Le général Héring, un gouverneur militaire obsédé par « l’ennemi intérieur »…
Par Jacky Tronel | dimanche 2 décembre 2012 | Catégorie : Dernières parutions, DES HOMMES… | 1 CommentaireParmi les archives du Général Héring, récemment mises en ligne par son petit-fils Philippe Zeltner-Héring se trouve le document « Souvenirs de Guerre » daté du 23 mars 1941, « une contribution édifiante et riche d’enseignement sur ses difficultés à faire régner l’ordre à Paris en 1939 et 1940, luttant contre le pacifisme ambiant, et contre l’état d’esprit du Haut Commandement Militaire Français avant et pendant la Bataille de France. » peut-on lire, en introduction…
On y découvre en effet la vision qu’il se fait de « l’ennemi intérieur » et des « indésirables » qui l’obsèdent – s’agissant des communistes et des étrangers – le récit du combat qu’il mena contre eux en sa qualité de gouverneur militaire de Paris (du 7 septembre 1939 au 12 juin 1940) ainsi que le dépit qu’il éprouva devant la mollesse du gouvernement à lutter contre ceux qui, à ses yeux, constituaient « un véritable danger pour la Défense Nationale ».
Les « Souvenirs de Guerre » du Général Héring, datés du 23 mars 1941
Sur les 93 pages des « Souvenirs de Guerre » du Général Héring, 23 sont consacrées à « la Sécurité intérieure de Paris pendant la Guerre ». Vous en trouverez ci-dessous le relevé. (source).
« Dès sa prise de commandement, le 7 septembre 1939, le Général Héring, Gouverneur militaire de Paris, soucieux de la santé morale de la capitale, a engagé la lutte contre les défaitistes de tous bords, et plus particulièrement, contre les communistes dont l’activité, fomentée par l’argent étranger, constituait un véritable danger pour la Défense Nationale.
Très rapidement il s’aperçut que les armes dont il disposait pour la répression des menées communistes étaient inopérantes, et il en chercha d’autres, plus efficaces. Dans son rapport au Président du Conseil, en date du 27 octobre 1939, le Gouverneur de Paris fait l’exposé de la situation et pose déjà des conclusions.
Le 8 janvier 1940, il revient à la charge dans une note au Président du Conseil qui constitue, à proprement parler, le plan d’action du Gouverneur en matière de sécurité intérieure. »
« Note sur la sécurité intérieure », Paris, le 8 janvier 1940
« Hitler a dit : “Notre stratégie, Forster [Edmund Forster, médecin psychiatre], consistera à détruire l’ennemi par l’intérieur… Ce que la préparation d’artillerie représentait en 1914, pour l’attaque d’infanterie dans la guerre des tranchées, sera remplacée dans l’avenir par la dislocation psychologique de l’adversaire, au moyen de la propagande révolutionnaire, et ce, avant même que les armées entrent en jeu… En même temps que nous interviendrons avec toutes nos armes, nous démoraliserons l’adversaire par la Guerre des Nerfs. Nous provoquerons une révolution en France.”
À la propagande allemande, visant la dislocation psychologique du pays, il faut, avant tout, opposer une contre-propagande active susceptible de porter non pas seulement sur les intellectuels, mais sur toutes les classes de la société. Cette contre-propagande doit être dirigée par un homme d’action qui soit en même temps un psychologue accompli. Toute manœuvre de l’ennemi contre le moral de la Nation doit être aussitôt exploitée, de même que tout événement susceptible de rehausser ce moral. La ferme offensive en pareille matière ne saurait être négligée. Elle appelle de la part du directeur de la Propagande des qualités d’initiative audacieuse et un tempérament de lutteur. En tout état de cause, la sincérité doit être à la base de la contre-propagande.
Pour échapper à l’emprise de la propagande défaitiste germano-russe, il faut mettre hors d’état de nuire les éléments communistes, agents incurables de cette propagande.
– Le Communisme, ennemi N° 1 –
Des résultats sensibles ont déjà été obtenus dans ce sens, mais, à vrai dire, on n’a fait jusqu’à présent qu’une prise de contact. Il s’agit maintenant de passer à l’attaque et de briser définitivement l’organisation communiste (neutralisation des ordres, destruction des permanences).
