De l’influence des aumôniers sur les prisonniers des maisons centrales de force et de correction

Maison centrale de Montpellier, surveillante, surveillant et aumônier devant l'entrée principale, 1930, Henri Manuel, coll. ENAP, cote : M-07-029.

Maison centrale de Montpellier, aumônier et surveillante devant l’entrée principale, 1930, Henri Manuel, coll. ENAP (cote M-07-029).

Ministre du Commerce et des Travaux publics, et en charge des prisons, Adolphe Thiers entreprend d’en réformer le régime. Dans une circulaire datée du 10 mars 1834, il adresse aux directeurs des maisons centrales de force et de correction un questionnaire précis sur l’état des prisons et « les effets du régime de ces maisons ».
Son enquête porte sur le service religieux, l’instruction primaire, le travail, les dortoirs, les punitions, les secours, les condamnés en récidive et les condamnés libérés.
Nous nous intéresserons ici aux retours des directeurs sur la question du service religieux et de son influence sur la population pénitentiaire.

Le rattachement des prisons au ministère du Commerce fut relativement bref. Adolphe Thiers, qui avait succédé à Antoine d’Argout au ministère du Commerce à la fin de l’année 1832, ramena les prisons au ministère de l’Intérieur lorsqu’il y fut nommé, le 4 avril 1834.

Maisons centrales de force et de correction Analyse des réponses des directeurs à une circulaire ministérielle du 10 mars 1834  sur les effets du régime de ces maisons. À Paris. De l’imprimerie royale, 1836.

Maisons centrales de force et de correction.
Analyse des réponses des directeurs à une circulaire ministérielle du 10 mars 1834 sur les effets du régime de ces maisons.

À Paris. De l’imprimerie royale, 1836.

Introduction à la circulaire
du 10 mars 1834… Adolphe Thiers :

« Monsieur le Directeur, je tiens à constater les résultats du régime de nos prisons pour peines. Leur organisation est aujourd’hui assez ancienne pour qu’il soit possible d’en apprécier les effets sur le moral des condamnés. J’ai pensé que c’était principalement de MM. les directeurs des maisons centrales que le Gouvernement pouvait obtenir des renseignements précis et certains, reposant sur des faits nombreux longtemps observés, et non sur des idées spéculatives. Pour procéder avec ordre, je résumerai sous forme de questions les renseignements que je désire avoir. »

SERVICE RELIGIEUX.

Les instructions morales et religieuses des aumôniers et pasteurs ont-elles une influence décisive et réformatrice, au moins sur un certain nombre de condamnés ? Si cette influence existe, sur quel sexe agit-elle avec le plus de succès ? En comparant les condamnés des villes à ceux des campagnes , quels sont, en général, ceux qui sont le plus accessibles aux sentiments religieux ? Comptez-vous beaucoup de détenus qui pratiquent les devoirs de leur religion et s’occupent de la lecture de livres de piété ? Sans doute vous jugerez nécessaire d’avoir sur ces diverses questions un entretien avec MM. les aumôniers de la maison que vous dirigez, sans vous laisser entraîner toutefois aux illusions de l’esprit de charité, qui accepte souvent comme des preuves d’un repentir sincère les pratiques et les protestations de l’hypocrisie.

Maison centrale de Nîmes, messe dans la chapelle, Henri Manuel, 1932, coll. ENAP, cote M-21-023.

Maison centrale de Nîmes, messe dans la chapelle, Henri Manuel, 1932, coll. ENAP (cote M-21-023).

PREMIÈRE PARTIE.

ANALYSE DES RÉPONSES DES DIRECTEURS.

CHAPITRE 1er. – SERVICE RELIGIEUX.

Première question :

Les instructions morales et religieuses des Aumôniers et Pasteurs ont-elles une influence décisive et réformatrice, au moins sur un certain nombre de condamnés ?

Beaulieu. – Il ne saurait préciser quelle influence la religion pourrait avoir sur la réforme des condamnés, car il n’a pas encore rencontré d’aumônier qui fût à la hauteur de sa mission. Quelques-uns, pour ne l’avoir pas comprise, ont même fait plus de mal que de bien.

Cadillac. – La religion agit efficacement sur un grand nombre de femmes, lorsque surtout l’aumônier a su leur inspirer de la confiance.

