Les graffiti des cellules disciplinaires de la caserne Chanzy à Bergerac

Arrières de l'un des bâtiments de la Caserne Chanzy, à Bergerac. Au fond à gauche, la prison. Photo Jacky Tronel. 30 décembre 2004.

Derrière les hauts murs de la caserne du boulevard Chanzy, à Bergerac, les cellules disciplinaires conservent sur leur enduit de plâtre les graffiti de ceux qui les ont occupées, à différentes périodes. À l’époque où stationnaient le 108e puis le 26e régiment d’infanterie, il s’agissait de simples mitards ou cellules d’arrêt de rigueur. Sous l’Occupation, des résistants ont été emprisonnés dans ces cachots humides ainsi que des soldats allemands et cosaques puis, à la Libération, des collaborateurs… En dessinant sur les murs, certains d’entre eux ont voulu témoigner de leur captivité, laisser une trace, ou tout simplement tuer le temps. Les graffiti expriment aussi bien leurs espoirs que leurs souffrances et, d’une façon générale, ils sont le reflet de la solitude commune à tous les prisonniers.

Cellules disciplinaires de la Caserne Chanzy à Bergerac, photo Jacky Tronel, 2004.

La caserne Chanzy est occupée par les Allemands de fin novembre 1942 jusqu’au 20 août 1944. Place de garnison, elle sert également de lieu d’interrogatoires et de détention des résistants de la région. Dans leurs Messages personnels, Maurice Loupias (alias Bergeret) et Herman Grégoire estiment l’effectif des Allemands présents à la Caserne Chanzy, à la date du 16 juillet 1943, de « 50 à 60 hommes (officiers et soldats). » Ils seront beaucoup plus nombreux à y établir leurs quartiers à partir du printemps 1944, lorsque la répression allemande se fera plus terrible.

Les cellules sont étroites et peu profondes : 1,20 m de large sur 3 m de long et 3 m de haut environ. En façade, au-dessus de la porte d’entrée, une ouverture sans aucun vitrage, fermée par des barreaux de prison, laisse passer la lumière. Le plafond voûté et les murs, façon casemate, sont revêtus de plâtre et ont été blanchis à la chaux.

Intérieur de l'une des cellulaires disciplinaires de la Caserne Chanzy à Bergerac.

Le témoignage d’Yves Fressignac

Yves Fressignac, habitait au nord du village martyr de Mouleydier, incendié par les Allemands le 21 juin 1944. Il est arrêté et conduit à la caserne Chanzy. Voici son témoignage : « Jeune, encore fragile, car la vie ne m’avait pas encore marqué, j’ai eu la chance d’être affecté avec Gérard Meynadier, dans un étroit local équipé seulement de deux bas-flanc. Je retrouvais un peu de sérénité, apportée par mon ami à la personnalité affirmée, qui avait fait carrière dans la marine comme sous-marinier !… Les journées étaient très longues, rythmées par quelques rares apparitions de la Croix Rouge Bergeracoise, qui nous apportait de quoi subsister… avec de brèves sorties aux toilettes, situées à l’extérieur de notre cour, dans l’enceinte de la caserne. Accompagnés par une sentinelle, nous allions deux par deux, satisfaire nos besoins naturels. »

L’évasion réussie de Lucien Marcou…

Lucien MARCOU, alias Regain, membre de l’AS (Armée Secrète), instituteur sous le Front Populaire, est en poste à Lamonzie-Montastruc (Dordogne). Le 18 décembre 1943, il est arrêté dans sa classe par la Gestapo. Voici le récit de son arrestation tel qu’il est rapporté par l’historien Sylvain Le Bail : « C’est l’heure de la récréation. Je suis dans la cour et je vois arriver la traction noire des agents de la Gestapo. Deux individus vêtus d’imperméables et chapeaux sur la tête descendent du véhicule tandis qu’un troisième reste au volant. J’étais à l’angle du mur de l’école. Il m’aurait suffit de faire un pas en arrière pour leur échapper et partir dans la nature. Mais ils auraient arrêté Jeanne, mon épouse, institutrice de la classe des petits. Les deux agents, dont Joseph Meyer et un autre Français m’ont poussé dans la classe. J’étais très inquiet car j’avais dans la poche de ma chemise la liste écrite au crayon de l’équipe de parachutages dont je devais fournir les noms à Lavandier, en prévision de mon éventuelle arrestation. Ils m’ont collé au mur et ont fouillé la classe. J’en ai profité pour attraper le papier et le réduire en miettes. Un des hommes m’a vu. Il m’a apostrophé : ‘Ouvre ta main !’ J’ai acquiescé. Il m’a donné un violent coup sur les doigts et les morceaux de papier se sont éparpillés sur le sol. Il ne s’est pas baisser pour les ramasser ».

