Règlement général pour la discipline intérieure de la colonie agricole de Jommelières (1891)

Règlement général de la colonie agricole de Jommelières par Javerlhac en Dordogne

Le 16 août 1876, le ministre de l’Intérieur autorisait Louis Victor Masse à ouvrir une maison pour ‘l’éducation de l’enfance coupable ou abandonnée’. Elle comptait 200 colons en 1888. Pour chacun d’eux l’état versait une allocation journalière de 0,75 franc qui fut portée à 0,85 franc en mai 1898. Pourtant, à cette date, de l’avis même du sous-préfet de Nontron, le trousseau se révélait d’une pauvreté inadmissible. Les jeunes gens ne portaient qu’un tricot de coton à même la peau, une chemise, un bourgeron en treillis, un pantalon et des sabots. Ils compensaient l’absence de bretelles par l’emploi de cordes de paille qui ne pouvaient maintenir le pantalon au-dessus des hanches, d’où un aspect continuellement déguenillé.
Un règlement très minutieux organisait la vie quotidienne à la colonie où l’ordre et la régularité des services devaient se rapprocher le plus possible de la discipline militaire. D’ailleurs, sur les six gardiens chargés en 1891 de veiller au maintien de cette discipline, quatre venaient de l’armée.
Aux yeux des habitants de la commune les gardiens apparaissaient même tous comme des brutes dont les colons cherchaient constamment à se venger. Il est vrai que les punitions étaient non seulement fréquentes mais aussi très sévères : réprimande, pain sec à un ou deux repas, coucher en cellule, peloton de punition qui consistait outre le port de vêtements spéciaux, dans la privation de récréation après le repas du matin et de sortie les dimanches et les jours fériés, la cellule où l’on couchait sur une planche avec une seule couverture, le cachot ou cellule noire, et enfin, la proposition d’envoi en quartier correctionnel…

Extraits de l’ouvrage de Pierre Pageot, « Enfants sans parents – Les enfants trouvés en Limousin-Périgord », L’Harmattan, 1995.

Règlement général pour la discipline intérieure de la colonie agricole de Jommelières

« Tous les efforts de la Direction et de MM. les surveillants devront tendre à établir et maintenir dans la Colonie une discipline, un ordre et une régularité dans les services se rapprochant de la discipline militaire autant que cela est compatible avec les exigences si variées des travaux agricoles.
Ainsi tout en reconnaissant que par suite de ces imprévus les ordres de service pourront parfois se trouver brusquement modifiés, il faut bien se pénétrer qu’il est des principes absolus dont on ne devra se départir sous aucun prétexte. »

Classe d'école d'une colonie pénitentiaire agricole. Photo Ministère de la Justice - ENPJJ. Expo Criminocorpus

De la soumission et du respect dûs aux supérieurs.
« Les colons doivent une obéissance et une soumission passives à tout ordre émanant d’un supérieur, quand bien même ce serait un de leurs camarades, gradé ou non, et cela dès l’instant ou celui-ci aurait été investi d’une autorité quelconque pour un service commandé.
Toute réponse quelle qu’elle soit à une observation ou à une réprimande faite par un supérieur, sera sévèrement punie. La moindre tolérance à cet égard engendrerait des abus toujours difficiles à réprimer, et changerait souvent en faute grave ; ce qui au début n’aurait été qu’une simple pécadille.
Tout enfant qui aurait à se plaindre de quoi que ce soit ne doit pas hésiter à s’adresser à M. le Directeur. Les réclamations collectives ne pourront être présentées que par 3 Brigadiers délégués à cet effet par leurs camarades. »

Du Salut.
« Les colons doivent saluer chaque fois qu’ils passent devant le Directeur, une personne de la famille, un surveillant ou une personne visitant la colonie. Si quelqu’un vient à leur parler, soit pour leur donner un ordre, soit pour toute autre cause, ils doivent garder leur casquette à la main. S’ils sont assis soit en classe, soit au réfectoire, soit en récréation ils doivent se lever pour saluer et ne se rasseoir que lorsque l’on leur dit.
Cette règle ne supportera d’exception que pendant les heures de travail et vis-à-vis seulement du surveillant de service ; elle s’appliquera à toute autre personne ci-dessus désignée et qui viendrait accidentellement sur le chantier. »

Travaux punitifs à la colonie pénitentiaire : la casse des cailloux. Photo Ministère de la Justice - ENPJJ. Exposition visible sur le site Criminocorpus.

