Détention de Madame Steinheil à la prison Saint-Lazare
Par Jacky Tronel | samedi 26 mai 2012 | Catégorie : Dernières parutions, DES HOMMES… | 1 CommentaireMarguerite Jeanne Japy, épouse Steinheil, est connue pour sa liaison avec le Président Félix Faure, décédé à l’Elysée le 16 février 1899, en sa galante compagnie. Une dizaine d’années plus tard, Madame Steinheil se trouve sur le banc des accusés de la Cour d’Assises de la Seine, inculpée dans une ténébreuse affaire d’homicide. Le 31 mai 1908, sa mère et son mari sont trouvés morts dans leur logis de l’impasse Ronsin, à Paris.
Le 4 novembre 1908, sur la base d’une inculpation de complicité de meurtre, Marguerite Steinheil est écrouée au quartier de la pistole, à la prison Saint-Lazare.
Le 14 novembre 1909, après une plaidoirie de plus de sept heures de son avocat, maître Antony Aubin, Madame Steinheil est acquittée par le jury d’assises de la Seine… bien que le juge ait qualifié son discours de « tissus de mensonges ».
Détenue à Saint-Lazare, Madame Steinheil loge « à la pistole »
Les détenues sont soumises au « décret du 11 novembre 1885 portant règlement du service et du régime des prisons de courtes peines ». Après un séjour au Dépôt, condamnées, accusées ou prévenues sont astreintes, selon leur catégorie, à la vie en commun, travaillent à l’atelier, mangent au réfectoire, dorment soit dans des dortoirs en commun, soit dans des cellules contenant de cinq à dix lits. Les prisonnières sont obligées de prendre part aux travaux organisés dans la prison. Si leur condamnation dépasse un mois, elles sont tenues au port du costume pénal : la robe grise et le bonnet noir.
Les prévenues et les accusées ont droit, en payant une redevance de vingt-cinq centimes par jour, de rester en pistole, au lieu de travailler à l’atelier et de coucher au dortoir. La pistole est une cellule moins étroite, mieux située, plus confortablement installée que les autres et chauffée en hiver, où le nombre de détenues enfermées ne peut s’élever au-dessus de dix.
La cellule de Mme Steinheil à Saint-Lazare, au quartier de la Pistole. Photo Dimanche illustré du 14 novembre 1909.
Récit de la détention de Marguerite Steinheil à la prison Saint-Lazare
… d’après le journal Le Petit Parisien (Paris) du samedi 28 novembre 1908 :
« Comment Mme Steinheil a été installée dans la vieille prison… On lui a donné une compagne de cellule. Bien que M. Pons, directeur de la prison Saint-Lazare, soit un homme fort aimable, nous ne pouvions songer à lui demander des détails sur l’existence de sa nouvelle pensionnaire, la discrétion professionnelle s’imposant plus que jamais à ce fonctionnaire, en cette circonstance. Nous avons pu, néanmoins, puiser à bonne source les renseignements concernant Mme Steinheil depuis l’heure de son incarcération.
En arrivant, vers neuf heures et demie, jeudi soir, à la maison d’arrêt du faubourg Saint-Denis, la détenue fut conduite à la Pistole des prévenues faisant partie du quartier judiciaire et pénitentiaire, distinct du quartier administratif, réservé aux filles publiques.
En général, les prévenues de droit commun couchent dans des chambres assez spacieuses où elles sont au nombre de trois, six et même huit détenues. Mais, faisant suite à ces dortoirs, se trouve “la Pistole”, composée d’une huitaine de cellules réservées aux personnes qui veulent être isolées et qui ont les moyens de payer cette faveur, du reste fort peu onéreuse, puisque la pension comprenant la location de la chambre pistolière, le chauffage et l’éclairage, ne s’élève pas à plus d’un franc par jour.
Les prévenues sont exemptes du costume pénal et gardent leurs vêtements personnels. Elles peuvent recevoir des vivres du dehors ou s’approvisionner à la cantine. Le travail est facultatif.
Mme Steinheil occupe la cellule n° 4. Le mobilier comprend un lit en fer et sa fourniture, une table de nuit, une chaise, une table de travail, un poêle ; l’éclairage est assuré au moyen d’un bec de gaz hors de portée des détenues. La femme du malheureux peintre assassiné n’est pas seule dans sa cellule ; elle a comme compagne de détention une autre prévenue. Il vaut mieux, en effet, ne pas laisser seule Mme Steinheil, une assistante pouvant, au besoin, prévenir un suicide ou recueillir des aveux.