Clairvaux. – L’aumônier est persuadé que ses instructions ont une influence décisive et réformatrice sur un certain nombre de condamnés. Le directeur pense que presque tous ceux qui pratiquent les devoirs religieux ont pour but unique la recommandation de l’aumônier lors de la formation des tableaux de grâces.

Clermont (Oise). – La pratique des devoirs religieux n’a lieu généralement que dans les cas de maladies graves.

Embrun. – La religion n’a pas sur le moral des détenus l’influence qu’il paraît qu’on en devrait espérer ; mais aussi les aumôniers des prisons à la hauteur de leur saint ministère sont bien rares. Peut-être est-ce à la disproportion entre la difficulté de la tâche et les moyens employés qu’il faut attribuer le peu de succès dont nous avons à nous plaindre.

Ensisheim. – À quelques émotions passagères près, obtenus par des ecclésiastiques hommes de talent, le service religieux est peu efficace. On assiste aux offices avec la décence rigoureusement prescrite par le règlement, et peu après on se livre dans ses conversations à ses habitudes du vice.

Eysses. – Les instructions morales et religieuses ont peu d’influence sur la réforme des condamnés ; les sentiments religieux sont éteints chez eux. Toutefois je suis convaincu que l’influence religieuse produirait d’heureuses réformes si elle était dirigée par des aumôniers éclairés, pénétrés de leurs devoirs et zélés dans leur ministère. La tolérance, la douceur évangélique, et surtout la persévérance, sont indispensables pour réformer la population des prisons.

Fontevrault. – Du choix d’un aumônier zélé, dévoué, vigilant, capable, pourraient résulter des avantages inappréciables.

Gaillon. – On ne peut pas dire que tous les prisonniers qui assistent aux instructions religieuses soient entièrement corrigés, mais on peut affirmer, en ce qui concerne cette maison, que ceux qui suivent avec assiduité et persévérance ces instructions se conduisent bien mieux que les autres. Quelques-uns sont hypocrites, mais beaucoup sont de bonne foi.

Haguenau. – Oui. Des ennemis se sont réconciliés à la suite d’un sermon sur les injures, d’autres ont restitué des objets volés. Des filles détenues avec leur mère ont donné l’exemple de l’amour filial : lorsqu’elles étaient malades à l’infirmerie, elles se sont privées de tout ce dont elles pouvaient disposer pour les soulager. Plusieurs, depuis qu’elles ont été instruites dans la religion, ont mené une vie plus régulière.

Limoges. – Nul doute que les instructions morales et religieuses n’exercent beaucoup d’influence sur un grand nombre de détenus ; mais, sans pouvoir affirmer que cette influence soit totalement décisive et réformatrice, elle est bien plus grande à mesure que l’aumônier, se pénétrant de l’esprit de sa mission, la remplit d’une manière convenable. Les détenus qui pratiquent et respectent leur religion tiennent dans la maison, sauf quelques exceptions assez rares, une conduite beaucoup plus régulière que les autres.

Loos. – L’instruction religieuse peut exercer une influence réformatrice sur beaucoup de prisonniers, et décisive sur un petit nombre ; mais elle ne le peut qu’aux deux conditions suivantes :
1° Que l’instruction religieuse et l’instruction morale seront simultanément mais séparément données ;
2° Que les aumôniers des prisons auront de la tolérance, et les employés de la prison de la religion.

Melun. – Généralement les instructions religieuses n’ont aucune influence sur les détenus : tout au moment présent, l’avenir ne les tourmente pas. Si quelques-uns cependant ont paru en profiter plus que les autres, c’est qu’ils ont pensé que ce pouvait être un moyen d’obtenir quelques faveurs de l’aumônier ou de l’administration de la maison. Mais une fois libres, leur retour à leurs premières habitudes, leur rentrée dans la maison ou dans une autre, ont bientôt prouvé que la morale religieuse ne pouvait rien sur des âmes qui ne l’avaient toujours regardée que comme un frein gênant.

Montpellier. – Les détenues sont généralement sans instruction et hors d’état de profiter des leçons morales de l’aumônier : elles pratiquent machinalement les actes de la religion et sans en comprendre la portée. Aussi est-il rare de voir opérer des réformes par l’influence des instructions religieuses.
En général, les démonstrations de religion que font les détenues sont hypocrites et intéressées ; elles sont pour but d’obtenir une part dans les dons de l’aumônier.

