« La Mal Coiffée » de Moulins-sur-Allier : prison allemande en 1940
Par Jacky Tronel | samedi 30 juillet 2011 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | 11 commentairesAlors qu’il contemplait la tour carrée du château des Ducs de Bourbon, Louis II se serait exclamé, en considérant la toiture : « C’est une belle tour, mais elle est mal coiffée ». Ce surnom lui est resté à travers les siècles… Convertie en prison après l’incendie qui ravage le château en 1775, la Mal Coiffée fait office de prison allemande du 19 juin 1940 au 25 août 1944. Des milliers de résistants et de juifs y seront détenus. À la Libération, la tour demeure une prison jusqu’en 1984, date de l’ouverture du centre pénitentiaire d’Yzeure. Aujourd’hui, le Département de l’Allier engage un projet de réhabilitation de la Mal Coiffée et souhaite y créer « un pôle dédié aux Bourbon », faisant craindre que ne disparaisse la mémoire des résistants qui y ont été internés, torturés puis déportés vers les camps de concentration et d’extermination nazis. Un Musée de la Résistance et de la Déportation y aurait trouvé là une place toute légitime. Peut-être n’est-il pas trop tard encore pour l’envisager…
Un peu d’histoire
La Mal Coiffée désigne l’ancien donjon du château des Ducs de Bourbons et date du XIVe siècle. Masse rectangulaire de 45 mètres de hauteur sur une assise de 20 mètres par 15, la tour comprend sept étages au-dessus du sol et trois en sous-sol. Les plans ci-dessous, établis par M. Genermont, architecte des monuments historiques (il suffit de cliquer sur le plan pour l’agrandir), sont tirés du livre : Une prison militaire allemande à Moulins, « La Mal Coiffée », d’Yvonne Henri Monceau (Crépin-Leblond éditeur, Moulin, 1945, lien). L’auteure a elle-même vécu une dizaine de jours de détention à la Mal Coiffée, à partir du 25 février 1944, jour de son arrestation.
Le texte et les photos qui suivent proviennent essentiellement de cet ouvrage. Je remercie M. Jacques Dieu, secrétaire général national de l’Amicale Mémoire du Réseau Gallia, de me les avoir communiqués.
Prison allemande
Le 18 juin 1940, lorsque les Allemands pénètrent dans Moulins et se font ouvrir les portes de la prison, ils y trouvent le gardien-chef nommé Perrin avec une partie du personnel pénitentiaire de Fresnes et de Clairvaux réfugié à Moulins. Le lendemain 19 juin, le gardien reçoit l’ordre de liquider immédiatement le personnel pénitentiaire réfugié. Perrin reste seul avec quatre agents et une vingtaine de prisonniers de droit commun. À compter de ce jour, les Allemands conduisent à la prison, à toute heure du jour et de la nuit, les Français qu’ils arrêtent, ainsi que les soldats allemands coupables de diverses infractions.
Personnel de commandement de la prison allemande avec, à gauche et en tenue militaire, Meier. Le quatrième en partant de la gauche se nomme Hermann, l’homme à la casquette en arrière-plan, Kerck. Les deux civils sont de la Gestapo. Cette photo aurait été subtilisée aux Allemands juste avant leur départ.
Le 30 septembre 1941, Perrin est mis à la retraite par l’autorité pénitentiaire. Le régime se durcit… et plus encore à partir du 22 janvier 1943, quand la prison devient une prison militaire exclusivement allemande, sous la direction du Docteur Maas. À compter de cette date, la prison est réservée à tous ceux qui, de près ou de loin, sont mêlés aux « crimes et délits graves » commis contre les Allemands, aux « attentats » dirigés contre la sûreté de l’occupant. La Mal Coiffée devient alors le fief de la Gestapo, en même temps que celui de la Feldgendarmerie et de l’armée, avec son cortège d’interrogatoires « musclés », ses tortures et ses régimes d’exception.
