Arrivage de « filles publiques » en voitures cellulaires à la prison Saint-Lazare
Par Jacky Tronel | dimanche 18 décembre 2011 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | Pas de commentaire« Tout en haut du faubourg Saint-Denis, un bâtiment malpropre offense le regard des passants. Il présente une façade sombre à fronton grec et à écusson sculpté. C’est la prison des femmes de Saint-Lazare, qui fut couvent. Son portail infâme se referme sur la plus atroce misère humaine. Sans motifs valables on y détient des femmes, autres que des prisonnières de droit commun victimes de la plus effroyable injustice. L’Ironie a inscrit ce mot : ‘Liberté’ au-dessus de sa porte. En ce lieu sinistre, où la Hantise étreint le cerveau des courtisanes, prisonnières dans l’ombre infecte des cachots, aux paillasses grouillantes de vermine, où donc est cette Liberté. Dans ses cellules on a vu des femmes de vingt ans allaitant de petites choses roses qui souriaient en fermant leurs petits poings. […] La République doit jeter à bas cet édifice que la Monarchie utilisa en prison. Il déshonore le Vieux Paris. »
L. Arlène, texte d’une légende figurant sur une carte postale de la série Vieux Paris, Éditions Combier, Mâcon.
Façade de la prison Saint-Lazare donnant sur la rue du Faubourg Saint-Denis, Paris Xe.
Bref historique de la prison Saint-Lazare
Maison d’arrêt, de justice et de correction pour les femmes (1791 – 1932) Paris, 10e arrondissement.
« Le couvent fondé par saint Vincent de Paul – et où il mourut en 1660 – fut transformé en prison en 1791, et accueillit spécifiquement les femmes en 1794. Quelques travaux furent exécutés en 1802, l’ancienne chapelle gothique transformée en grenier à foin fut démolie en 1823. En 1824, l’architecte P.L. Baltard construisit un bâtiment neuf, une chapelle et une infirmerie.
La prison Saint-Lazare était à la fois maison d’arrêt, de justice, de correction et d’éducation correctionnelle pour les jeunes filles détenues par voie de correction paternelle. Elle accueillait des prévenues et des accusées de délits et de crimes, des condamnées à l’emprisonnement de moins d’une année, des détenues pour dette envers l’État, des prostituées privées de liberté par jugement ou décision administrative qui étaient confinées dans l’infirmerie ou dans la prison. Elle servait aussi de maison de détention municipale pour les mineures arrêtées en flagrant délit de prostitution sur la voie publique, d’hospice de syphilitiques et de maison hospitalière.
En 1836, on y hébergea les filles publiques jusqu’alors internées aux Madelonnettes.
« La prison de Saint-Lazare – Un arrivage dans la cour de l’Administration », en voitures cellulaires,
Jounal L’Illustration du 13 février 1897. Cliquez sur l’image pour l’agrandir…
La prison était divisée en trois quartiers : le quartier judiciaire ou première section réservée aux détenues de droit commun, le quartier administratif ou deuxième section pour les filles publiques, l’infirmerie pour les malades, notamment les personnes atteintes de maladies vénériennes. Dans la première section, une centaine de cellules étaient réservées aux jeunes détenues et à un certain nombre de condamnées. Ces cellules dans le quartier dit de « la ménagerie » étaient munies de barreaux et de grilles qui n’empêchaient ni le froid ni les odeurs. Les cloîtres servaient de dortoirs. Dans la seconde section, le rez-de-chaussée comportait les cuisines, les salles de préparations pharmaceutiques, les bains, surmontés de deux étages d’infirmerie. Les mêmes salles servaient de dortoir, de réfectoire et d’ateliers. Sous les combles, un dortoir d’une centaine de lits était réservé aux « filles soumises ». En 1868, on compta 992 femmes détenues. Par ailleurs, étaient installés à Saint-Lazare la lingerie et la boulangerie des prisons de la Seine et le magasin général pour l’approvisionnement en vêtements et chaussures de l’administration pénitentiaire.
Le 21 décembre 1912, le Conseil général de la Seine adopta le principe de la reconstruction de Saint-Lazare et de la Petite Roquette à Pantin. La guerre survint avant que cette question fût résolue. En 1927 et 1928, on décida la destruction des bâtiments compris entre la chapelle et le faubourg Saint-Denis. La prison fut fermée en juillet 1932 et la démolition effective entre 1935 et 1940. Les bâtiments subsistants (dont la chapelle, visible au fond du square Alban-Satragne) appartiennent aujourd’hui à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris. »
Source : Brève histoire des prisons parisiennes, in « L’impossible photographie, prisons parisiennes, 1851-2010 »,
Catherine Prade, Musée Carnavalet – Paris-Musées, 2010, p. 221-222.
Pour aller plus loin
Lire sur ce blog : « Saint-Lago » aura vécu ! Dans ces cellules, les femmes ne pleureront plus leur passé… : lien
La police des mœurs sous la IIIe République – Limites et réalités d’une ‘police républicaine’, Jean-Marc Berlière, IEP Grenoble : lien