Mont Saint-Michel. – Les instructions morales et religieuses des aumôniers ont une influence non douteuse sur un certain nombre de prisonnières. Quelques exemples frappants pourraient être cités, mais ils sont fort rares. Au surplus, le nombre des réformes produites chez les condamnés par suite de l’influence morale et religieuse des aumôniers doit varier beaucoup, suivant les provinces et les lieux où ces observations auront été faites.

Nîmes. – Les instructions des aumôniers et pasteurs ne peuvent qu’avoir une grande influence pour la réforme d’un grand nombre de condamnés.

Poissy. – L’instruction morale et religieuse n’est donnée que depuis très peu de temps, en ce sens que ce n’est que depuis peu de temps qu’un aumônier interne a été attaché à l’établissement ; précédemment le service religieux se faisait par le curé de la paroisse.

Rennes. – Les instructions morales des aumôniers, mais surtout les pratiques religieuses, ont une assez grande influence sur la population. Un grand nombre de détenus se confessent, beaucoup approchent des sacrements. La population bretonne est généralement très religieuse, et, quoique ayant commis des fautes graves contre la morale et la religion, les détenus en pratiquent avec zèle les devoirs extérieurs. Cette pratique religieuse, même chez les hypocrites, contribue à la tranquillité de la maison.

Riom. – Les instructions morales et religieuses n’ont point une influence décisive et réformatrice sur les détenus ; mais un aumônier qui serait à la hauteur de ses fonctions, qui à la pratique du culte joindrait de fréquentes exhortations, parlerait constamment aux détenus de leurs devoirs, s’identifierait en quelque sorte avec eux, chercherait enfin à pénétrer dans leur cœur et à l’émouvoir, celui-là, s’il persévérait dans sa noble mission, pourrait empêcher que leur caractère ne se dégradât et ne devint chaque jour plus vicieux. Mais la religion telle qu’elle est pratiquée dans la maison centrale est impuissante à la réforme morale des condamnés, qui ne la voient que comme un simple objet de cérémonie.

Deuxième question :

Si l’influence des instructions morales et religieuses existe, sur quel sexe agit-elle avec le plus de succès ?

Beaulieu. – En prison, comme dans la société, les femmes s’occupent plus que les hommes des pratiques de la religion.

Clairvaux. – Sur les femmes : pour celles-ci, environ 17 sur 100 ; pour les hommes, 6 sur 100.

Fontevrault. – Les femmes sont en général plus pieuses.

Gaillon. – L’influence, que l’on ne peut méconnaître, de la religion sur la réforme des condamnés se fait bien plus remarquer chez les femmes que chez les hommes.

Limoges. – Les effets de l’influence religieuse sont plus fréquents et plus nombreux chez les femmes, mais aussi beaucoup moins durables.

Loos. – En prison, la religion sera plus réformatrice chez les femmes et plus décisive chez les hommes ; mais une fois rendus tous à la liberté, cette même influence changera de caractère ; elle sera plus réformatrice pour les hommes et plus décisive pour les femmes : c’est que, rendus au monde, les hommes y croiront et y prieront comme tous les autres hommes y croient et y prient, c’est-à-dire fort peu, et que les femmes, y retrouvant plus de croyance et de piété, se perpétueront plus constamment dans les principes religieux qu’elles auront adoptés en prison.

Melun. – Les femmes se livrent avec plus de zèle que les hommes aux pratiques de la religion et remplissent plus exactement les obligations ; mais du reste leur conduite comme détenues n’en est pas meilleure, et elles ne sortent pas plus corrigées de la maison qu’elles n’y sont entrées.

Mont Saint-Michel. – Les femmes condamnées correctionnellement proviennent, en majeure partie, des grandes villes. Ce sont des filles perdues, chez lesquelles il n’est resté aucun souvenir religieux. Sur celles-là, les exhortations des aumôniers produisent rarement des retours vrais et durables ; car, en sortant de prison, elles se livrent ordinairement avec une nouvelle ardeur à la débauche et quelquefois au crime.

Rennes. – L’influence religieuse agit davantage sur les femmes : cependant les aumôniers de l’administration ont remarqué qu’il y avait plus de sincérité chez les hommes que chez les femmes dans l’accomplissement de leurs devoirs religieux.

Troisième question :

En comparant les condamnés des villes à ceux des campagnes, quels sont, en général, ceux qui sont le plus accessibles aux sentiments religieux ?