Le martyre de Maurice Tinland
À partir de 1944, les arrestations se multiplient. Le 28 janvier, c’est l’arrestation de Maurice Tinland, chef des M.U.R. (Mouvements Unis de la Résistance) de l’arrondissement, avocat, maire de Moulin de 1947 à 1959. Son premier interrogatoire est ainsi décrit par Yvonne Henri Monceau : « Il reçut des coups de poings sur la figure : dents cassés, lèvres fendues, du sang gicle. Un Allemand crie parce que le parquet est sali de son sang, et Tinland, qui souffre, sera obligé de nettoyer… Mais cela n’est rien. L’interrogatoire continue à coup de poings et à coups de pied. Ils sont trois pour cette triste occupation : deux Allemands et un Français – un Français de Moulins… Tinland recevra, durant ce premier interrogatoire, sur son torse nu, deux cent cinquante coups de trique, espèce de corde à nœuds…
Et puis c’est le mitard, le cachot humide et obscur, au fond de la cave, où sur un peu de paille sale et mouillée, il restera presque évanoui, couvert de sang.Pour nourriture, il aura deux fois par jour cinquante grammes de pain, une gamelle de mauvais bouillon et jamais à boire…
Après une semaine de cachot, Tinland remonte pour un second interrogatoire. La Gestapo de Vichy veut savoir ce qu’il a fait, veut connaître les rouages de l’organisation. Cette fois ils sont cinq pour le battre avec un nerf de bœuf – sur tout le corps, sur le ventre. Tinland perd connaissance. Dès qu’il revient à lui, les brutes recommencent. Nouvel évanouissement. Il aura ainsi trois syncopes. Dès qu’il ouvre les yeux, l’interrogatoire se poursuit. On le menace d’aller chercher sa mère – sa mère – et de lui faire subir la même torture. Il n’a aucune réaction, il ne parle pas. On lui met le revolver contre la figure, on menace, de tirer. Il ne parle pas. Fusillé pour fusillé, pense-t-il, mieux vaut que cela soit tout de suite. Tinland est si faible après ce second interrogatoire que les Allemands n’osent pas le redescendre au mitard. Ses bras sont noirs de sang caillé. Pour parer les coups, instinctivement, il avait gardé les bras en l’air, et les vaisseaux avaient éclaté sous le reflux de sang.
Au bout de deux jours, sentant qu’il s’en tirera, les Allemands redescendent Tinland au mitard, où il restera dix semaines, dix interminables semaines de tortures physiques et morales, dix semaines sans boire. Au-de-dessus de son mitard se trouve la chambre où la Gestapo interroge ses victimes. Il entend le trépignement des pieds, les chaises qui se brisent, les tables qui tombent, les corps qui s’écroulent à bout de souffrances, qui se relèvent après de terribles silences, qui s’écroulent encore. Il entend les cris des suppliciés, cris qui n’ont plus rien d’humain.
Les instruments de torture à la Mal Coiffée sont très simples : ce sont la crosse de revolver, le gourdin, la tenaille, le nerf de bœuf, le fil de fer, la baignoire et, par dessus tout cela, la faim, la soif, la torture morale. Plus couramment, les Allemands se vengent par la correction manuelle – entendez par là les coups de poing qui cassent les dents, qui déboitent le menton, qui font traverser les lèvres par les dents, coups de poing qui blessent, assomment, tuent parfois. Il y a aussi les coups de pied avec recherche de la cassure du tibia, coups de pied au ventre, au bas-ventre, piétinement de l’individu tombé au sol. Il y a encore la mise en bouillie des orteils nus, à coups de talons ferrés du fameux fer à cheval, et si l’Allemand est fatigué ou veut rester assis, la même opération se fait avec la crosse du fusil ou de la mitraillette.
Et pendant dix terribles semaines, quand ce n’est pas lui qui est torturé ou battu, Tinland entendra torturé les autres. Au fond de son mitard, il essaye de se boucher les oreilles. Il croit qu’il va devenir fou. Plus tard il dira : “ C’était cela le plus dur, imaginer le martyre des autres et rester là impuissant, dans l’attente des mêmes souffrances ». Car les Allemands ont le génie de la torture. Ils s’attaquaient de préférence aux parties sexuelles, s’en servaient de pelote à épingle, les tordaient avec la main ou avec un fil de fer, les faisaient griller ave un journal enflammé ou les arrachaient avec une tenaille, et les malheureux traités ainsi mouraient avant de regagner leur chambre […] et les atrocités continuent : la tenaille pince, arrache les ongles ou écrase simplement le bout des doigts… La baignoire : une baignoire toute simple, qui se trouvait dans la petite cour du sud-ouest, essayera d’arracher de aveux à un chef du maquis du Puy-de-Dôme. Ce n’est pas difficile. On immerge la tête du questionné sous l’eau. Quand sa figure devient bleue, qu’il va se noyer, on lui soulève la tête hors de l’eau. S’il ne répond pas aux questions posées, on recommence… ” »
Fin du calvaire : la Libération
Le 6 juin 1944, l’annonce du débarquement allié suscite un immense espoir dans la prison. Les prisonniers cherchent à communiquer entre eux. On commence à scier les barreaux des fenêtres, à enlever les lames de parquet pour faciliter la communication d’une cellule à l’autre… En juillet, trois prisonniers, Kespi, Clavel et Marcus sont extraits de la prisons et sont fusillés en forêt de Marcenat.
