L’Abbaye, maison d’arrêt et de discipline militaire à Saint-Germain-des-Prés

La prison de l’Abbaye a été construite de 1631 à 1635 par Christophe Gamard, architecte voyer de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. La geôle ouvre sur la rue Sainte-Marguerite et la place du Petit Marché, à hauteur de la rue Abbatiale (aujourd’hui passage de la Petite Boucherie) et de la rue de l’Échaudé. C’est une construction haute de trois étages, massive, carrée, flanquée aux quatre angles d’une tourelle en échauguette. Après la Révolution, elle devient la prison militaire de Paris.

Gravure représentant la prison de l'Abbaye de Saint-Germain des Prés.

À l’origine, la prison de l’Abbaye est une dépendance de la justice de l’abbé de Saint-Germain-des-Prés. Elle accueille les religieux frappés de condamnations ecclésiastiques ainsi que « des fils de famille débauchés et dissipateurs ». En 1679, le concierge de la « Prison Royale de Saint Germain des Prez », prison destinée à recevoir des « enfans de correction », se nomme Sébastien de Livet.

La prison de l’Abbaye pendant la Révolution

Par la suite, l’Abbaye est affectée à la détention des soldats de la garnison de Paris écroués par mesure disciplinaire. Consécutivement au décret du 2 novembre 1789 qui met les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation, la prison de l’Abbaye est vendue par l’État à la Ville de Paris et passe sous contrôle de la Commune. Les 2 et 3 septembre 1792, elle est le théâtre d’un des épisodes révolutionnaires parmi les plus sombres : un groupe d’une cinquantaine de « septembriseurs », conduits par Stanislas-Marie Maillard, dit Tape-dur, massacrent plus d’une centaine de prisonniers :
Gravure représentant la prison de l'Abbaye pendant la Révolution.
« À l’Abbaye, on avait fait du massacre un spectacle. On avait entassé des vêtements au milieu de la cour pour en faire une sorte de matelas. La victime, lancée de la porte dans cette sorte d’arène, était passée de sabre en sabre et tombait sur le « matelas » trempé et retrempé de sang. Les spectateurs s’intéressaient à la manière dont chacun courait, criait et tombait. Ils relevaient le courage ou, au contraire, la lâcheté qu’avait montré telle ou telle victime, et semblaient juger en connaisseurs. Les femmes, surtout, prenaient un grand plaisir : leur première répugnance passée, elles devenaient des spectatrices terribles, insatiables, comme furieuses de plaisir et de curiosité ». Au 1er septembre, le registre d’écrou compte 234 détenus, « 133 furent massacrés, 3 se suicidèrent, et 97 furent mis en liberté. Parmi les 133 captifs mis à mort, on comptait 18 prêtres ».

L’Abbaye, prison militaire de Paris

Puis l’Abbaye retourne à son ancienne destination de prison militaire. Le décret du 13 pluviôse an I (1er février 1793) ordonne sa réparation et sa mise en conformité « d’après le nouveau règlement sur les maisons de justice, d’arrêt et autres prisons ». Au printemps de l’an IV, les travaux sont en voie d’achèvement. Le 8 floréal (27 avril 1796), le ministre de l’Intérieur destine l’Abbaye à l’enfermement des militaires prévenus de délits graves.

En 1814, le député Pierre-François-Félix-Joseph Giraud décrit ainsi les conditions de détention à l’Abbaye : « Les militaires de tout grade, prévenus d’un délit quelconque, attendent dans cette maison le moment de paraître devant le conseil de guerre. Le cachot principal y est presque aussi terrible que les plus affreux de Bicêtre : creusé à trente pieds de profondeur, la voûte en est si basse qu’un homme de moyenne taille ne peut s’y tenir debout, et l’humidité en est si grande, que l’eau soulève la paille qui sert de lit aux malheureux. D’après l’avis du médecin, ils n’y peuvent demeurer plus de vingt-quatre heures sans être exposés à périr. Quand le jour fixé pour le jugement des prévenus est arrivé, on les conduit au conseil de guerre ou à la commission militaire, qui tiennent leurs séances à l’hôtel de Toulouse, rue du Cherche-Midi. S’ils sont condamnés aux fers ou à la mort, ils reviennent à l’Abbaye : les premiers vont rejoindre le dépôt de la chaîne, et les seconds, dans les quarante-huit heures qui suivent leur sentence, sont fusillés à la plaine de Grenelle ».

Quelques années plus tard, en 1836, le philanthrope Benjamin Appert se préoccupe des questions de salubrité et de santé des prisonniers : « Les pauvres soldats détenus ne reçoivent qu’une livre de pain par jour, une tasse de bouillon assez mauvais et un très petit morceau de viande […] L’hiver, il faut que les prisonniers, qui couchent ensemble, s’échauffent en se pressant l’un contre l’autre, car une couverture ne suffit pas dans les chambres où il n’y a jamais de feu, et dont les croisées sont ouvertes toute la journée […] Les murs sont sales et humides, la cour petite et entourée de maisons hautes qui interceptent les rayons du soleil […] Les croisées donnant sur la cour sont étroites, en sorte que les prisonniers respirent presque toujours un mauvais air […] Les cachots sont abominables, et tellement humides, que les soldats qu’on y enferme, souvent pour des fautes légères, sont obligés d’aller à l’hôpital du Val-de-Grâce pour se rétablir de cet emprisonnement ».

La prison du 38 rue du Cherche-Midi remplace la prison militaire de l’Abbaye en 1852

Photo de la prison militaire de l'Abbaye le 9 avril 1854.

Le 13 février 1852, un courrier relatif au « Projet de règlement des Prisons Militaires, dites Maison d’Arrêt et de Correction et Maison de Justice, situées à Paris, rue du Cherche-Midi, n° 37 et 38 » est présenté. Il y est question « de la suppression de l’Abbaye et de la translation des détenus dans une prison construite d’après le régime cellulaire ». La prison dont il s’agit est située au numéro 38 de la rue du Cherche-Midi. Cette prison cellulaire, d’une capacité de 200 places, ouvre le 30 décembre 1851. Quant à la prison militaire de l’Abbaye, elle a été rasée en 1854, dans le cadre du projet de percement du boulevard Saint-Germain.

© Ch. Marville, 9 avril 1854, Musée Carnavalet, Paris.

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