De la grossièreté de langage.
« Toute parole grossière, ordurière ou obscène, tous jurements prononcés même en riant ou en jouant, seront sévèrement punis. »

Du silence en service.
« Le silence absolu est de rigueur
1° sur les rangs pendant les appels et inspections
2° au dortoir après le coucher
3° dans la salle d’école.
Au réfectoire ainsi que dans la salle d’école, les colons doivent toujours avoir la tête découverte. »

De la propreté individuelle.
« La propreté individuelle étant une des premières conditions de l’hygiène, on veillera à ce que les colons en contractent une habitude sérieuse.
Le matin au lever les colons doivent se laver avec soin ; les manches de la chemise relevées au-dessus du coude, le col ouvert et rabattu sur les épaules.
Le dimanche matin, ils quittent la chemise pour se laver à fond la tête et les épaules. Avant chaque repas M. le surveillant de service passera l’inspection des mains ; les colons qui se feront remarquer par une malpropreté habituelle seront signalés au rapport et punis. »

Des dortoirs et salles d’intérieur.
« Les dortoirs, cuisines, réfectoires et autres salles d’intérieur devront toujours être tenus dans un état parfait de propreté. Les réfectoires et cuisines seront lavés au moins une fois par jour. »

Des corvées.
« Les corvées de propreté sont faites chaque jour par le peloton de punition sous la surveillance du gardien de service assisté d’un brigadier. »

Rapports quotidiens.
« Chaque matin le surveillant de service remet au Directeur le rapport sur la journée de la veille. Les punitions infligées pour les fautes commises et signalées sont lues devant tous les enfants réunis. »

Des dénonciations entre colons.
« Les surveillants ne tolèreront pas les dénonciations individuelles entre colons. Ces dénonciations souvent fausses provoquent des animosités fâcheuses, et qui peuvent avoir des conséquences pénibles. Dans le cas d’une faute grave dont l’auteur serait inconnu, le Directeur décidera ce qu’il doit faire pour découvrir le coupable ou pour l’amener à avouer volontairement sa faute. »

Récompenses et punitions.
« 1° Récompenses.
Les récompenses comprennent :
1° Bons points.
2° Tableau d’encouragement.
3° Tableau d’honneur.
4° Grades.
5° Propositions de libérations anticipées.
6° Propositions d’engagements volontaires.

1° Bons points.
Les bons points sont obtenus suivant les notes et mérites dans les différentes parties de la conduite et du travail, soit au chantier, soit à l’école. Ces notes sont suivant l’usage : Très bien, bien, assez bien, passable, médiocre, mal, très mal.
Chacune des bonnes notes a une valeur correspondante en bons points. La note très bien : 3 bons points ; bien : 2 bons points ; assez bien : 1 bon point.

2° Tableau d’encouragement.
Tout colon qui, pendant 4 semaines consécutives, n’aura pas eu de notes inférieures à celles de bien sera inscrit au tableau d’encouragement. Il lui sera alors accordé :
1° Une prime de 10 bons points par semaine.
2° Une récompense consistant en couteaux, miroirs, billes… etc, ou tous autres objets qui peuvent lui être utiles ou agréables.
La moindre punition entraîne la radiation du tableau d’encouragement auquel on ne peut revenir qu’après un nouveau stage de 4 semaines.