Le 10 août, une évasion de 17 détenus a lieu. À partir du dimanche 20 août, la libération des détenus commence, “ par petits paquets ”. D’après l’effectif inscrit sur l’ardoise de la cuisine, il y avait encore à ce jour 408 prisonniers détenus à la Mal Coiffée. La dernière libération officielle, celle de Jacques Buffet, a lieu le mardi 22 à onze heures. Il reste 68 prisonniers dont Maurice Tinland. Il sera libéré le 24 août.
Le vendredi 25 août, à une heure du matin, le chef de la prison Karl Zimmermann, surnommé “ Tartarin ” tant il est armé (un fusil, une mitraillette, des grenades, deux pistolets, un poignard et des jumelles), procède à l’évacuation de la prison. Les 66 prisonniers restants sont transférés en bus de la prison vers la gare où ils seront acheminés en trains à bestiaux jusqu’en Allemagne, au camp de Buchenwald et au camp de Hartz. Mal nourris, maltraités, battus, un grand nombre sont morts dans ces camps. Quelques-uns ont eu plus de chance et reviennent de l’enfer, en avril 1945…
Reportage sur FR3 Auvergne
Sur le site l’Ina.fr, on peut visionner un reportage qui a été diffusé au journal télévisé de FR3 Auvergne, le 16 juillet 1990, à l’occasion du Millénaire de la Ville de Moulins. Les journalistes Laurent Bignolas et Luc Jardy nous font visiter la Mal Coiffée, ses cellules et ses mitards… sur les murs desquels sont gravés les graffitis des prisonniers… traces d’une autre époque. Jusqu’en 1984, la Mal Coiffée fonctionnait en tant que simple Maison d’arrêt pour petits délinquants : lien.
Projet de réhabilitation de la Mal Coiffée
Le 28/07/2011, dans La Semaine de l’Allier, Tristan Potelle signe un article consacré au projet de rénovation et de réhabilitation de la Mal Coiffée. L’interview de Jacques de Chabannes, vice-président du Conseil général de l’Allier à la culture et au patrimoine, révèle que l’ambition de « créer un pôle dédié aux Bourbon » gomme toute la mémoire d’un lieu chargé d’histoire, un lieu de souffrances pour des milliers de résistants et de juifs, dont le sacrifice et le souvenir mériteraient tout autant d’être préservés que celui des Ducs de Bourbon… On peut simplement regretter que ce projet de réhabilitation de la Mal Coiffée en efface la mémoire…
Il n’a jamais été envisagé d’occulter le passé carcéral de l’ancien palais ducal. Au sein du palais réhabilité, il est bien question de présenter l’histoire des sires et ducs de Bourbon et de leur descendance. Il est prévu également de traiter de la période 1940/1945, au cours de laquelle la maison d’arrêt de Moulins devint une prison militaire allemande. Un groupe de réflexion travaille sur ce sujet dans le cadre de l’étude de programmation commandée par le Conseil général de l’Allier.
Nous en prenons acte et vous remercions pour cette précision.
M. Paul GUERRY est directeur adjoint au DGA délégué à la Jeunesse, à l’Education, à la Culture et aux Sports du Conseil général de l’Allier.
Merci pour ce reportage sur la Mal-Coiffée à Moulins. J’ai hélas crainte que vos prévisions sur le projet du Conseil Général se révèlent justes. Le Conseil Général vient d’ouvrir durant l’été la Mal-Coiffée. Visite guidée intéressante mais le passé carcéral est quasiment passé sous silence (difficile d’imaginer autant de prisonniers s’entasser dans un tel lieu). Seul celui de la période 40 – 45 est évoqué… durant 15 minutes (la visite dure 1h15 environ – bon, c’est vrai que l’on monte jusqu’en haut du donjon et que ça prend un peu de temps mais j’ai eu l’impression de m’attarder autant dans le seul appartement des ducs de Bourbon que dans l’espace consacré à la période 40 – 45) et la jeune guide ne semble pas du tout formée pour répondre aux questions sur cette période. C’est bien regrettable et ça n’annonce rien de bon pour le futur projet.
