Recherches sur le pénitencier militaire d’Albertville
Par Jacky Tronel | mercredi 4 août 2010 | Catégorie : Dernières parutions, RECHERCHES | 9 commentairesÀ la faveur d’une recherche sur les pénitenciers, j’ai constaté qu’il y avait autrefois un pénitencier militaire à Albertville dont on ne trouve aucune mention sur Internet, sinon sur un site de cartes postales anciennes. Serait-il possible d’avoir des renseignements historiques plus précis sur les différentes prisons (civiles et militaires) d’Albertville ? Les sites militaires laissent entendre que les unités disciplinaires étaient un mythe. Mais qu’en est-il des pénitenciers militaires ? Le sujet est-il tabou ? » – P. F.
En réponse à ce message parvenu via le blog « Histoire pénitentiaire et Justice militaire », voici quelques éléments de réponse :
Le pénitencier militaire d’Albertville ouvre le 1er octobre 1900. La population pénitentiaire écrouée provient du pénitencier d’Avignon. Le pénitencier d’Albertville fonctionne jusqu’au 26 décembre 1926, date de sa fermeture définitive. Les prisonniers qui s’y trouvent sont transférés vers la maison centrale de Clairvaux (Aube).
Les registres (partiels) des détenus du pénitencier d’Albertville sont conservés au Fort de l’Est et sont consultables à Vincennes, Service Historique de la Défense – Département Armée de Terre, sous-série 13 J (prisons militaires) :
13 J 123 : 5 octobre 1899 (Avignon) – 8 octobre 1910 (Albertville)
13 J 8 : 12 juillet 1916 – 19 octobre 1918
13 J 9 : 19 octobre 1918 – 28 décembre 1919
13 J 10 : 1er janvier 1920 – 4 avril 1923 (registre interrompu entre le 1er janvier et le 11 juillet 1920)
13 J 11 : 9 mars 1923 – 26 décembre 1926
Deux rapports sur le pénitencier militaire d’Albertville (1918 et 1923) sont également signalés en 8 N 175-5.
Pendant la Grande Guerre, une section de travaux publics est ouverte au pénitencier d’Albertville : « Une enquête du ministère de la Guerre réalisée en octobre 1916 évalue à 30 000 hommes l’ensemble des corps spéciaux stationnés en Afrique du Nord. Pour absorber les déserteurs et les insoumis, des sections de travaux publics sont mêmes ouvertes dans des pénitenciers de métropole, à Gaillon, à Albertville et à l’île Madame. »
Dominique Kalifa, Biribi, Les bagnes coloniaux de l’armée française, Paris, Perrin, 2009, p. 158.
Pendant la guerre d’Algérie, le pénitencier d’Albertville reprend du service : « Mais, plutôt que de leur faire un procès gênant, les autorités préfèrent souvent isoler et tenter de briser ceux qui n’acceptent pas de participer à la ‘sale guerre’. Des réfractaires sont ainsi envoyés dans des unités disciplinaires, des ‘sections spéciales’ comme celle d’Albertville, en Savoie, où d’anciens gardes-chiourme des bataillons d’Afrique surveillent, dans une prison désaffectée, des hommes qui y ont été conduits sans jugement aucun. »
Michel Auvray, Objecteurs, insoumis et déserteurs, Histoire des réfractaires en France, Paris, Stock, 1983, p. 221.
Les recherches sur les établissements pénitentiaires militaires sont à effectuer à Vincennes (SHD-DAT). Celles qui touchent aux prisons civiles (maison de justice, maison d’arrêt et de correction) sont à mener aux archives départementales :
Archives départementales de la Savoie
(244 quai de la Rize, 73000 Chambéry,
tél. 04 79 70 87 70, ad@cg73.fr, www.sabaudia.org)
Les pénitenciers militaires sont créés par l’ordonnance royale du 3 décembre 1832 et visent les militaires condamnés à un emprisonnement supérieur à un an.
Si les recherches et les publications relatives aux établissements pénitentiaires sont peu nombreuses, c’est que les archives de la Justice militaire ont été, jusqu’à il y a peu, très difficiles d’accès. Aujourd’hui, on ne peut plus dire que ce sujet soit tabou… C’est un réel objet de recherche qui intéresse un certain nombre de chercheurs et d’historiens.
Qui souhaite étoffer l’article, transmettre documents iconographiques ou référence bibliographique sera le bienvenu !…
J’ai sejourné à la section speciale d’Alberville en 1959 pendant 7 mois, très dur…!
J’ai séjourné à la Section Spéciale Métropolitaine d’Albertville du 10 mai au 13 juillet 1953, après 60 jours de prison (dont 15 de cellule) pour atteinte au moral de l’armée (opposition active à la guerre d’Indochine).