3° Tableau d’honneur.
Tout colon qui aura figuré pendant 3 mois consécutifs au tableau d’encouragement passera u tableau d’honneur. Il lui sera alors accordé :
1° Une prime de 20 bons points par semaine.
2° Les galons de 1er soldat.
3° La faveur d’être toujours désigné d’office pour les emplois de confiance et de figurer en tête dans les occasions où la colonie est appelée au dehors.

4° Grades.
Les brigadiers sont toujours choisis parmi les enfants inscrits au tableau d’honneur ; ils portent un galon supplémentaire, ils sont chargés de la surveillance de leurs brigades pour certains services spéciaux et ils en ont alors la responsabilité. La prime hebdomadaire qui leur est accordée est de 15 bons points. Le nombre des brigadiers se trouvant forcément limité par celui de l’effectif général, la nomination à ce grade est laissée à la seule appréciation du Directeur.

5° et 6° Propositions de libérations anticipées ou d’engagements volontaires.
Monsieur le Directeur proposera à M. le Ministre de libérer par anticipation ou d’autoriser à s’engager dans l’armée tout colon qui aura figuré au tableau d’honneur pendant 10 mois consécutifs.
Cependant cette proposition ne pourra être faite qu’autant que l’enfant réunira d’ailleurs les conditions prescrites par le règlement général, c’est-à-dire : savoir lire, écrire et calculer, avoir fait sa première communion. »

Séance d'exercices physiques à la colonie pénitentiaire : la casse des cailloux. Photo Ministère de la Justice - ENPJJ. Exposition visible sur le site Criminocorpus.

Punitions.
« Les punitions se divisent ainsi :
1° Réprimandes
1° Pain sec – 1 repas ou 2 repas.
3° Salle de police (coucher en cellule)
4° Peloton de punition.
5° Cellule.
6° Cachot (cellule noire).
7° Proposition d’envoi en quartier correctionnel.
Le peloton de punition consiste dans le port de vêtements spéciaux mi-partie blanc et bleu, 2° dans la privation de récréation après le repas du matin, 3° dans la privation de sortir les dimanches et jours fériés. Ce jours-là, les enfants du peloton sont mis de 9 h. du matin à 6 h. du soir dans une salle spéciale sous la surveillance d’un gardien. Ils sont astreints à marcher en file indienne en en silence avec repos successifs de 20 minutes après chaque 40 minutes de marche. Le régime alimentaire est d’ailleurs le même que celui de tous les autres colons.
Pour être mis au peloton de punition il faut avoir commis une faute grave, ou bien avoir été punis pendant 4 semaines consécutives, ou enfin être réintégré d’évasion.
Tout enfant qui étant au peloton se fait punir dans le courant d’une semaine y sera maintenu la semaine suivante.

5° Cellule.
La mise en cellule n’est prononcée que pour des motifs très graves. Ceux qui en sont punis reçoivent également la même nourriture que leurs camarades mais ils couchent sur la planche et n’ont qu’une seule couverture. »

Pécule.
« Ainsi qu’on l’a vu plus haut, en outre des privilèges qui leurs sont attachés, toutes les récompenses se traduisent par un nombre déterminé de bons points.
Ce son ces bons points qui, par leur transformation en argent, doivent constituer le pécule du jeune détenu. À cet effet, une valeur de : un centime est attribué à chaque bon point. L’enfant ayant, je suppose, 5 notes bien dans une semaine pour son travail et sa conduite et pour l’école sera donc titulaire de dix centimes ; si, de plus, il est au tableau d’encouragement, cela lui en fera vingt ; si enfin il est au tableau d’honneur et gradé, cela lui représentera une somme de quarante cinq centimes qui sera portée à son compte chaque semaine.
Le pécule ainsi constitué est irréductible ; aucune retenue ne peut l’atteindre dans aucun cas et il sera remis intégralement remis au colon le jour de son départ. Il n’y a que le fait d’évasion qui entraîne l’annulation du pécule et cela : conformément à l’article 99 du Règlement général.
Le colon es trouve donc ainsi seul maître du pécule qu’il saura gagner, puisque les bons points destinés à constituer ce pécule dépendent uniquement de son travail et de sa conduite. »

Emploi du temps.
« 1er jours ouvriers.

