de police central du 6e arrondissement.

Pénétrant dans le café situé à l’angle de la rue du Cherche-Midi et du boulevard Raspail, le brigadier Delaitre et le gardien de la paix Ducrot interpellent deux militaires au comportement suspect. Ce sont deux des évadés de la prison militaire : le lieutenant Vestrade Roger et le soldat Duhamel Jacques. Les policiers procèdent à la fouille des deux hommes. Le lieutenant porte sur lui un pistolet 7,65 modèle Eibar, muni d’un chargeur à huit coups dont une balle est introduite dans le canon. L’homme se fait remarquer alors qu’il cherche à dissimuler une mitraillette américaine derrière une cloison. Quant au soldat, s’il n’est possesseur d’aucune arme il est par contre porteur d’une somme de cinq mille deux cents francs. Sur une banquette du bar, un autre pistolet de marque Eibar est trouvé, lui aussi armé d’un chargeur de 8 balles dont une se trouve dans le canon.

Dans l’attente de renforts, le brigadier place ses hommes autour de la prison. Le gardien Ségur se rend à la porte principale de la prison à laquelle il sonne plusieurs fois. Après une attente relativement longue, le judas s’ouvre et se referme aussitôt. Ségur a juste le temps d’apercevoir la tête d’un homme coiffé d’un béret basque ainsi qu’un autre homme en tenue de soldat américain portant un casque et pointant une mitraillette en sa direction. Le gardien n’insiste pas et se replie dans un immeuble faisant face à la prison. Il grimpe au quatrième étage et se positionne devant une fenêtre d’où il peut dominer la cour. À l’aide de sa mitraillette, il tient en respect un groupe de mutins armés prêt à s’enfuir par la grande porte de la prison.

C’est alors que le concierge du 40 de la rue du Cherche-Midi lui fait signe que des prisonniers se trouvent dans son immeuble. Avec son collègue Maurice Paggi, André Ségur s’y rend. Tous les deux procèdent à l’arrestation des nommés Mauger Roger et Dupont Georges.

Un heureux dénouement

On apprend peu après que deux gardiens de la paix qui étaient chargés de la surveillance générale des abords de la prison, Raguin & Dassenville, ont été désarmés sous la menace de mitraillettes et sont séquestrés à l’intérieur de la prison. Des évasions massives sont à craindre.

Des policiers parmi les effectifs de la réserve, armés de mitraillettes, sont dirigés sur les lieux. Ils ont reçu pour mission d’isoler la prison des immeubles avoisinants et de s’assurer des issues souterraines (caves, égouts), par où les détenus pourraient s’enfuir. Les mutins ayant détruit les dossiers, il est encore difficile de dénombrer et d’identifier les évadés. On évalue cependant leur nombre à 45… 36 peuvent être identifiés.

À 14 heures, un gardien qui se tient à une fenêtre du premier étage de la prison parvient à communiquer avec l’extérieur en lançant un papier par lequel il fait savoir que plusieurs de ses collègues sont enfermés et que les détenus disposent de 30 mitraillettes.

Vers 14 h. 30, les mutins réalisent que leur tentative est vouée à l’échec. Ils demandent à parlementer avec les autorités militaires qui viennent d’arriver sur les lieux. Finalement, les rebelles se rendent, remettent leurs armes et libèrent les gardiens qu’ils détenaient en otages.

Porche d'entrée de la prison militaire du Cherche-MidiUne altercation assez vive survient entre les quatre évadés et les policiers qui les ont arrêtés. Dans son rapport, l’officier de paix Billet Joanès déclare : « Je fus très surpris du ton et de l’arrogance employés par des détenus qui se plaignaient d’avoir été bousculés par les gardiens au cours de leur arrestation et qu’ils s’adresseraient à qui de droit. En s’adressant aux gardiens de la paix et à moi-même, ces individus nous demandèrent toujours avec la même arrogance ce que nous avions fait pour la Libération. J’ai dû inviter les gendarmes présents à les écrouer immédiatement. De cette scène qui a laissé parmi les gardiens de la paix présents un certain malaise, j’ai eu l’impression très nette que les prisonniers de cet établissement n’étaient pas astreints à une discipline très ferme. »

Porche de l’entrée principale de la prison militaire, rue du Cherche-Midi, coll. J. Tronel

Extraits de l’interrogatoire
des mutins :