Le règlement concernant les détenues fixe le lever à sept heures du matin, en cette saison, et le coucher à sept heures et demie du soir. Les repas ont lieu à neuf heures et à quatre heures. Quant aux sorties dans les préaux, les prévenues ne les effectuent, généralement, qu’en dehors des heures désignées pour la promenade des prisonnières et quand ces dernières ont quitté les cours pour rentrer dans les ateliers.
Mme Steinheil, en prenant possession de sa cellule, prépara elle-même son lit et, brisée physiquement par les multiples événements qui s’étaient passés dans la journée, ne tarda pas à se coucher. Mais agitée par les émotions ressenties au cours de l’instruction, elle ne put dormir. Sa respiration était haletante, par moments elle se retournait nerveusement sur sa couche étroite, cependant elle garda le mutisme le plus complet et n’adressa pas la parole à la prévenue qui partage sa cellule.
La visite de Me Antony Aubin
Vers neuf heures et demie, sa femme de chambre, Fanny, se présenta au greffe de Saint-Lazare, comme nous l’annonçons plus haut, apportant des vêtements et du linge de corps à la prisonnière. Quelques instants plus tard, vers dix heures, Me Antony Aubin, défenseur de Mme Steinheil, accompagné de son secrétaire, Me Steinhardt, vint rendre visite à sa cliente. L’entrevue eut lieu au parloir des avocats et, à dix heures trois quarts, elle prenait fin.
À la sortie de la prison, Me Antony Aubin se contenta de dire aux journalistes qui l’assaillaient de questions : “Mme Steinheil est venue me rejoindre dans le parloir vitré où les visiteurs sont admis à s’entretenir avec les détenues. Elle avait passé la nuit que vous pensez, une nuit de larmes. Pendant près de deux heures j’ai pu causer avec elle. Mais ne me demandez pas la moindre confidence sur notre conversation, le devoir professionnel m’oblige à une réserve absolue.”
Ma cliente est devenue inculpée et, à partir de oe moment, toutes les confidences, incidents, interrogatoires concernant cette affaire ne doivent pas sortir du cabinet du juge d’instruction. C’est une cause extrêmement tragique, conclut Me Antony Aubin, et bien pénible, surtout pour la pauvre jeune fille qu’est Mlle Steinheil.
Nous avons pu apprendre, d’autre part, que Mme Steinheil n’avait pas, paraît-il, compris qu’elle était inculpée de complicité de meurtre. Elle pensait, a-t-elle dit à Me Aubin, qu’elle avait été arrêtée simplement pour mensonges. “Oh s’écria-t-elle, si on ne relève à ma charge que le crime, je ne resterai pas longtemps ici, car j’aurai vite établi mon innocence !” »
La prison Saint-Lazare, cour intérieure et accès au « quartier judiciaire ». Source
Le procès devant la cour d’assises de la Seine
Pendant la durée du procès, Madame Steinheil est logée au quartier des femmes du Dépôt, dont voici la description faite par le journal L’Illustration : « C’est un lieu à la vérité mélancolique, davantage sans doute que bien d’autres geôles. Les cellules s’y alignent sur trois étages, s’ouvrant sur des balcons en encorbellement, le long d’un spacieux corridor où les baies, hautes et larges pourtant, ne versent qu’un demi-jour gris et froid. Dans cette triste antichambre de prison, seul le va-et-vient des gardiens et des religieuses de Saint-Joseph-de-Cluny aux longs voiles bleu de ciel, met quelque animation.
Le dépôt communique avec le Palais de justice par un passage souterrain. Si le procureur a décidé d’y transférer Marguerite Steinheil, c’est pour éviter des manifestations sur son passage dans les rues de Paris… Car l’affaire est à la fois crapuleuse et mystérieuse… ».
Mme Marguerite Steinheil comparaît devant la cour d’assises de la Seine. Extrait du journal Dimanche Illustré du 14 novembre 1909.
Le 14 novembre 1909, maître Antony Aubin obtient l’acquittement de Marguerite Steinheil…
Pour aller plus loin :
Site avec journaux d’époque : DePaul University.
Vidéo sur le sujet : lien
Photo de Mme Steinheil : source
La prison Saint-Lazare sur le site Criminocorpus : lien
Arrivage de « filles publiques » en voitures cellulaires à la prison Saint-Lazare : lien
« Saint-Lago » aura vécu ! Dans ces cellules, les femmes ne pleureront plus leur passé… : lien
La prison Saint-Lazare au début des années vingt : le témoignage de Jeanne Humbert à « Saint-Lago » : lien
[…] Par Jacky Tronel | samedi 26 mai 2012 – Pour en savoir plus lire le billet publié sur le site Prisons-cherche-midi-mauzac. […]