N’étant pas Moulinois d’origine, je suis même surpris du peu de considération de la ville de Moulins pour Maurice TINLAND que je viens de découvrir. Je n’en n’avais jamais entendu parler jusque là et j’ai vérifié : il n’a droit qu’à une petite rue, bien insignifiante. Je ne pense pas que son nom ait été donné à un édifice ou un lieu important de la ville (école, collège, lycée, bibliothèque, …)
Encore merci pour votre reportage.
Je crois qu’il n’y a pas de soucis à se faire à propos du projet sur la Mal-Coiffée : il englobera tous les aspects de l’histoire. Ou alors je comprend de travers les documents qui m’ont été présentés. J’ai été très favorablement impressionnée par le travail effectué par M. GUERRY et je dois dire que les polémiques lancées ne rendent pas justice à ce travail : qui d’ailleurs n’est sans doute pas connu des polémistes.
Il faudra sans doute, quand la restauration aura été réalisée (car pour le moment, c’est même étonnant qu’une autorisation d’ouverture au public ait été obtenue) prévoir des visites à thème : l’aspect « prison » peut faire l’objet d’une visite complète. Un historien moulinois a étudié le passage de la chaîne des galériens : sujet passionnat, mais méconnu. Et des réflexions sur les conditions de détention entre 1945 et 1985 sont aussi sujet d’histoire de notre société. A Dublin, j’ai visité la prison de Kilmainham (cf http://dominique03.over-blog.com/les-prisons-d-irlande) : l’exposition de la salle d’entrée expose bien le problème social et le contexte politique. Mais le problème à Moulins, c’est que la Mal Coiffée, ce n’est pas qu’une prison : et que la formation des guides du patrimoine, c’est l’histoire de l’art. Il faudra donc leur dispenser une formation spéciale.
Bravo pour le reportage. A venir visiter et à garder. Moi-même j’avais de la famille pendant la guerre emprisonnée dans la prison de la Malcoiffée. Cela m’a fait beaucoup plaisir de venir la visiter, car ma famille y a été dedans.
Reportage intéressant, ça m’a permis de compléter des informations. Ma grand-mère y a été prisonnière de avril 1944 à la fin ; elle nous a laissé son récit du vécu quotidien ; j’ai appris aussi pourquoi on la surnommait « La Mal Coiffée ».
j’aimerais savoir quel a été le sort de tous les tortionnaires de cette sale période douloureuse…
Merci pour ce reportage , un peu court pour moi, mais très bien emmené.
Je suis moi-même un petit-neveu de deux prisonniers, dont un s’est évadé et toujours en vie à l’heure actuelle.
M. RODIER Alphonse est celui-là même, mais son frère aîné n’a pas eu cette chance là. Il l’y est mort fusillé là-bas.
Je me permets vous vous écrire ceci car j’ai perdu mon grand-père l’an dernier, qui est un des frères d’Alphonse, il s’appelait Louis RODIER.
Alphonse a aujourd’hui 93 printemps à son actif et il est toujours en forme et sur le qui-vive.
Tous mes grand-parents côté paternel et maternel sont originaires de Moulins.
Famille RODIER et MOLLIER.
Monsieur Mollier Hervé,
Je suis moi même petite nièce d’un ancien prisonnier de la mal coiffée. Je ne l’ai jamais visitée encore mais c’est en projet. Pensez vous que le frère de votre grand père ait connu mon grand oncle ? Aurait il envie de me faire partager ses souvenirs de ces moments atroces et m’apporter un complément d’informations sur l’histoire d’une partie de ma famille vivant à Souvigny ?
Merci de votre réponse,
Élise B
Bonjour. Mon grand-père Raoul Leclerc a été pendant la 2ème Guerre mondiale fait prisonnier et emmené en Ukraine dans un stalag, et s’en est évadé pour ensuite s’être fait vendre par des collabos à Beaulon ou Moulins dans l’Allier et s’est retrouvé enfermé à la Malcoifée. J’aimerais savoir Monsieur Mollier Hervé si votre grand-oncle aurait connu mon grand-père. Merci. Si toutefois quelqu’un ici a des informations, je vous en remercierai du fond du coeur.
Mickael Pair, de Paray-le-Frésil.
« C’est une belle tour, mais elle est mal coiffée ! »
Cette exclamation est tantôt celle de Louis XIV, tantôt celle de Louis II de Bourbon selon les sites web visités
Louis II en était le commanditaire et Louis XIV l’a effectivement visité selon des recherches à la BNF, mais rien pour la paternité de cette appellation.
Auriez-vous des sources ?
Désolé, je n’en sais pas davantage, et n’ai donc aucune source à vous indiquer… Mais l’appel est lancé !