Pour cela il est indispensable de renforcer les moyens de répression dont nous disposons par :
– des mesures législatives visant à aggraver les sanctions ;
– des mesures de sécurité plus rigoureuses que celles prévues par l’instruction ministérielle d’application du décret-loi du 19 décembre 1939, pour les indésirables les plus dangereux (camps de travail aux colonies) ;
– l’organisation de la sécurité des usines, en voie d’exécution ;
– le recomplètement des effectifs et l’accroissement de l’armement des forces d’intervention.
Concuremment avec ces deux modes d’action, il importe de soigner toujours davantage le moral de la Nation.
Aux mesures prévues par le Gouvernement pour lutter contre la souffrance et la misère, comme aussi pour soutenir les activités nationales, doivent s’en ajouter d’autres, visant plus particulièrement à la réduction des inégalités choquantes pour les masses :
– différence de régime entre les mobilisés des armées et ceux de l’intérieur, qui blesse le sentiment de justice ;
– présence à l’intérieur d’un trop grand nombre de jeunes gens non indispensables dans les usines, de réformés par erreur ou complaisance, et de sans-affectation des classes jeunes dont on ne saurait s’expliquer plus longtemps le maintien dans leurs foyers.
Le redressement de cet état de choses est la condition primordiale du maintien du moral de l’Armée et de la Nation. Il serait urgent de le réaliser en profitant de la période actuelle de calme relatif, qui permet toute adaptation rapide.
Signé Héring.
Les mesures de sécurité proposées découlent toutes du simple bon sens. Leur adoption aurait dû, semble-t-il, être immédiate. Certaines d’entre elles n’en ont pas moins donné lieu à d’interminables discussions, voire même à de l’obstruction, notamment les mesures d’ordre législatif, ainsi que celles relatives à l’éloignement des indésirables.
Ce n’est qu’au prix de longs et pénibles efforts que le Gouverneur a pu arriver à ses fins ; encore eut-il vraisemblablement échoué si les événements ne lui avaient pas donné raison, sans discussion possible.
Nous examinerons successivement la genèse de chacune de ces mesures. »
I – Mesures d’ordre législatif visant à accélérer la procédure
et à aggraver les sanctions
« Notre code de justice militaire, élaboré par des juristes certes éminents, mais qui ignoraient tout des choses militaires, ne répondait que d’une façon très imparfaite aux nécessités de la guerre. La procédure qu’il instituait, beaucoup trop compliquée et empreinte d’un formalisme archaïque, devait conduire fatalement à l’enlisement des affaires ; on s’en aperçut dès le mois d’octobre 1939.
Quant au tarif des peines, déjà réduit au minimum en vertu de l’esprit qui avait présidé à la refonte du C.J.M. de 1857, il avait encore été édulcoré par le Parlement dont un paternisme démagogique tenait lieu de ligne de conduite. Autrement dit, la formule « Vitesse et Force » qui seule convient aux actes de guerre, on avait substitué, dans un élan de pacifisme, celle de « Sage Lenteur et Indulgence ». Rien qu’en ce qui concerne la sécurité intérieure, l’énumération des projets de décrets-lois présentés par le Gouverneur militaire de Paris, sous l’empire de la nécessité, est édifiante :
3 octobre 1939 – Projet de décret-loi étendant l’interdiction du droit de se pourvoir en cassation aux individus poursuivis pour crimes et délits contre la sûreté extérieure de l’État.
10 octobre 1939 – Projet de décret-loi étendant les dispositions du décret-loi du 26 septembre 1939 (activité ayant pour objet la propagande des mots d’ordre de la IIIe Internationale communiste) à toute activité de nature à nuire à la situation militaire, diplomatique et économique de la France.
17 octobre 1939 – Lettre au Président du Conseil lui demandant de modifier l’article II du décret-loi du 1er septembre 1939 (propos ou agissements de nature à affecter le moral de l’Armée et de la population) dans le sens d’une aggravation de la peine allant jusqu’à la peine de mort, ces propos ou agissements constituant un crime de trahison.
5 décembre 1939 – Projet de modification de l’article 75 du code pénal, punissant de la peine de mort tout acte de nature à diminuer, arrêter ou apporter un trouble grave dans la production ou la vie économique du Pays, les opérations militaires ou l’ordre public. Projet de modification au C.J.M. [code de justice militaire] en vue d’accélérer la procédure au cas où des circonstances exceptionnelles exigeraient une répression rapide.