Beaulieu. – Ceux des campagnes. Quelque mauvaise qu’ait été leur éducation, ils ont été plus assidus aux exercices du culte que les condamnés des villes, et ils y reviennent plus facilement.

Cadillac. – Les femmes de la campagne, et qui ne sont pas en état de récidive. Celles des villes sont ordinairement d’anciennes filles publiques ; elles sont rarement accessibles aux sentiments religieux : les premières ont ordinairement à subir de longues peines ; les autres sont généralement frappées de simples peines correctionnelles et de courte durée.


Clairvaux. – Les condamnés des campagnes.

Clermont (Oise). – Les détenues des campagnes sont en trop petit nombre dans la maison, comparativement à celles des villes, pour pouvoir répondre à cette question.

Embrun. – Les condamnés des campagnes l’emportent sans contredit sur ceux des villes par les sentiments religieux. Assister à la messe est ici d’obligation. Il est permis de ne pas aller aux vêpres : aussi cette partie du service n’est-elle guère suivie que par quelques détenus de la première catégorie.

Ensisheim. – Il est impossible d’établir ici une distinction entre les hommes de la ville et ceux de la campagne. Beaucoup de détenus étant jugés sous de faux noms et sous une fausse indication de patrie, en voulant établir des classes on ne fait que s’égarer.

Eysses. – Les sentiments religieux ont moins d’empire sur les condamnés des villes ; ils sont généralement plus pervertis et sourds à la voix de la religion : ils corrompent ceux des campagnes.

Fontevrault. – Si quelques détenus sont accessibles aux sentiments religieux, si quelques-uns d’entre eux sont susceptibles d’un retour sincère à des principes d’honneur, c’est bien véritablement parmi les simple habitants des campagnes qu’on les rencontre : il peut y avoir quelques exceptions, mais si rares qu’elles ne sauraient être comptées. Les mauvais sujets des villes, ceux de la capitale surtout, qui se livrent au vol, sont toujours des débauchés, des fainéants : ils seront toujours pervers et voleurs. S’ils feignent quelques sentiments religieux, ce n’est que par calcul, par hypocrisie.

Gaillon. – Il n’y a pas de comparaison entre les condamnés qui ont habité les villes et ceux qui viennent de la campagne : ces derniers sont bien moins pervertis et plus susceptibles d’amendement ; presque tous ont reçu dans leur enfance une instruction religieuse ; ils ne trouvent ni nouveau ni étrange qu’on cherche à la leur rappeler.

Haguenau. – Les condamnés de la campagne, dans les deux religions catholique et protestante, sont en général plus accessibles aux sentiments religieux que celles des villes ; elles ont les mœurs moins corrompues, et ont presque toutes reçu les premiers principes de l’instruction religieuse, ce qui manque à plusieurs de la ville.

Limoges. – Les condamnés des villes, et ceux principalement qui appartiennent à cette classe connue dans les prisons sous la dénomination de voyageurs, sont beaucoup plus irréligieux, beaucoup moins attentifs à la parole du prêtre que ceux des campagnes.

Loos. – Il n’est pas douteux que l’instruction religieuse ait plus de racines et plus de culture dans le cœur des habitants de la campagne que dans celui des habitants des villes : aussi son influence forme-t-elle partout, en prison, une ligne fortement tracée entre les premiers et les seconds. On peut également en trouver une preuve dans la position topographique de diverses prisons de la France. Là où la population de ces prisons se recrute dans les départements purement agricoles, la religion exerce plus d’influence sur les condamnés ; là où elle se recrute dans les départements purement manufacturiers, cette même influence y est presque nulle.

Melun. – Les habitants des campagnes ont plus de sentiments religieux que les autres condamnés.

Montpellier. – Sur 430 détenues, il y a 139 condamnées des villes et 291 des campagnes ; en général celles-ci sont plus hypocrites, celles des villes seraient plus franches : mais les unes et les autres sont également ignorantes et indévotes. Celles des villes sont plus rusées, plus astucieuses ; elles tromperaient plus aisément la surveillance des gardiens ; les paysannes seraient plus habiles à tromper l’aumônier.

