« La cité silencieuse, Strasbourg – Clairvivre (1939-1945) »
Par Jacky Tronel | vendredi 1 mai 2020 | Catégorie : ACTUALITÉS, Dernières parutions | Pas de commentaireNous sommes en 1939 et la Seconde Guerre mondiale éclate. Au carrefour de la France et de l’Allemagne, l’Alsace subit à nouveau les terribles conséquences de l’occupation. Une partie de sa population est évacuée vers le Sud-Ouest de la France. Les Hospices civils de Strasbourg se voient contraints de rejoindre Clairvivre, une cité utopique réservée aux tuberculeux, perdue dans la campagne de Dordogne.
Cet établissement devient un phare pour des exilés de toutes origines : républicains espagnols, Juifs alsaciens et étrangers, réfractaires au STO, résistants, handicapés… L’hôpital soigne mais c’est aussi un établissement où l’on meurt. Témoin de cette époque, le cimetière de Clairvivre a figé l’espace-temps et nous fait découvrir, par le biais de destins individuels, ce que fut Clairvivre et quelle histoire la cité silencieuse nous révèle aujourd’hui.L’ouvrage de Christophe Woehrle, docteur en histoire contemporaine à l’université de Bamberg (Allemagne) s’est vu distingué par la médaille d’or au concours 2020 de la Société française d’Histoire des Hôpitaux
La cité silencieuse, Strasbourg – Clairvivre (1939-1945)
Christophe Woehrle, Éditions Secrets de Pays, ISBN 978-2-9560781-8-0, août 2019, 256 pages, 160 x 240, 20 €
Présentation de l’éditeur
Strasbourg, The silent city (la cité silencieuse), ainsi nommée par la BBC en raison de l’évacuation quasi totale de ses habitants en septembre 1939, est le pendant de Clairvivre, sanatorium, lieu de repli, de silence et de soins pour tuberculeux.
L’histoire de Clairvivre pendant la guerre est exceptionnelle. Elle permet de porter un regard nouveau sur l’évacuation des Alsaciens en Périgord et aide à comprendre comment se sont organisées au niveau local la Résistance ainsi que la cache des juifs et des réfractaires au service du travail obligatoire. Elle est un hommage à des gens ordinaires, pris dans le tourment de la guerre, petites gens et médecins… C’est aussi l’histoire d’un homme, Marc Lucius, oublié de l’histoire, fonctionnaire dévoué à la cause des siens, de son institution et de sa patrie.
Clairvivre – lieu de repli de l’hôpital et des Hospices civils de Strasbourg – et son cimetière des Alsaciens constituent le point de départ d’une étude née de la rencontre entre l’auteur et Serge Barcellini, président général du Souvenir Français, ancien directeur du service de la Mémoire au ministère des Anciens Combattants. La recherche s’appuie sur la consultation de fonds d’archives privés et publics ainsi que de témoignages recueillis tant en France qu’à l’étranger (Suisse, Allemagne, Autriche, Pologne et Israël).
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Table des matières :
Avant-propos, 11
L’évacuation des Hospices civils de Strasbourg, 15
Les projets d’évacuation, 15
L’évacuation, 20
L’affaire Oster au cœur de la tourmente et de l’évacuation, 23
L’installation en Dordogne, une épreuve difficile, 25
La Fédération nationale des blessés du poumon et chirurgicaux, 25
L’hôpital complémentaire militaire, 26
Les autres lieux d’implantation en Dordogne, 27
Le retour des Hospices civils de Strasbourg en Alsace annexée, 37
Les sœurs hospitalières de la Charité de Strasbourg, 39
La création de l’Hôpital des réfugiés de la Dordogne, 43
L’arrivée des expulsés d’Alsace, 49
Des débuts difficiles, 51
Le bilan positif de 1942, 61
La mise en application des lois anti-juives du Gouvernement de Vichy, 65
Les premiers signes d’oppositions : le Service du Travail Obligatoire (STO), 71
Une gestion difficile en temps de guerre, 79
Après le débarquement en Normandie, 87
L’hôpital du maquis, 89
La fin de la guerre et le retour en Alsace libérée, 95
Le Cimetière des réfugiés de la cité sanitaire de Clairvivre, 99
La mort de Paul Selvez et les jeunes résistants de Clairvivre, 166
Bilan de l’engagement de l’administrateur Marc Lucius, 179
L’investissement personnel de Marc Lucius en faveur des médecins juifs, 181
La présence de nombreux Juifs à Clairvivre, 186
Les actions de Marc Lucius en rapport avec le STO, 191
L’affaire Anna et Alfred Stacher, cachés et sauvés par Marc Lucius, 193
Les fonctions de Marc Lucius au sein de l’Hôpital des réfugiés, 195
Marc Lucius et son engagement dans la gestion de l’hôpital du maquis, 198
Le Cimetière des réfugiés et son Carré israélite, 200
Des familles juives logées dans les pavillons de Clairvivre, 201
Marc Lucius (1888 – 1962) « Juste parmi les nations » ? 203
Ernest Heimendinger (1909-1962), 205
Lucien Marie Pautrier (1876-1959), 207
Adolphe Louis Terracher (1881-1955), 209
Charles Pfersdorff (1875-1953), 211
Edmond Redslob (1876-1966), 212
André Forster (1878-1957), 214
René Fontaine (1899-1979), 215
Récit de sœur Marie-Gertrude, de la congrégation des sœurs de la Charité, 217
Iconographie, 223
Notes, 238
Index des noms de personnes, 249
Préface
Il existe des exodes méconnus. Qui sait par exemple, en dehors de quelques Alsaciens, que lors de leur entrée dans Strasbourg le 19 juin 1940, les Allemands ont trouvé une ville entièrement vidée de ses habitants ? Que cette situation a duré des mois ? Qui sait que cette opération « ville déserte » avait été planifiée de longue date et dans le plus grand secret par l’armée française ? Que l’évacuation de Strasbourg était prévue depuis la construction de la ligne Maginot sur les hauteurs des Vosges et que la plaine d’Alsace fut exclue de ce système de défense ?