7 avril 1940 – Projet de décret-loi modifiant les articles 81 et 134 du C.J.M. contre les manœuvres d’obstruction.
4 mai 1940 – Projet de décret-loi modifiant un certain nombre d’articles du C.J.M. (12 articles) en vue d’obtenir l’accélération de la procédure et la simplification des formalités.
9 mai 1940 – Projet de décret-loi portant création de tribunaux militaires spéciaux (rétablissement des cours martiales).
De toutes ces propositions, la plus dure à faire aboutir a été, sans contredit, celle qui a fait l’objet de la lettre du 17 octobre 1939 et du projet de modification à l’article 75 du code pénal, en date du 5 décembre suivant.
Ni l’approbation de principe du Président du Conseil, ni les démarches répétées du Gouverneur militaire et de ses conseillers techniques, les commissaires du Gouvernement près les tribunaux militaires de Paris, ne sont parvenus à vaincre l’inertie des bureaux et commissions, dans le dédale desquels le dossier s’était égaré.
Ce n’est que le 9 avril 1940 que paraîtra à l’Officiel le décret complétant l’article 76 du C.P. [code pénal], punissant de la peine de mort « tout Français ou étranger qui aura participé sciemment à une entreprise de démoralisation de l’Armée et de la Nation ayant pour objet de nuire à la Défense Nationale ».
Par contre, l’adoption du projet relatif à la création de tribunaux militaires spéciaux n’a souffert qu’un très léger retard. La gravité de la situation, il est vrai, interdisait toute discussion. »
II – Éloignement des indésirables
« A – Indésirables de nationalité française
La question de l’éloignement des indésirables s’est posée dès le 10 octobre 1939. En vertu de l’article 9 de la loi du 9 août 1849, de nombreuses arrestations avaient été opérées, dès le début de la guerre, parmi les repris de justice et les suspects de nationalité française qui ne pouvaient justifier d’aucun moyen d’existence avouables. Ces individus avaient été rassemblés provisoirement au Stade Roland-Garros, et il était convenu qu’ils seraient dirigés ultérieurement sur des camps de concentration en province.
Le 14 octobre, le Gouverneur militaire de Paris, d’accord avec le secrétaire général du ministère de l’Intérieur, propose au Président du Conseil de grouper ces indésirables dans des camps de travail de province, où ils seraient considérés comme des requis civils. Mais la décision tarde, par suite de l’opposition des préfets de province qui voient d’un mauvais œil l’installation sur leur territoire de dépotoirs d’indésirables.
Dans son rapport du 27 octobre, susvisé, au sujet de l’agitation communiste, le Gouverneur est plus catégorique encore. Il demande l’envoi des indésirables de tous bords dans des camps de travail en Afrique du Nord et aux colonies. C’est la solution qu’il préconisera à la réunion du 3 novembre suivant, au ministère de l’Intérieur sous la présidence de Monsieur Sarraut. Au cours de cette réunion, une discussion s’engage sur les possibilités légales de la mesure proposée. D’aucuns envisagent même les répercussions politiques d’une telle mesure, en évoquant les souvenirs de Lambessa [bagne colonial situé en Algérie, près de Constantine].
Le Gouverneur militaire, conscient de sa responsabilité, maintient sa proposition : “Nous sommes en temps de guerre et il ne saurait plus être question de discussions byzantines.” Monsieur Sarraut se range finalement à l’avis du Gouverneur et décide l’envoi de tous les indésirables dans des camps de travail aux colonies. La question parait résolue. Il n’en est rien, hélas !
Dès le lendemain, à la suite d’interventions politiques, elle est remise en cause. Tout en reconnaissant le droit absolu du Gouverneur d’exiger l’éloignement des indésirables, le Gouvernement se réserve de désigner les points de destination à leur donner. Le Président du Conseil prend cette fois l’affaire en main.
La circulaire ministérielle du 8 décembre 1939 laisse aux préfets le soin de désigner à l’autorité militaire les indésirables et suspects. Ceux-ci seront regroupés et administrés par les soins de l’autorité militaire dans des “centres de séjour surveillé” organisés par Région.
Une seconde circulaire, du 22 décembre suivant, qui s’applique aux indésirables astreints aux obligations militaires, prescrit pour ceux-ci la création de “compagnies de passage”, à organiser également par les Régions.
