Jean Cassou, un gaulliste à la prison militaire de Mauzac

Jean Cassou, dessin Georges Bard, prison militaire de Mauzac

Poète, romancier, critique et historien d’art, Jean Cassou s’inscrit dans une grande lignée d’humanistes. Son engagement politique lui vaut de connaître les prisons et les camps de la France de Vichy. Son parcours de « prisonnier gaulliste » le conduit de la prison Furgole au camp de Saint-Sulpice la Pointe, en passant par la prison militaire de Lodève puis celle de Mauzac, où il reste détenu du 18 novembre 1942 au 13 mai 1943…

Jean Cassou, portraituré par Georges Bard à la prison militaire de Mauzac, le 8 avril 1943. Collection Max Moulinier.

Dans la plupart des biographies de Jean Cassou, seuls ses séjours à la prison Furgole de Toulouse et au camp de Saint-Sulpice la Pointe, dans le Tarn, sont évoqués. Or, après sa condamnation à un an de prison par le tribunal de la 17e région militaire, le 31 juillet 1942, ce gaulliste effectue près de la moitié de sa peine à la prison militaire de Mauzac, en Dordogne. Il y est écroué en compagnie de Pierre Bertaux (nommé commissaire de la République à Toulouse en remplacement de… Jean Cassou, laissé pour mort à la suite d’une attaque allemande survenue dans la nuit du 19 au 20 août 1944, lors de la libération de la Ville Rose) et de l’antifasciste italien Francesco Fausto Nitti…

Biographie sommaire

Jean Raphaël Cassou est né le 9 juillet 1897 à Deusto, près de Bilbao, en Espagne. Inspecteur des Monuments historiques dès 1932, Jean Cassou est membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes après le 6 février 1934 et dirige, à partir de 1936, la revue Europe.
Il appartient en 1936 au cabinet de Jean Zay, ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts du Front populaire. Favorable à l’aide à la République espagnole, il se rapproche du Parti communiste mais rompt avec lui au moment du pacte germano-soviétique d’août 1939.

Portrait de Jean Cassou

Mobilisé en septembre 1939, il est affecté, en avril 1940, au Musée national d’Art Moderne à Paris dont il est le conservateur adjoint. Il se consacre au travail de sauvegarde du Patrimoine national. Révoqué par le Gouvernement de Vichy, il rédige ses premiers tracts contre Vichy et les Allemands dès septembre 1940. À l’automne 1940, Jean Cassou rencontre un petit groupe de chercheurs animé par Boris Vildé, Anatole Levitsky et Paul Rivet : le groupe du « Musée de l’Homme ». Avec Claude Aveline, Agnès Humbert, Simone Martin-Chauffier et Michel Abraham, Jean Cassou se voit confier la rédaction du journal clandestin du Groupe, Résistance, dont les cinq numéros se succèdent du 15 décembre 1940 jusqu’en mars 1941.

Alors que les arrestations des membres du groupe du Musée de l’Homme se multiplient, Jean Cassou échappe à la Gestapo en allant se réfugier à Toulouse. À partir du mois d’août 1941, il rejoint le réseau dirigé par Pierre Bertaux. Arrêté le 13 décembre 1941, il est écroué à la prison militaire Furgole puis jugé par le tribunal militaire de la 17e région à Toulouse, le 31 juillet 1942, reconnu coupable d’actes de nature à nuire à la défense nationale et condamné à un an de prison.

C’est à Furgole qu’il compose, de tête, car il n’a pas le droit d’écrire, ses « 33 sonnets composés au secret » qui seront publiés en 1944 sous le pseudonyme de Jean Noir par les clandestines Éditions de Minuit. Ce recueil de poèmes, dédié « À mes Compagnons de prison », sont présentés par François La Colère, alias Louis Aragon.

En août 1942, après son jugement, Cassou est transféré à la prison militaire de Lodève (Hérault) puis, le 18 novembre, vers celle de Mauzac (Dordogne). Le 13 mai 1943, à la fin de sa peine, il fait l’objet d’une mesure d’internement administratif. Il est assigné au camp de séjour surveillé de Saint-Sulpice la Pointe et obtient sa libération le 18 juin 1943. Il reprend aussitôt ses activités dans la Résistance.

Souvenirs de la prison militaire de Mauzac

Dans un livre autobiographique publié en 1981 dans la collection « Vécu » chez Laffont, Une vie pour la liberté, Jean Cassou fait le récit de son arrivée à la prison militaire de Mauzac : « On nous parqua dans un réfectoire comportant une longue table avec des bancs. Tout en haut une grande vitre donnait sur la campagne. Un des carreaux était ouvert, de sorte qu’en montant sur la table on pouvait non seulement voir, mais aussi respirer la campagne de France dans une calme soirée de fin d’automne. Soudain, sur un chemin tout proche, apparut un troupeau d’écoliers qui, menés par leur maître, chantaient d’une voix aigrelette : Maréchal, nous voilà ! Nous retombâmes, accablés, sur nos bancs. Nous nous mîmes à ronger silencieusement les restes de quelques provisions que nous avions gardés avec nous. Daubèze grommela : Ces petits… Et il fit le geste de tourner dans son poing une pièce de métal. Ces petits, il va falloir les retordre. Quel travail !« 

Buste de Jean Cassou, Jardin des Plantes, Toulouse.

« À Mauzac, on nous mit dans une baraque vide, près des barbelés. L’adjudant-chef, survenu, fit la grimace. C’est de là que s’étaient naguère évadés Jean-Pierre Bloch et sa bande. Et vous m’amenez encore des gaullistes ou je ne sais quoi, des individus de la même espèce ! Une fois suffit. On nous mit donc plus à l’intérieur du camp, dans une vaste baraque pleine de communistes avec qui nous fraternisâmes immédiatement, des anarchistes réfractaires à toutes les guerres d’où qu’elles viennent et où qu’elles aillent, des droits communs, des agents de la Gestapo – j’ai déjà parlé de ces étranges mixtures. C’est là que nous trouvâmes également un pacifiste de l’école de Giono, excellent dessinateur, homme sensible et doucement rêveur… » Il s’agit de Georges Bard, condamné par le tribunal militaire de Marseille à cinq ans de prison pour « insoumission à la loi sur le recrutement en temps de guerre », auteur du portrait de Cassou, ci-dessus.

« J’ai revu plus tard le camp de Mauzac.
Il m’a paru minuscule »…

Jean Cassou est décédé le 16 janvier 1986 à Paris. Il a été inhumé au cimetière parisien de Thiais, dans le Val-de-Marne.

Jardin des Plantes, Toulouse. Photo Jason Riedy.

Pour aller plus loin : éléments biographiques et bibliographiques…

Site de l’Ordre de la Libération : lien
Site de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique : lien
Voir également l’article de Lionel Seguin publié le 9 juillet 2008 sur ce blog : lien
… et cette critique littéraire de « La mémoire courte », publiée le 20 juin 2008 : lien

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