Mont Saint-Michel. – Une classe moins corrompue et plus intéressante, et que la loi a frappée avec plus de rigueur, est celle des campagnards que les cours d’assisses ont condamnés à la réclusion pour des vols de grains, d’abeilles, de bestiaux, et souvent pour des faits peu graves. Chez eux, tout sentiment religieux n’est pas encore éteint ; ils écoutent les instructions des pasteurs avec docilité, et il n’est pas très rare d’en voir, par suite de ces instructions, d’assez raffermis dans la voie du bien pour qu’il n’y ait plus à craindre de chute pour eux.

Nîmes. – Les condamnés des campagnes sont plus susceptibles d’amendement.

Rennes. – Les condamnés des campagnes sont sans contredit plus accessibles aux sentiments religieux que ceux des villes : chez ces derniers, plusieurs pratiquent les devoirs de la religion par hypocrisie.

Riom. – Les condamnés des campagnes semblent plus accessibles aux sentiments religieux que ceux des villes ; mais quoique le cœur des premiers paraisse plus disposé à recevoir des émotions capables de les ramener au bien, ils reviennent rarement à des sentiments meilleurs. Est-ce la corruption des condamnés des villes qui les gagne ?

Quatrième question :

Comptez-vous beaucoup de détenus qui pratiquent les devoirs de leur religion et s’occupent de la lecture des livres de piété ?

Beaulieu. – Peu ; encore la plupart ne remplissent-ils les devoirs religieux que par hypocrisie et dans l’espoir d’obtenir des faveurs.

Cadillac. – On a vu dans certaines occasions le tiers des femmes s’approcher des sacrements.

Clairvaux. – On en comptait à Clairvaux 148 sur 1 643. La moitié se conduisait habituellement bien ; l’autre moitié était reprochable à divers titres. Comment pourrait-on espérer raisonnablement d’inculquer des croyances salutaires à des hommes dépravés, en présence d’un septicisme [sic] qui se prend à tout ?

Clermont (Oise). – On peut évaluer au cinquième de la population celles des détenues qui, dans les moments libres, se livrent à la lecture des livres de piété.

Embrun. – Le nombre de ceux qui s’approchent des sacrements est excessivement restreint : il a été cette année de 12 ou 15.
On ne lit pas beaucoup de livres de piété : nos dévots en général ne savent pas lire.

Eysses. – Dans ce moment, 20 condamnés seulement pratiquent les devoirs religieux. Le Nouveau Testament de Sacy et quelques brochures morales, répandues dans la maison au nombre de cent exemplaires, sont lus par un nombre à peu près égal de détenus.

Fontevrault. – Les détenus font remarquer peu de dispositions religieuses. Le nombre de ceux qui s’approchent des sacrements est très petit.

Gaillon. – Chez les femmes, il faut en compter au moins un tiers qui pratiquent leurs devoirs de religion ; chez les hommes, ce n’est guère plus du cinquième. On entend ici par la pratique des devoirs religieux la fréquentation des sacrements.

Haguenau. – Sur environ 550 détenues catholiques, il n’y en a annuellement que 200 qui font leur dévotion pascale ; mais toutes demandent les secours et les consolations de la religion dans leurs maladies.
40 détenues environ professent la religion protestante : le pasteur est assez satisfait du zèle qu’elles mettent à entendre ses instructions.
Une vingtaine de livres de piété en langue française sont en circulation, outre les livres des offices dont le plus grand nombre est pourvu, surtout parmi les Allemandes.

Limoges. – Le nombre de ceux qui pratiquent leurs devoirs religieux varie presque tous les ans. Ce nombre est à peu près de moitié chez les femmes et du quart chez les hommes. Très peu, dans l’un comme dans l’autre sexe, s’occupent de la lecture des livres de piété. Il en a été distribué plusieurs fois dans l’établissement, mais toujours infructueusement.

Loos. – Du 3 mars 1833, époque de l’installation du nouvel aumônier, jusqu’au 31 décembre de la même année, il y a eu, sur une population de 1 933 individus, savoir :
Au quartier des hommes, 250 confessions et 118 communiants ;
Au quartier des femmes, 213 confessions et 132 communiantes.
111 détenus de l’un et de l’autre sexe sont morts après avoir reçu les sacrements ; 12 sont décédés sans avoir eu les temps de les recevoir, mais aucun ne s’y refuse.
Peu de prisonniers se livrent à la lecture d’ouvrages de piété, parce que fort peu savent lire.