Mais dans ces deux C.M. [circulaires ministérielles], il n’est toujours pas question de leur éloignement. Tout le monde s’en occupe, d’ailleurs : le Cabinet du Président du Conseil, l’état-major de l’Armée, le ministre de l’Intérieur, les préfets, etc… Le seul intéressé, le Gouverneur militaire, n’a pas voix au chapitre. Et nous sommes, soi-disant, sous le régime de l’état de siège !
Dans ces réponses, en date du 20 décembre (1re catégorie : indésirables non soumis aux obligations militaires) et du 6 janvier (2e catégorie : indésirables soumis aux obligations militaires), le Gouverneur militaire de Paris rend compte de l’exécution des mesures prescrites par le Président du Conseil :
1re catégorie : Château de Baillet (près l’Isle Adam) – Batterie N. de Vaujours, pour les repris de justice.
2e catégorie : Ferme Saint-Benoît, près Rambouillet (2e compagnie de passage) – Batterie de l’Yvette, pour les repris de justice.
Il rappelle encore une fois que ces centres, dont la contenance est limitée, et qui, au surplus, constituent un véritable danger pour la sécurité de la capitale, ne sauraient être considérés que comme des lieux de transition, et il insiste de la façon la plus pressante pour qu’une décision ministérielle intervienne au sujet de l’éloignement des indésirables, “la seule chose qui l’intéresse“ ».
Les 18 janvier, 3 février, 27 février, 11 mars, à propos d’incidents divers, le Gouverneur revient à la charge. Mais les évacuations ne commenceront pour la 2e catégorie, qu’à la fin de mars (Valence et Bourg-Lastic), pour la 1re catégorie, qu’à la fin d’Avril (Îles de Ré et d’Oléron).
Il aura fallu 6 mois de lutte pour obtenir satisfaction et encore, au lieu de la mesure radicale proposée par le Gouverneur, se contentera-t-on d’une demi-mesure !
B – RESSORTISSANTS ÉTRANGERS
Au début de la guerre, on avait appliqué aux ressortissants allemands le régime établi par l’instruction ministérielle N° 11298 I/EMA du 19 novembre 1937, modifiée par le rectificatif 10650 I/EMA du 3 décembre 1938, en ce qui concerne les mobilisables (hommes de 17 à 50 ans). Les non-mobilisables, ainsi que les femmes non reconnues comme suspectes, restaient pour la plupart à leur domicile habituel, soi-disant sous la surveillance de la police.
Ce régime déjà sérieusement édulcoré, puisque les non-mobilisables n’étaient pas refoulés d’office dans les « zones de concentration étrangers » prévues par la dite instruction, donna lieu à de nombreuses réclamations auxquelles le G.M.P. [Gouverneur militaire de Paris] opposa une fin de non recevoir systématique. Mais ces réclamations avaient trouvé un écho dans les milieux parlementaires, et le Gouvernement s’en était ému.
Une instruction du ministre de l’Intérieur (7e Bureau P.G.) du 11 novembre 1939, notifiée par décision ministérielle N° 8596 I/EMA du 15 novembre 1939, allait ouvrir la porte à toutes les interventions comme aussi à toutes les faiblesses. Cette instruction, en effet, créait des commissions régionales de criblage ayant compétence pour libérer certaines catégories d’internés :
– Libération automatique (sauf opposition du B.C.R. [Bureau de centralisation des renseignements]) des internés âgés de plus de 40 ans :
– mariés à des Françaises, ou ayant un enfant français ;
– anciens légionnaires (sur renseignements favorables) ;
– ayant sollicité la naturalisation française (sur avis favorable) ;
– décorés de la Légion d’honneur ou de la médaille militaire.
– Libération immédiate (sauf opposition du B.C.R.) sans condition d’âge :
– des ressortissants allemands ou ex-autrichiens justifiant qu’ils ont un fils sous les drapeaux français ;
– des incurables ou inaptes définitifs au service armé ou à tout travail manuel.
Enfin l’élargissement des étrangers pouvait être ordonné sur simple télégramme, par une commission interministérielle toute-puissante.
Ci-dessous un extrait du rapport de la Région de Paris (2e Bureau B.C.R.) qui donne une idée des abus auxquels a donné lieu l’application de cette circulaire :
“C’est par application à la lettre des circulaires ministérielles, des certificats de loyalisme présentés aux commissions de criblage, qu’à la tribune du Sénat, le 26 décembre 1939, il a pu être dit en réponse à un interpellateur, que 7.000 internés allemands sur 15.000 concentrés avaient pu être relaxés.