Lucien Marcou est emmené en bus jusqu’à la caserne Chanzy, à Bergerac, avec d’autres enseignants arrêtés comme lui : Désiré Guillemot, instituteur à Vicq, Louis Bonnafi, instituteur à Saint-Marcel du Périgord, Pierre Biratelle, directeur de l’école de Sainte-Alvère, ainsi que Renaud Cruveiller, vétérinaire au Bugue.

Le 21 décembre 1943, vers 20 h., les résistants arrêtés sont extraient de leurs cellules. Trois bus les attendent dans la cour de la caserne, alignés, face à la sortie. Sylvain Le Bail poursuit : « La zone des bus est éclairée. Le reste de la cour est plongée dans l’obscurité. Les prisonniers sont emmenés par des militaires allemands vers les bus, qu’ils doivent contourner par l’arrière pour monter à bord. Lucien Marcou qui, depuis le premier jour de son arrestation ne pense qu’à tenter de s’évader, saisit l’opportunité. Au lieu de suivre ses compagnons il part vers le milieu de la cour, au pas. Il s’attend à une réaction, mais aucun Allemand ne réagit. Le plus simplement du monde, il échappe aux griffes des Nazis. » Les Allemands ne se seraient aperçus de l’absence de Marcou qu’une fois arrivés à Limoges ! Cette « évasion » laisse dubitatif, d’autant plus qu’il existe une autre variante du même récit…

Dans leur dictionnaire des Résistants du Périgord, Jean-Jacques Gillot et Michel Maureau proposent cet autre récit : « Enfermé à la caserne Chanzy, à Bergerac, il [Lucien Marcou] subit de rudes interrogatoires et devait être dirigé sur Limoges puis sur Compiègne avant d’être déporté. Alors que le groupe parcourt les couloirs pour être embarqué dans les véhicules, Marcou racontait avoir profité de l’obscurité pour se glisser dans les toilettes en bordure du mur d’enceinte. Une évasion réussie après avoir descellé des briques pour se libérer un passage vers l’extérieur. » La version « passe-muraille » est tout aussi surprenante…

Quelques exemples des graffiti de la Caserne Chanzy :

Cliquez sur les photos pour les agrandir…

Graffiti sur les murs d'une des cellules disciplinaires de la Caserne Chanzy à Bergerac. Claude Auger 1944.Profil d'un officier cosaque, l'un des supplétifs de l'armée allemande. Graffiti d'une des cellule disciplinaire de la Caserne Chanzy à Bergerac.

Sur la photo de gauche, on peut lire ceci : « Auger Claude a été fermé dans cette cellule innocemment, oui !!! »
sur celle de droite a été dessiné le profil d’un officier cosaque…

Graffiti sur les murs d'une des cellules disciplinaires de la caserne Chanzy de Bergerac. Scène de ferme en Alsace, 1944. Photo Hervé Couton.Graffiti sur le mur de la prison de la caserne Chanzy à Bergerac, Verres et bouteille de Monbazillac. Photo Jacky tronel, décembre 2004.

À gauche, une scène de ferme en Alsace (on peut apercevoir une cigogne sur un toit), dessinée par un prisonnier chez lequel on devine une certaine nostalgie pour sa province natale. À droite, des verres et une bouteille de Monbazillac, cru 1929, en souvenir des jours heureux… ou bien en l’honneur d’une prochaine libération.

Graffiti sur le mur de l'une des cellules de la caserne Chanzy à Bergerac. Bataille navale. Photo Hervé Couton, 2004.Graffiti sur les murs d'une cellule de la caserne Chanzy. Caractères cyrilliques. Photo Hervé Couton, 2004.

À gauche, la grille d’un jeu de bataille navale. Les journées sont longues… Il faut bien tuer le temps !

Graffiti de la Caserne Chanzy de Bergerac. "Je suis prisonnier depuis 21 jours…" 1944Graffiti sur le mur d'une cellule de la caserne Chanzy. Dessin d'un tank allemand. Photo Hervé Couton, 2004.

À gauche : « Mardi 31 juillet. Je suis prisonnier depuis 21 jours […] aujourd’hui […] je vais sortir ».
À droite, dessin d’un char français B1 bis.