Melun. – À peu près, chaque année, une douzaine de détenus s’approchent des sacrements ; ce sont presque tous des condamnés des campagnes ou des vieillards. Une vingtaine au plus lisent quelques livres de piété, et notamment depuis que quelques condamnés des départements de l’Ouest ont été envoyés accidentellement à Melun.
Si les détenus profitent peu ou pas du tout des exhortations et des instructions de l’aumônier, quand ils sont en bonne santé, il n’en est pas de même quand ils se sentent dangereusement malades : peu refusent alors les secours de la religion, presque tous les demandent.

Montpellier. – Sur 430 détenues, 145 ont fait leurs pâques, et l’octave n’était pas finie que des peines de discipline avaient été infligées à 14 d’entre elles. L’aumônier a engagé le petit nombre des détenues qui savent lire à s’occuper de la lecture des livres de piété : cette tentative n’a pas réussi.

Mont Saint-Michel. – Un certain nombre de détenus pratiquent les devoirs de leur religion et s’occupent de la lecture des livres de piété ; c’est surtout chez les femmes qu’on remarque ce fait, qui du reste n’a rien de concluant.

Nîmes. – Le règlement impose à tous les détenus l’obligation d’assister aux offices divins. On peut évaluer qu’une moitié y arrive par conviction, l’autre moitié par obéissance. La dixième partie de la population accomplit avec ferveur tous les devoirs de son culte. Il est peu de détenus qui, au lit de mort, ne réclament les secours spirituels.

Rennes. – La moitié des détenus, au moins, pratiquent les devoirs de la religion et s’occupent de la lecture des livres de piété. Tous vont à la messe et à vêpres les dimanches et les grandes fêtes.

Riom. – Un très petit nombre de détenus pratiquent les devoirs de leur religion et s’occupent de la lecture des livres de piété. La plupart n’agissent pas par conviction ; ils s’étudient seulement à cacher sous le manteau de l’hypocrisie leur perversité, afin d’obtenir dans la maison quelque légère faveur et d’être portés sur le tableau des grâces.

DEUXIÈME PARTIE.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES :

CHAPITRE 1er. – SERVICE RELIGIEUX.

Beaulieu. – Il n’existe pas, il n’existera jamais de système pénitencier qui puisse assurer la réforme radicale du plus grand nombre de nos détenus : si quelques-uns se corrigent, les instructions morales et religieuses n’y auront pas une petite part ; mais, pour cela il faut, comme condition indispensable, des aumôniers de talent et d’un caractère tout à fait évangélique, ce qui est très rare.

Ensisheim. – La plupart du temps, l’évêché n’a envoyé pour aumôniers que de jeunes séminaristes sans expérience. L’autorité ecclésiastique objectait la modicité du traitement. Aujourd’hui que les aumôniers sont mieux rétribués, on est en droit de demander un prêtre d’un certain âge, qui connaisse les âmes flétries qu’il est appelé à ramener au bien, et qui veuille s’y dévouer consciencieusement.

Gaillon. – Pour obtenir des résultats satisfaisants d’un système plus religieux dans nos prisons, il ne suffirait pas d’avoir de bons aumôniers, il faudrait encore qu’ils fussent secondés dans leur mission par les autres employés de l’établissement. À quoi pourraient servir les prédications du prêtre, si ceux qui exercent l’autorité dans la prison critiquaient sa croyance ou ses paroles ? Il ne faut s’attendre à aucun bien tant qu’il n’y aura pas conformité de principes et concours d’efforts entre l’aumônier et les employés.

Loos. – Il faut bien se garder de confondre sous un même point de vue l’instruction religieuse et l’instruction morale. Confusément données aux détenus, l’une et l’autre n’ont aucune espèce d’influence décisive ni réformatrice ; tandis que, séparément professées, elles améliorent, si elles ne régénèrent pas totalement un bien plus grand nombre de condamnés qu’on ne le présume généralement.
Convaincu, par l’étude que j’ai faite du caractère normal de la presque généralité des détenus, de l’impossibilité de les ramener à la morale par l’enseignement seul de la religion, je conçus l’idée de les convertir à cette même religion par l’enseignement de la morale, dont ils comprenaient mieux la nécessité. Ce fut alors que j’entrepris mon cours d’instructions à l’usage des prisonniers : je choisis pour sujet la moralité de nos lois pénales ; d’abord, parce que de tous les enseignements, il n’y en a point de plus indispensable aux prisonniers que celui qui leur apprend où l’honneur finit et l’infamie commence ; ensuite, parce que, dans le développement de ce thème, je trouvais à chaque instant l’occasion de faire jaillir la moralité des lois humaines de la sainteté des lois divines, et de jeter ainsi dans l’âme de mes auditeurs incrédules cette idée régénératrice de la nécessité, et par conséquent de l’évidence de Dieu. J’ai réussi sur un grand nombre de détenus.