Ce souci d’humanité, contrairement à ce que certains peuvent penser, ne peut s’allier avec celui de la Défense nationale. En effet, en appliquant à la lettre les circulaires, on remet en liberté certains Allemands dangereux pour la Défense nationale qui souvent, n’ont contracté mariage avec une Française que dans le but d’être libérés, car le fait d’avoir pris comme épouse une de nos compatriotes n’atténue en rien la mentalité de ces Allemands qui, presque tous, sont francophobes.
D’autres fois, les interventions se font très pressantes ; souvent, elles ne masquent qu’un esprit de lucre ou encore des combinaisons plus ou moins louches qui amènent la libération de l’interné au détriment de la Défense nationale.
On peut, sans aucune exagération, dire que certaines personnalités ont pu intervenir et faire quitter les camps à 100 ou 150 Allemands en fournissant des certificats de loyalisme. À remarquer que presque tous les libérés, à part les malades et les incurables sont des étrangers ayant une certaine fortune personnelle.
Cet état de choses est commenté dans les camps par les Allemands eux-mêmes qui s’étonnent qu’on libère avec une telle facilité des internés qui sont connus pour leurs sentiments germanophiles, qu’ils expriment ou ont exprimés récemment. Certains libérés même se sont vus, quoique douteux, relaxés pour aller occuper des emplois dans des usines travaillant pour la Défense nationale, ou remplir des fonctions qui les mettent en rapport avec certains services travaillant eux-mêmes pour celle-ci.
Des permis de circuler en automobile dans toute la France ont même été obtenus par certains Allemands relaxés des camps depuis peu.
Enfin les demandes de l’autorité militaire en ce qui concerne des internements ou réinternements sont souvent retardés par les autorités civiles, alors qu’elles devraient être exécutées de toute urgence, l’autorité militaire étant, par application de la loi sur l’état de siège, responsable du maintien de l’ordre.”
Dans une lettre en date du 15 avril, transmissive du rapport du B.C.R. susvisé, le Gouverneur militaire de Paris conclut à la nécessité de revenir à la réglementation antérieure ; et il ajoute : “La perpective des opérations aériennes dont notre territoire est menacé, donne à cette question un caractère d’extrême urgence.”
Mais ce n’est qu’un mois après, le 13 mai, à la suite de démarches répétées, de conférences au ministère de la Guerre, au ministère de l’Intérieur et à la Présidence du Conseil, enfin devant le danger imminent, qu’on se décide enfin à concentrer les ressortissants allemands (hommes, jusqu’à 55 ans – mesure étendue, le 22 mai, à tous les ressortissants allemands du sexe mâle jusqu’à 65 ans – femmes célibataires ou mariées sans enfants) dans des centres de rassemblement :
Paris : Buffalo pour les hommes, Vélodrome d’Hiver pour les femmes.
Seine-et-Oise : Maisons-Laffite pour les hommes, Montfort-L’Amaury pour les femmes.
Seine-et-Marne : Melun.
Le 18 mai suivant, commencent les évacuations sur les camps de concentration de l’intérieur. Le 6 juin, les ressortissants italiens subiront le même sort.
Nos gouvernants ont enfin découvert l’existence d’une cinquième colonne. L’approche du danger leur donne des ailes. Il est un peu tard malheureusement. »
III – Garde des usines
« Si, d’une façon générale, les ouvriers parisiens se sont montrés, dès le début de la guerre, conscients de leurs devoirs de Français et décidés à remplir ses devoirs, ils n’en reste pas moins que les milieux ouvriers de la région parisienne se trouvaient particulièrement exposés aux tentatives défaitistes et communistes.
Il fallait s’attendre également aux actes de sabotage que ne manqueraient pas de tenter les agents ennemis, à la faveur d’une agitation révolutionnaire savamment préparée. Aussi bien, l’attention du Gouverneur militaire de Paris s’était-elle portée plus particulièrement sur les grandes usines de la capitale et des environs.