La Caserne Chanzy à la libération de Bergerac

La fin de l’occupation allemande et la libération de Bergerac sont ainsi décrites par l’historien périgordin Guy Penaud : « L’évacuation de Bergerac se fait, en définitive, le 20 août à partir de 16 heures. Vers cette heure-là, une colonne d’une douzaine de véhicules, puissamment armés, entrent à Bergerac, poussent vers Roumanières et ramassent la garnison avant de revenir sur Bergerac. Peu après, le feu ayant été mis à l’un des bâtiments de la caserne Chanzy, deux colonnes sortent de la ville ; l’une bien armée prend la direction de Mussidan, l’autre plus faiblement pourvue, mais plus nombreuse, gagne Le Fleix. Les F.F.I. ont un accrochage, au sud de Bergerac, vers 18 heures (à hauteur de Monbazillac et Saint-Naixent). Dans la nuit, les Allemands se sont définitivement retirés, les résistants peuvent enfin faire leur entrée dans la ville. »

La Caserne Chanzy reçoit, à la fin de l’été 1944, les prisonniers allemands arrêtés par les FFI. C’est vraisemblablement de cette caserne que sont extraits les Allemands qui ont été fusillés le 10 septembre 1944, par vengeance, à Saint-Julien de Crempse (Dordogne).

Groupe de gardiens des prisonniers internés à la caserne Chanzy, août 1944, photo Bondier-Lecat Bergerac. Issu des maquis, groupe de gardiens des prisonniers internés à la caserne Chanzy, août 1944. © Photo Bondier-Lecat, Bergerac.

Jacques Lagrange précise, dans son 1944 en Dordogne : « En fin de journée, les occupants incendient la caserne Chanzy pour détruire le dépôt de munitions et les archives de la Luftwaffe ; les réserves d’alcool de la Poudrerie brûlent également. À 16 heures, leurs véhicules empruntent la route de Bordeaux ; les résistants entrent sans combattre dans la ville. »

Hervé Dupuy, Jacky Tronel et Jean-Louis Audebert, devant les cellules de la caserne Chanzy à Bergerac, le 30 décembre 2004, photo Hervé Couton.

Pour des raisons de sécurité compréhensibles, aujourd’hui les lieux ne sont plus accessibles au public… En décembre 2004, nous avions obtenu une autorisation de visite. Jean-Louis Audebert, Hervé Dupuy, Hervé Couton et moi-même avions réalisé un reportage photographique de la partie pénitentiaire de la caserne, mais aussi de l’aile droite qui renferme des fresques des batailles livrées par les régiments qui ont stationné là ainsi que d’autres fresques symboliques de la période de Vichy. Elles feront l’objet d’un prochain article…

À gauche Hervé Dupuy (historien, il prépare actuellement un ouvrage sur la présence des Soviétiques dans le Limousin en 1943-1945), au centre Jacky Tronel (administrateur de ce blog), à droite Jean-Louis Audebert (professeur d’histoire et auteur de « La mémoire oubliée des casernes Chanzy » in Bergerac et le Pays Bergeracois, Pilote 24 Éditions, Périgueux, 2000). Photo Hervé Couton, membre du comité de rédaction de la revue d’Histoire Arkheia.

Sources :

Mouleydier 1944, de la Résistance à l’an 2000, Yves Fressignac, Éditions La Lauze, Périgueux, 2004, p. 110.
Histoire de la Résistance en Périgord, Guy Penaud, Éditions Pierre Fanlac, 1991, p. 442.
Le champ des martyrs – Saint-Julien de Crempse – 9 août 1944, Sylvain Le Bail, Éditions Le Chêne Vert, Villamblard, 2004, p. 30, 31.
Résistants du Périgord, Jean-Jacques Gillot et Michel Maureau, Éditions Sud-Ouest, 2011, p. 396.
1944 en Dordogne, Jacques Lagrange, Éditions Pilote 24, Périgueux, 1994, p. 444.

Je remercie très sincèrement Michel Lecat pour l’autorisation de reproduction de la photo du groupe de gardiens des prisonniers de la caserne Chanzy et recommande la visite de son site « Photos de la vie Bergeracoise de 1930 à nos jours » : suivre ce lien.
Les Bergeracois qui identifieraient un ou plusieurs des membres du groupe de gardiens sont invités à m’en faire part…

À lire sur ce blog :
« Les fresques historiques de Chanzy menacées : patrimoine à sauver »
Les peintures allégoriques et vichystes de la caserne Chanzy

1 Commentaire de l'article “Les graffiti des cellules disciplinaires de la caserne Chanzy à Bergerac”

  1. François Bodin dit :

    « Le tank représenté sur le graffiti est probablement, non pas un char B1 bis, mais un panzer IV type F2 ou G, reconnaissable au canon de 75 long, au tourelleau du chef de char, à la mitrailleuse de caisse et au train de roulement. Si des éléments non publiés ici présents autour du graffiti indiquent qu’il s’agit bien d’un char B1, alors c’est un B1 ter pourvu d’une tourelle FCM, d’un canon long de bon calibre (75 mm ?) et sans canon en casemate, ce qui constituerait une découverte archéologique importante – pas impossible (au moins un prototype de B1 ter pourvu d’une tourelle FCM existait en zone libre), mais improbable. »
    François Bodin.

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