Mont Saint-Michel. – On peut dire que, depuis quelques années, les croyances religieuses et la foi ont été fortement ébranlées en France, et que les lieux où cet ébranlement a été le plus prononcé sont aussi, généralement parlant, ceux où l’on a vu le plus de corruption et de crimes. Les condamnés qui proviennent des grandes villes sont bien peu sensibles à la voix des aumôniers, car ils ne croient pas : s’ils prêtent l’oreille à leurs instructions, c’est pour tâcher d’y découvrir quelque point qui prête à la critique et à la plaisanterie. Ces hommes sont nombreux dans les prisons ; ils se font en quelque sorte un mérite de l’impiété. Il n’est que trop fréquent de les voir entre eux faire parade de ces sentiments : ils s’imaginent jouer ainsi le rôle d’esprits forts, et ceux qui ont encore conservé quelques principes religieux se voient souvent l’objet de leurs attaques et de leurs railleries. Ces hommes-là, aussi, font des instructions à leur manière, et c’est pour eux une grande victoire que d’avoir réussi à corrompre davantage ceux de leurs camarade qui sont moins gangrenés qu’eux.

Source :

Maisons centrales de force et de correction. Analyse des réponses des directeurs à une circulaire ministérielle du 10 mars 1834 sur les effets du régime de ces maisons. À Paris. De l’imprimerie royale, 1836 : lien

Tableau des Maisons centrales au 1er janvier 1836.

Conclusions

Des renseignements fournis par les directeurs des maisons centrales en réponse aux cinq questions posées par le ministre Adolphe Thiers, nous pouvons tirer quelques conclusions :

1. L’influence de l’instruction morale et religieuse dispensée par les aumôniers catholiques et les pasteurs ne semble pas avoir été aussi « décisive » et « réformatrice » que l’avaient souhaitée les philanthropes, initiateurs de la réforme des prisons. Quelques-uns des directeurs questionnés ont souligné l’incompétence et l’absence du « caractère tout à fait évangélique » des aumôniers des maisons centrales. L’un d’eux a mis en avant la modicité de leur traitement, responsable selon lui de la nomination de jeunes aumôniers, inexpérimentés… Et enfin, la perte de la foi et la baisse de la pratique religieuse dans la société civile ont également marqué la population pénitentiaire.
2. Les directeurs sont unanimes pour reconnaître que les femmes sont par nature plus pieuses que les hommes, même si leur conduite ne s’en trouve pas bonifiée pour autant. Le zèle avec lequel elles pratiquent leur religion en détention ne semble pas avoir été le gage d’une meilleure réinsertion.
3. De la comparaison entre condamné(e)s des villes et des champs, il ressort que les détenu(e)s issu(e)s des villes sont les plus réfractaires aux pratiques religieuses, car « plus corrompu(e)s », par nature. La plus grande perversion des citadins est unanimement évoquée, entraînant une moindre religiosité. L’hypocrisie dans la pratique des devoirs de la religion est souvent pointée du doigt et ce, quel que soit le milieu d’origine des personnes détenues.
4. Quant à la lecture des livres de piété, elle est relativement faible, de l’ordre de 20 % à peine et se heurte à l’analphabétisme du plus grand nombre.

Aujourd’hui, la loi du 9 décembre 1905 fait obligation à la République de permettre aux personnes privées de liberté de pratiquer leur culte. Si l’article R. 57-9-3 du code de procédure pénale stipule que « chaque personne détenue doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle » et qu’il « incombe aux aumôniers d’assurer le service du culte et d’offrir aux personnes détenues qui le souhaitent une assistance spirituelle », rien ni personne ne peut faire obligation à une personne détenue de pratiquer un culte contre son gré.

Depuis l’arrêt du Conseil d’État du 16 octobre 2013, sept cultes disposent d’une aumônerie dans les prisons françaises : catholique, protestant, israélite, musulman, orthodoxe, bouddhiste et témoin de Jéhovah.

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