À l’occasion de la mise au point du plan de protection et à la suite d’une conférence tenue à l’Hôtel des Invalides avec le Président du Groupe des industries métallurgiques de la région parisienne, Monsieur Chaleil, il avait fait garder, le 5 octobre, par des détachements des régiments régionaux, les principaux établissements métallurgiques. Cette mesure ne manqua pas de provoquer une vive émotion dans les partis politiques qui vivaient de l’exploitation des ouvriers. Leurs chefs s’en étant plaints au Gouvernement, celui-ci invita prudemment le Gouverneur à retirer les postes de garde des usines, sous prétexte que les industriels considéraient cette mesure comme une marque de méfiance vis-à-vis des ouvriers. Le prétexte était faux, comme le Gouverneur en eut la preuve au cours d’un second entretien avec Monsieur Chaleil. Les industriels, comme les ouvriers, avaient trouvé cette mesure toute naturelle, puisque nous étions en temps de guerre.
Le 11 octobre, le Gouverneur militaire de Paris adressa au Président du Conseil la lettre suivante : “À la suite des mesures de précaution que j’ai cru devoir prendre, le 5 octobre dernier, pour la sécurité de certaines usines figurant au plan de garde, mai non dotées de postes permanents, vous m’avez fait observer que ces dispositions avaient provoqué une certaine émotion.
L’enquête à laquelle j’ai fait procéder auprès des industriels m’a conduit à cette conclusion qu’aussi bien dans les directions d’entreprises que dans les milieux ouvriers, ces mesures ont été accueillies avec ferveur. Elles répondent, en effet, à des besoins de garde de matériel de guerre et à des préoccupation de défense immédiate des usines, et j’incline à penser que les rapports qui vous ont été présentés résultent d’interprétations erronées.
Sauf contre-ordre de votre part, je me propose de remettre en place prochainement ces différentes ’gardes’”.
Le Cabinet du Ministre répond par téléphone, le soir même : “On prie le Général Gouverneur de ne pas donner suite à cette intention sans avoir pris l’accord du Préfet de Police.”
Le Préfet de Police ne cache pas au Gouverneur qu’il partage les appréhensions du Gouvernement relativement à la garde des usines. Il estime qu’une simple surveillance suffirait : à l’intérieur des usines, par le personnel dirigeant ; autour des usines, par la police.
Peu à peu, tout le monde se mêle de la question : le Cabinet du Ministre, le ministre de l’Intérieur, le ministre de l’Armement, la Marine, l’Air, le ministre du Travail.
À la suite de deux réclamations adressées verbalement au Président du Conseil et au Président du de la République, le Gouverneur de Paris, excédé de ces atermoiements, écrit, le 29 décembre, au Président du Conseil qu’en sa qualité de Gouverneur, responsable du maintien de l’ordre dans la capitale, il demande instamment qu’on le laisse faire.
Mais l’Administration centrale ne perd pas ses droits : le 3 janvier 1940, a lieu au ministère de l’Intérieur une conférence à laquelle assistent des représentants de tous les ministères et directions intéressés, et dans laquelle est donnée lecture d’une D.M. [décision ministérielle] émanant d’un nouveau Bureau de l’Intérieur et fixant les règles générales de la sécurité des usines. Aux termes de cette circulaire, la sécurité comporte : les renseignements sur l’activité des communistes et agents ennemis ; les measures de protection.
Les diverses sources de renseignements sont : la Sûreté nationale, la Police, les usines, p.i. [pelotons d’intervention] de l’Armement, de l’Air et de la Marine, enfin le 2e Bureau B.C.R. de la Région.
Les mesures de protection comportent :
– L’auto-surveillance des établissements par l’intermédiaire de l’Armement, de la Marine et de l’Air ;
– La surveillance des abords des usines par la Police ;
– Les gardes militaires (à la demande ou permanentes) des points sensibles, dont la liste est à fournir par l’Armement, la Marine et l’Air.
La Région militaire n’est plus que l’agent d’exécution. Le Gouverneur militaire demande tout d’abord que les renseignements émanant des différentes sources énumérées ci-dessus soient centralisées au 2e Bureau du BCR de la Région. Pour ce qui concerne les mesures de protection, il se réserve d’intervenir lui-même si la procédure préconisée dans l’instruction ministérielle s’avère inopérante, comme tout semble le faire prévoir.
Le 15 janvier, la Région rend compte au Gouverneur militaire que le travail n’avance pas. Il faudrait des mois pour recueillir tous les renseignements nécessaires, en faire la synthèse, établir ensuite un nouveau plan de protection et en assurer la réalisation. Le Gouverneur qui veut réaliser tout de suite, décide de dresser lui-même, avec la documentation dont il dispose et sans attendre les renseignements demandés à l’Armement, la Marine et l’Air, la liste des usines les plus importantes à faire garder.