Travaux agricoles dans une colonie pénitentiaire

Matin – 5 heures – Réveil. Les enfants se lèvent, s’habillent et font leurs lits.
5 h. 1/2 – Sortie des dortoirs.
5 h. 1/2 à 6 h. – Étude pour apprendre les leçons.
6 h. à 8 h. – Classe pour M. l’instituteur, leçons particulières pour les élèves musiciens. Corvées de propretés faites ainsi qu’il a été dit précédemment.
8 h. – Rapport journalier, déjeuner.
8 h. 1/2 – Récréation.
9 h. – Appel sur les rangs, distribution du pain de collations, distribution du travail, départ pour les chantiers.
Soir – 2 h. à 3 h. – Collation et repos.
3 h. – Reprise du travail.
6 h. – (suivant les saisons) Rentrée à la colonie, appel, souper.
7 h. à 9 h. 1/2 – (suivant les saisons) École.
9 h. 1/2 – Coucher. »

Dimanches et jours fériés.
« Matin – 6 h. – Lever.
6 h. 1/2 – Descente des dortoirs, lavage des pieds.
7 h. – Exercices physiques conformes aux écoles primaires.
8 h. – Rapport, déjeuner et récréation.
9 h. Conférence civique par l’instituteur.
9 h. 1/2 – Changement de linge et de vêtements.
10 h. – Inspection et départ pour la messe.
Midi 1/2 – Manœuvre militaire.
1 h. – Récréation.
1 h. 1/2 Collation.
2 h. – Inspection et départ pour les Vêpres ou pour promenade militaire.
4 h. 1/2 à 5 h. – Manœuvre militaire.
5 h. – Récréation.
6 h. – Souper après le souper récréation soit dans la cour soit dans la salle d’école, suivant le temps et la saison.
8 h. 1/2 – Coucher.

Certifié conforme : Jommelières le 24 Juin 1891, le Directeur. »

Sources… Pour aller plus loin :

"Sainte-Hilaire : colonie pénitentiaire [1930-1960]". Exposition réalisée par Élise Yvorel pour Criminocorpus.

Les photos qui illustrent cet article concernent la colonie pénitentiaire de Saint-Hilaire, dans la Vienne, qui a fait l’objet d’une exposition en ligne sur le site Criminocorpus.
Crédit photos : Ministère de la Justice, collection École nationale de la Protection judiciaire de la jeunesse. Reproduction interdite sans autorisation.
Exposition réalisée par Élise Yvorel pour Criminocorpus.
Lien vers l’article qui accompagne l’expo…

Voir également : Les bagnes d’enfants, une tragédie au quotidien… Lien
Et Les bagnes d’enfants, histoire d’une tragédie. Lien

Retrouvez sur ce blog l’article publié le 1er janvier 2011 :
Au sujet de la prime de capture de neuf jeunes évadés de la colonie de Jommelières. Lien

Le Règlement général pour la discipline intérieure de la colonie agricole de Jommelière est conservé aux Archives départementales de la Dordogne, en 2 Z 402.

3 Commentaires de l'article “Règlement général pour la discipline intérieure de la colonie agricole de Jommelières (1891)”

  1. Antoine FONT dit :

    Merci pour cette doc très intéressante.
    Guide conférencier auprès de l’abbaye de Fontevraud, je suis en train de préparer une conférence sur la colonie pénitentiaire de Saint Hilaire Roiffé et recherche tout documentation et iconographie.
    Bonne continuation

  2. Jacky Tronel dit :

    L’appel est lancé… Je vous ferai suivre les réactions éventuelles…
    Merci de m’avoir communiqué l’adresse de votre site « La Gargouille de Fontevraud l’Abbaye », dont voici le lien

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