Le lieutenant Borella, alias Vestrade Roger rapporte : « A 12 h. 15, au 3e étage, à l’infirmerie où j’étais comme malade en vue d’être transporté à l’hôpital, j’ai entendu des pas précipités et j’ai vu qu’on ouvrait toutes les portes des cellules. A ce moment des détenus appartenant au corps des Parachutistes nous ont déclaré : “Tout le monde est libre. Vous pouvez sortir.” J’ai aperçu alors un jeune homme détenu ayant pistolet à la main et qui menaçait de tirer sur un gendarme. Je l’ai désarmé et j’ai gardé son arme. Me rendant compte de la situation je suis sorti avec le nommé Duhamel ; ne voulant pas participer à la bagarre qui, je le prévoyais, allait éclater entre gardiens et détenus. Je suis sorti librement par la porte de l’établissement qui était ouverte et je me suis rendu au café-tabac rue du Cherche-Midi, face à la Prison. J’y suis resté environ un quart d’heure. Police Secours du 6e est arrivée. J’ai été arrêté. Je n’ai opposé aucune résistance. »

Le soldat Duhamel Jacques déclare : « Vers 12 h.15, me trouvant au 1er étage dans ma cellule, j’ai aperçu des officiers en tenue et armés de pistolets qui, parcourant le couloir, nous ont recommandé le calme et de ne pas bouger. Ma cellule a été ouverte par un détenu comme toutes les autres. Pendant une demi-heure environ il en est résulté un branle-bas. Les gendarmes les uns après les autres ont été amenés, désarmés, et enfermés dans les cellules. Sur l’ordre d’un officier (Capitaine), nous sommes descendus dans la cour. Là, tout le monde est entré dans le poste de garde ; les détenus en général ont cherché à récupérer leurs papiers et leur paquet individuel. Pour moi, je suis sorti en compagnie d’un lieutenant après avoir pris un paquet au hasard auquel je n’ai pas touché. J’ai été arrêté au café en face l’entrée de la prison ; j’y suis resté dix minutes environ. Je n’ai opposé aucune résistance. Je n’étais pas armé. J’ai été incarcéré pour une absence illégale de douze jours. »

Le soldat Dupont Georges, déserteur, donne la version suivante : « Vers 12 h. 30, j’étais au troisième étage à l’infirmerie en train de finir mon repas lorsque j’ai entendu crier “Sauve qui peut !” J’ai vu des soldats, détenus comme moi, armés de pistolets et de mitraillettes, qui désarmaient les gendarmes et les enfermaient dans des cellules. Je suis sorti en compagnie de mes camarades et nous nous sommes retrouvés dans la rue du Cherche-Midi ; là, des gardiens de la paix m’ont arrêtés et conduit au poste. Je n’étais pas armé, j’étais en possession d’un portefeuille m’appartenant. Je n’avais pas d’argent. J’ignore le motif de la rébellion. »

Et enfin, le soldat Mauger Roger, déclare : « J’ai vu vers 12 h. deux détenus qui se sont présentés armés de pistolets et qui ont donné l’ordre aux gendarmes qui se trouvaient là de rentrer dans une cellule où ils ont été enfermés. Les portes des cellules n’étant pas fermées, je me trouvais sur le pallier en compagnie de détenus. Des officiers également détenus nous ont dit de ne pas bouger et de rester tranquille. Au bout de 15 minutes, j’ai entendu des coups de feu provenant du dehors et j’ai entendu dire par mes camarades que l’on pouvait s’en aller par une cellule. Effectivement je suis sorti par une lucarne dont un barreau avait été scié. J’ai suivi mes camarades qui franchissaient cette fenêtre et suis arrivé sur le mur de ronde au moyen d’une planche. Là j’ai été mis en joue par un gardien de la paix qui a tiré dans ma direction sans m’atteindre. J’ai levé les bras et me suis rendu à lui. Je n’avais pas d’arme et étais en possession d’un paquet de lettres et de photos que j’avais sur moi. »

Dans un rapport adressé au ministre de l’Intérieur, le préfet de police précise que « la Police s’est abstenue d’intervenir à l’intérieur de la prison, laissant le soin de le faire au Colonel Commandant la Gendarmerie de la Seine et au Colonel Commandant la Garde. J’étais sur les lieux quand est arrivé le Général Revers, qui a pris lui-même la direction de l’enquête » conclue-t-il.

Quant aux motifs de la mutinerie, il semblerait qu’ils soient liés à la mauvaise qualité de la nourriture et à l’absence de chauffage dans les cellules… De cette mutinerie suivie de tentatives d’évasion il reste un certain nombre de zones d’ombres que la consultation des rapports des services de la justice militaire permettraient d’éclaircir…

Source : Archives nationales, F/1a/3338

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