Des reconnaissances seront envoyées, dès arrêt de cette liste, dans les usines, pour prendre contact avec les directeurs, préciser les points sensibles, étudier la garde des abords et le contrôle des entrées, enfin se rendre compte des mesures d’auto-protection déjà prises ainsi que des mesures anti-aériennes. La Région donnera ses ordres au reçu des rapports de reconnaissance. Plus tard on verra à compléter la liste et à perfectionner les dispositions déjà prises pour la garde. La mise en place du service de garde a été terminée à la fin de février. Elle n’a donné lieu à aucune réclamation, ni des ministères intéressés, ni des industriels, ni des ouvriers.
La bataille était gagnée. Mais que de temps était perdu ! “J’ai l’impression, disait le Gouverneur au Président du Conseil, d’être entré dans la maison Westinghouse-freins continus” ».
IV – Les forces d’intervention
« En septembre 1939, les forces dont disposait le Gouvernement militaire de Paris pour assurer la sécurité intérieure de la Capitale comprenaient : les forces de Police (environ 3.500 agents), la Légion de Gendarmerie, la G.R.P. [Garde Républicaine de Paris] (1 régiment à pied, 1 régiment à cheval : au total 2.200 hommes), la G.R.M. [Garde Républicaine Mobile] (une centaine de pelotons : environ 3.300 hommes), les régiments régionaux (211e, 212e R.R. Au total : 12.000 hommes), 2 divisions d’infanterie de la série B, stationnées au Nord et au Sud de Paris et qui poursuivaient leur instruction en attendant leur départ pour le front.
Toutefois, ces deux divisions ne doivent être citées que pour mémoire, attendu que, dès la fin de novembre, le commandant en chef les rappela et qu’elles ne furent pas remplacées.
C’est donc uniquement avec les forces de police et de gendarmerie , la G.R.P., la G.R.M. et les régiments régionaux, que le Gouverneur a dû faire face, jusqu’à la fin des hostilités, aux nécessités de l’ordre intérieur. Si de l’effectif total de ces forces (environ 10.000 hommes) on défalque la Police, la Gendarmerie et la G.R.P. à la disposition immédiate du Préfet de Police, ainsi que les effectifs de garde permanente des points sensibles (postes fixes tenus par les régiments régionaux), il reste en tout et pour tout 6.000 hommes disponibles pour une intervention armée (compte-tenu des disponibilités des forces d’intervention des départements de Seine-et-Oise et Seine-et-Marne). Le Gouverneur s’en réserva l’emploi.
Son premier soin fut de se constituer avec ces forces disponibles, une réserve mobile, en prévision de troubles intérieurs, de descentes de parachutistes, et, ultérieurement, pour la garde de la position de sûreté.
3 groupes d’intervention, du type groupement de toutes armes, furent organisés à cet effet, ces groupes comprenant chacun : un commandement, un détachement de motocyclistes et d’auto-mitrailleuses, une section de chars, une section de fusiliers, une section de mitrailleuses et d’engins, un groupe de transmissions, des fourgons à vivres, à munitions et d’ambulance, le tout motorisé. Une batterie d’artillerie portée de 65, servie par la Garde, et une escadrille pouvaient être appelées à appuyer les groupes d’intervention selon les besoins. D’autre part, des compagnies cyclistes furent créées dans chaque régiment régional (une par bataillon) pour assurer le service des patrouilles dans la Place et le renforcement éventuel des groupes d’intervention (des groupes d’intervention et des compagnies cyclistes furent créées également dans les départements de Seine-et-Oise et Seine-et-Marne avec les ressources des régiments 215e et 216e, des dépôts et des centres d’organisation de Cavalerie, d’Artillerie et des Chars).
Quant aux pelotons de G.R.M. non affectés aux groupes d’intervention de la Garde, ils restèrent à la disposition du Gouverneur pour être employés soit en renforcement de la Police, à la demande du Préfet de Police, soit en renforcement des groupes d’intervention. À partir du 2 mai, 25 d’entre eux furent affectés à la garde de la position de sûreté, dont ils constituèrent les points de force. Par suite des récupérations aux Armées, le nombre des pelotons disponibles resta sensiblement le même.
