Héritage de la loi du 16 juillet 1912 : les plaques de contrôle spécial pour véhicules nomades
Par Jacky Tronel | jeudi 25 novembre 2010 | Catégorie : Dernières parutions, VARIA | Pas de commentaireLa loi du 16 juillet 1912 est connue pour avoir été à l’origine de la création du carnet anthropométrique d’identité. Cette loi liberticide, discriminatoire et disciplinaire, à caractère racial, allait rester en vigueur jusqu’au 3 janvier 1969. Elle devait constituer une étape majeure dans le processus de contrôle et d’identification utilisé par la République envers les « nomades », autrement dit les Tsiganes. Outre le carnet anthropométrique individuel et le carnet collectif destiné aux chefs de famille, une plaque de contrôle spécial, délivrée par les préfectures et les sous-préfectures devait être fixée de façon apparente, à l’arrière de leurs véhicules.
Le décret du 16 février 1913 entraîne la constitution d’un fichier en vue de recenser les véhicules des nomades
La plaque de contrôle spécial prescrite par l’article 4 de la loi du 16 juillet 1912 est apposée à l’arrière de la voiture d’une façon apparente. Elle doit mesurer au moins 18 centimètres de hauteur sur 36 de largeur, porter un numéro d’ordre en chiffres de 10 centimètres de hauteur, l’inscription « loi du 16 juillet 1912 » et l’estampille du ministère de l’intérieur.
Elle est délivrée par les préfectures et les sous-préfectures dans les mêmes conditions que les carnets d’identité. Dans le cas où cette plaque serait délivrée postérieurement au carnet collectif, mention doit en être faite sur ce carnet et avis en est donné au ministère de l’intérieur.
En cas de perte, de vente ou de destruction…
En cas de perte de la plaque, le chef de famille ou de groupe fait immédiatement une déclaration de perte à la préfecture ou à la sous-préfecture de l’arrondissement dans lequel il se trouve. Un récépissé de la déclaration lui est délivré. Cette pièce devra être restituée au moment de la remise de la nouvelle pièce.
En cas de vente ou de destruction de la voiture, le chef de famille ou de groupe doit en faire la déclaration à la préfecture ou à la sous-préfecture de l’arrondissement dans lequel il se trouve. S’il remplace immédiatement la voiture vendue ou détruite, la plaque dont celle-ci était munie est apposée sur le nouveau véhicule, dont la description est portée sur le carnet collectif, conformément aux prescriptions de l’article 9 du présent décret. Si le chef de famille ou de groupe ne remplace pas immédiatement la voiture vendue ou détruite, il doit déposer la plaque à la préfecture ou à la sous-préfecture. Mention de la suppression de voiture et du dépôt de la plaque est faite au carnet collectif.
Les préfectures et les sous-préfectures signalent sans retard au ministère de l’Intérieur les déclarations de pertes de plaques, les ventes ou destructions de voitures, les dépôts de plaque et les appositions de plaque sur les nouveaux véhicules.
Un moyen de contrôle et de lutte contre le nomadisme
Selon l’historienne Marie-Christine Hubert, en France comme dans le reste de l’Europe occidentale, le rejet séculaire des Tsiganes fut réactivé, dans la seconde moitié du XIXe siècle, par l’arrivée des Tsiganes d’Europe orientale nouvellement affranchis de l’esclavage. Les Occidentaux découvrirent avec inquiétude des étrangers extrêmement mobiles exerçant d’étranges métiers comme montreurs d’ours et voyageant « dans de véritables maisons de bois roulantes avec portes et fenêtres et des voitures bâchées à deux ou quatre roues peintes en vert ou en plusieurs couleurs ».
En France, deux facteurs contribuèrent à leur mise à l’index. En pénétrant par la frontière du Rhin, puis en s’installant dans une région aussi sensible, ils furent accusés, surtout après la guerre de 1870, d’être des agents au service de l’Allemagne. En s’ajoutant aux autres itinérants (colporteurs, chiffonniers, chaudronniers auvergnats), ils intensifiaient le problème posé par une circulation non contrôlée.
L’objectif de la loi du 16 juillet 1912 et des circulaires qui suivirent qui était d’établir l’identité des nomades et de surveiller leurs déplacements fut atteint. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la majorité des nomades était pourvu du carnet anthropométrique et du carnet collectif. Ces mesures ont, en outre, permis de chiffrer le nombre de nomades présents sur le territoire français. Malheureusement ces chiffres demeurent toujours inconnus, le fichier central constitué par le ministère de l’Intérieur et alimenté par les notices individuelles demeurant, jusqu’à ce jour, introuvable.
–––––––
Pour en savoir plus : FILHOL Emmanuel, « La loi de 1912 sur la circulation des « nomades » (tsiganes)
en France », Revue Européenne des Migrations Internationales, 23, 2, 2007, p. 135-158, consultable en ligne sur le site Criminocorpus.
HUBERT Marie-Christine, « Les réglementations anti-tsiganes en France et en Allemagne, avant et pendant l’occupation » , n° 167 (sept.-déc. 1999), Les Tsiganes dans l’Europe allemande,
in Revue d’histoire de la Shoah.
Et sur ce blog, TRONEL Jacky, « L’exclusion et la répression des Tsiganes en Dordogne avant, pendant et après la Seconde Guerre mondiale ».
–––––––
Sources iconographiques : Retrouvez la loi du 16 juillet 1912 et le décret du 16 février 1913 sur Gallica,
dans l’édition de Henri Charles-Lavauzelle, Paris, 1914.
La plaque n° 16358 est conservée aux Archives départementales de la Nièvre, 40 W 29.
Celle portant le n° 16677 est conservée aux Archives départementales de Lot-et-Garonne, 907 W 42.
La photo du campement nomades provient du site « Club des Appalaches »
et celle de la roulotte tirée par un âne est issue de la collection d’Yvon Massardier.