J’y étais le seul « politique », entouré par des condamnés militaires et des « BIL » (qu’est-ce que ces 3 lettres veulent dire???? En fait, des « droits communs », mineurs condamnés à plus d’un an et qu’on jugeait « indignes de porter l’uniforme » mais qu’on ne dispensait pas d’embrigadement pour autant. Ils ressentaient cela comme une injuste double peine et ils avaient raison. Je ne sais pas encore comment j’ai pu traverser 3 mois de promiscuité avec ces gens sans une bagarre (dont je serais sorti en compote). Il est vrai que mes qualités de chanteurs et d’écrivain public m’ont beaucoup servi (Comme un petit coquelicot et le Ydische mamma étaient mes plus grands succès!!!!)
Questions : Quand ce centre a-t-il fermé définitivement ?
Que veulent dire les initiales B I L ?
Qu’est devenu l’ex-caporal Barthélémy, Nancéen, excellent dessinateur, ancien parachutiste et oasis de fraîcheur et de droiture dans ce milieu frelaté ?
Le pénitencier a fermé définitivement en 1958 ou 1959 environ. Au dernier trimestre 1957 je me souviens, étant au lycée juste en face avoir croisé des groupes de détenus revenant de corvées en ville. Par la suite, le lycée ne disposant pas de gymnase couvert, il nous arrivait d’aller faire du sport dans la salle de sport du pénitencier.
J’oubliais de préciser que les bâtiments ont du être rasés début des années 90 dans le cadre du remodelage urbain réalisé par Albertville pour les JO d’hiver de 92.
Pour l’anecdote au cours des années 1970 et 1980, les bâtiments administratifs du pénitencier ont été utilisés par la ville pour y abriter diverses activités sociales ou administrations de services sociaux. C’est ainsi que le porche surmonté de son inscription « Pénitencier militaire » portait en outre divers panneaux indicateurs de part et d’autre de la porte, panneaux dont la juxtaposition était inattendue et qq peu comique : un panneau « Centre aéré », un autre » judo club » et un troisième indiquant « sortie d’ambulance ».
Bonjour,
Je suis né dans le pénitencier d’Albertville… À cette époque (1949) beaucoup de femmes accouchaient à la maison. J’ai encore mille souvenirs (même s’ils sont de plus en plus flous) de ces dix années de mon enfance passées dans cet établissement. Papa était un des gardiens de la prison (Sergent chef du 13° bataillon de chasseurs alpins). Il est décédé en 1992, mais j’ai le souvenir d’un type épatant qui a eu une vie riche et difficile (39/40 ; 4 ans de captivité ; guerre en Corée et en Indochine, (10 mois de captivité après Dien Bien Phu), guerre d’Algérie et enfin le pénitencier… Je ne crois pas du tout que c’était un « geôlier »!
En réponse à Jacques…
BIL signifie « Bataillon d’Infanterie Légère », c’est-à-dire unité de repris de justice. Après leur dissolution totale en 1940, plus personne ne voulait entendre parler des BILA (bataillons d’infanterie légère d’Afrique). Mais on recréa un BIL en 1944, et un BILOM (bataillon d’infanterie légère d’Outre-Mer) par la suite pour les anciens de la LVF, de la Légion Tricolore et de la division Charlemagne. Comme le BIL devait partir en Indochine avec du reliquat de maison centrale, il en résulta une confusion totale. On recréa donc le BILA dont les traditions relèvent de l’armée d’Afrique et on dilua le BILOM dans des unités coloniales.
TD.
Mon père a été condamné à 10 ans entre 1922 et 1932. Il a dû faire la fermeture de 1926. Auriez-vous des infos sur les conditions de détention, le déménagement de 1926 ? Je vous remercie de vos infos si vous en avez.
Bonsoir Philippe,
En réponse, la cote 13 J 11 du Service Historique de la Défense, Département de l’Armée de Terre (Vincennes) atteste la fermeture de l’établissement le 26 décembre 1926 et le transfert des condamnés à Clairvaux… Ce sont donc les Archives départementales de l’Ain qu’il faudrait consulter à ce propos… Bonnes recherches…
Merci Jacky,
Infos importantes pour moi. Je vais m’y atteler.
Salutations
Bonsoir,
Zephyr m’a informé que le transfert d’établissement a été provoqué par l’émoi suscité en 1924 par l’ouvrage « Dante n’avait rien vu » du fameux journaliste Albert Londres. Les conditions de vie à Clairvaux étaient jugées moins dures. En 1914, c’est là que le 6ème Groupe Spécial du 6ème corps d’armée recrutait ses hommes pour les bataillons de marche d’infanterie légère d’Afrique. Paradoxalement, un siècle plus tôt, en 1832, les détenus militaires de Clairvaux avaient été transférés en Algérie…
Cordialement.