Quand Boris Taslitzky témoignait des conditions de survie dans les prisons de Vichy

La Pesée, Boris Taslitzky, Maison centrale de Riom, 1945.

Dans un tableau saisissant, visible aujourd’hui au Musée de la Résistance nationale, à Champigny-sur-Marne, le peintre et résistant communiste Boris Taslitzky immortalisait une scène de vie à la maison centrale de Riom, intitulée « La pesée ».

En quoi ce rituel consistait-il au juste ? Quelle était la situation sanitaire dans les prisons de Vichy en 1942-1943 ?

Boris Taslitzky, La Pesée, 1945, coll. Musée de la Résistance nationale, Champigny-s/Marne.

Séjour de Boris à la maison centrale de Riom

La maison centrale de Riom a été créée en 1820, dans un ancien cloître dont certains bâtiments datent du XIIe siècle (photo ci-dessous). C’est aujourd’hui un centre de détention de 164 places accueillant des détenus condamnés à de moyennes et longues peines.

Maison centrale de Riom (Puy-de-Dôme), coll. Jacky Tronel.

Boris Taslitzky est arrêté par les gendarmes d’Aubusson (Creuse), le 13 novembre 1941. Il est écroué provisoirement à la maison d’arrêt de Guéret puis transféré à Clermont-Ferrand. Le 11 décembre 1941, le président du tribunal militaire le condamne à deux ans de prison et dix ans d’interdiction de droits civils, civiques et familiaux au motif qu’il « a effectué plusieurs dessins destinés à la propagande communiste ». Après son jugement, Boris est transféré à la maison centrale de Riom.

Voici la description qu’il en fait : « Alors là, c’est l’horreur ! C’est un ancien couvent du XIIe siècle, en pierre de Volvic noire. Les poux, les punaises… enfin la discipline et le silence obligatoire… Mais j’ai eu la chance d’être désigné de corvée de balayage. Balayeur, ça consiste à balayer bien sûr, à servir la soupe, mais aussi à porter les morts à la porte… »

Le tableau intitulé « La pesée », réalisé par l’artiste fin 1945, témoigne de l’extrême rigueur des conditions de vie à Riom. Sur la balance administrative, des squelettes disciplinés se succèdent, attendant leur tour… « Tous les mois, commente Boris, le poids des prisonniers affamés et de plus en plus maigres, était enregistré. C’est ainsi qu’on pesait des hommes de trente-cinq kilos. »

La pesée à la prison militaire de Mauzac en Dordogne

Boris Taslitzky est ensuite transféré vers la prison militaire de Mauzac. Il est écroué (n° 4186)
le 23 juillet 1943. « À Mauzac, nous avons revêtu l’uniforme militaire, nous y crevions presque autant de faim qu’à Riom, mais nous avions le droit de recevoir des livres et celui d’avoir de quoi écrire, c’est-à-dire pour moi celui de dessiner. C’est ce que je fis avec la passion d’un artiste privé depuis dix-sept mois de tout moyen d’expression. C’était une résurrection. »

Tableau de la pesée du mois d'avril 1942 à la prison militaire de Mauzac.

Tableau de la pesée du mois d’avril 1942 à la prison militaire de Mauzac. SHD-DAT,
13 J 1538.

La situation est guère plus enviable à Mauzac. Dans un courrier daté du 23 juin 1942, le Docteur Espérou, médecin-chef de la prison militaire, fait état des tristes conditions sanitaires qui y règnent. S’adressant au directeur du service de Santé de la 12e Division militaire siégeant à Limoges,
il déclare :

« J’ai l’honneur de vous adresser l’état des pesées des détenus du Camp de Mauzac. […] Le résultat de ces pesées montre une diminution notable du poids, diminution presque générale et donnant une moyenne de 2 kg 500 environ chez des sujets qui étaient déjà amaigris.

La nourriture pendant le mois de mai et début juin était constituée uniquement par des légumes verts (choux, carottes, salades) à l’exclusion des féculents, pommes de terre et légumes secs.

Cette moyenne de 2 kg 500 de baisse de poids a été largement dépassée chez certains détenus qui se livraient au trafic de leur pain [qu’ils échangeaient contre du tabac]. Il en résulte une augmentation des œdèmes.

La morbidité n’est pas plus grande que les mois précédents, mais la résistance physique est bien diminuée et souvent l’évacuation à l’hôpital s’impose.

Quatre détenus sont morts à l’hôpital dans le courant de juin.

La déficience physique de la plupart des détenus fait inspirer des inquiétudes car lorsque la morbidité sera plus grande, à la mauvaise saison, la mortalité pourra devenir alarmante. À moins que par une nourriture plus abondante et qualitativement plus variée, et plus riche en albumines et en féculents, on puisse arriver à faire remonter leur courbe de poids… »

Pour aller plus loin…

À lire sur ce blog : L’hiver 1942-1943 au « Camp de Mauzac »

Les fresques de Boris Taslitzky au camp de Saint-Sulpice la Pointe

D’avril 2002 à juin 2003, j’ai eu l’occasion de rencontrer Boris à plusieurs reprises puis d’écrire un article biographique de l’artiste résistant : Boris Taslitzky, le maître de Saint-Sulpice, in Arkheia n° 11-12-13, 2003.

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