L’instruction des groupes d’intervention de la Garde qui constituaient le berceau de résistance, fut confiée au Général Gest, commandant la Garde.
Des exercices de garde et des manœuvres avec troupes, ayant trait aux opérations d’intervention contre les parachutistes, comme aussi à la répression des émeutes et à la guerre de rues, furent exécutés sous la haute direction du Gouverneur.
Enfin quelques revues et parades permirent de “montrer la force” aux Parisiens. C’est à la présence de cette force de choc, réduite au strict minimum, mais organisée, outillée et instruite en vue d’une action immédiate et brutale qu’on doit attribuer, pour une large part, la tranquillité quasi absolue qui n’a cessé de régner dans la Capitale jusqu’à l’Armistice.
Les incidents d’importance minime qui se sont produits dans quelques usines et sur quelques chantiers au cours de ces 9 mois de guerre, ont été facilement réprimés par la Police : l’ombre seule des groupes d’intervention a suffi pour calmer toute velléité de résistance.
L’esprit de la grande majorité de la population était, il est vrai, excellent : c’est même à cet esprit que le Gouverneur devait la confiance qu’il a conservée jusqu’au dernier jour de son commandement de Paris, le 12 juin.
Il fallait néanmoins compter avec les éléments de désordre qui constituent la lie de la population de toute grande ville, et dans laquelle entrent de nombreux éléments étrangers. N’oublions pas que, dans le seul département de la Seine, et défalcation faite des ressortissants allemands, il y avait plus de 400.000 étrangers, dont 30.000 Espagnols et 60.000 Italiens plus ou moins rouges… de quoi recruter une 5e Colonne importante.
Or, pendant la guerre, il n’y a eu, à Paris, ni grèves, ni émeutes, même pas d’attentats ; Ce résultat méritait d’être souligné ; il est tout à l’honneur du Service d’Ordre. »
Conclusion
« Ce n’est qu’au prix de longs efforts, comme nous venons de le voir, que le Gouverneur militaire de Paris est parvenu à réaliser son plan d’action concernant la sécurité intérieure de la Capitale. Les mesures qu’il s’est trouvé contraint de prendre, dans les conditions les plus difficiles, auraient dû être prévues depuis longtemps. La plupart d’entre elles, d’ailleurs, s’imposaient dès le temps de paix :
– Accélération de la procédure, tant civile que militaire ;
– Application de la peine de mort aux crimes contre la sûreté de l’État ;
– Envoi des indésirables, français et étrangers, dans des camps de travail, notamment dans les colonies où nous manquons de main d’œuvre ;
– Auto-protection des usines travaillant pour la Défense nationale ;
– Constitution de groupes d’intervention de la Garde.
En matière de sécurité intérieure, il n’y a pas deux façons de procéder. En temps de paix de même qu’en temps de guerre, la manière forte est la seule efficace, comme aussi la moins coûteuse. Faut-il encore que le Gouvernement ait le courage de l’imposer. »
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Les « Souvenirs de Guerre » du Général HÉRING sont consultables en ligne : ici
Parmi les papiers du général Héring, j’ai trouvé ceci en date du 17 mai à 17 heures, dans une atmosphère tendue puisque les Allemands ont percé à Sedan et que les réfugiés du Nord commencent à affluer sur la capitale.
17 heures : […]
-Sabotages graves à la société nationale de construction aéro du centre, à Billancourt.
-Plainte parvenue à 17 heures après-midi.
-S/o d’informer pour trahison, à 18h45
-Téléphoné à général Decamps, monsieur Roy, ministre de l’intérieur et président du conseil pour demander la promulgation du décret loi sur procédure spéciale, dont j’ai remis le projet.
Monsieur Roy s’étonne que je ne fasse pas fusiller les coupable séance tenante.
Réponse : « Je suis tout prêt à le faire, mais alors sortant de la légalité, il ne me reste plus qu’à prendre la dictature »
Je trouve ce général soit disant obsédé par l’ennemi intérieur bien respectueux des lois et plutôt modéré concernant les quelques mouvements qu’il rapporte dans ses notes.
Le souvenir de la commune de 1870 est dans toutes le têtes, au point que les Allemands réclameront des garanties de maintien de l’ordre avant d’entrer dans Paris de peur d’un soulèvement populaire…