Lorsque la menace de guerre se précise, en août 1939, le gouvernement français décide d’évacuer, sans les prévenir, les populations alsaciennes sur une bande de 5 à 8 kilomètres, le long du Rhin. À partir du 2 septembre 1939, 374 000 Alsaciens sur un total de 1 219 000 habitants quittent précipitamment leur maison avec 30 kg de bagages et 4 jours de vivres, laissant tous leurs autres biens sur place. Parmi eux, 115 000 Strasbourgeois. Le déménagement touche tout le monde. Il comprend celui des services publics, de l’université de Strasbourg, des hôpitaux, des musées, des banques. Les habitants sont acheminés par train vers le sud-ouest de la France où ils arrivent après deux à trois jours de voyage. Les Strasbourgeois s’installent principalement en Dordogne, en Haute-Vienne et en Indre, où ils s’éparpillent dans une centaine de communes.
Pour les évacués, le « choc culturel » est rude. Ils se sentent en pays « arriéré » dans les départements du sud-ouest, loin de l’aisance et du standing qu’ils connaissaient en Alsace. Pour les « accueillants », le choc est tout aussi brutal. Personne n’est préparé à une telle « invasion » de réfugiés. Tout manque : logements, lits, couvertures. Peu comprennent les nouveaux arrivants qui, le plus souvent, parlent leur dialecte germanique et sont donc perçus comme étant des « boches ». Les accueillants ignorent tout de l’Alsace et de son histoire, s’offusquent des « exigences » – sanitaires, alimentaires, etc. – des nouveaux arrivants qui pèchent parfois par arrogance. Petit à petit cependant, la vie s’organise. La municipalité de Strasbourg s’installe à Périgueux, l’Université de Strasbourg à Clermont-Ferrand. Mais les évacués, dans leur grande majorité, n’ont qu’un but : rentrer chez eux.
La propagande nazie aidant, la presque totalité des évacués reviendra en Alsace après l’armistice du 22 juin 1940. Mais dans quelle Alsace ? L’Alsace a cessé d’être un territoire français en août 1940. Annexée par le Troisième Reich, elle a été fondue rapidement dans le Gau Baden-Elsaß – c’est-à-dire « Gau (pays) de Bade-Alsace » – et soumise à la direction du Gauleiter Robert Wagner, ami personnel de Hitler, à qui il a promis de germaniser la province en moins de cinq ans. Sous l’égide de Wagner, le retour des réfugiés alsaciens s’organise en grande pompe. Le premier convoi de réfugiés arrivant à Strasbourg est accueilli triomphalement par les autorités nazies. Au total, plus de 400 convois ramèneront au pays 320 000 évacués. À leur arrivée, beaucoup de réfugiés obtiendront une aide financière substantielle de la part du nouveau régime, afin de faciliter leur réinstallation.
Mais certains ne reviennent pas. Ils seront entre 50 et 60 000. La plupart par choix volontaire, beaucoup parce que l’administration nazie refuse leur retour. Ils seront les « indésirables ». Le refus touche surtout les Juifs, au nombre d’environ 16 000. Il touche également d’autres groupes sociaux, entre autres les militaires de carrière, les personnes de « race étrangère », certains autonomistes pro-français, les Alsaciens francophiles, les « asociaux », les gitans, les déserteurs de l’armée allemande de la Grande Guerre. Durant tout ce temps, le gouvernement de Vichy laisse faire. Du moins, ses protestations sont de plus en plus faibles.
Le présent ouvrage de Christophe Woehrle a le grand mérite de nous faire revivre l’histoire oubliée de l’évacuation de 1939-1940, en s’attachant à une séquence plus méconnue encore : l’évacuation des Hospices civils de Strasbourg. Avec un soin particulier, le récit de l’auteur nous conduit à travers les péripéties du déménagement de l’hôpital vers la Dordogne, à Clairvivre plus précisément, une localité située à 50 kilomètres de Périgueux, qui a accueilli les Hospices civils de Strasbourg durant la période de l’évacuation. Le récit nous révèle les difficultés – immenses – de l’installation et du fonctionnement de l’hôpital à Clairvivre, depuis les problèmes techniques (électricité, buanderie, literie, transport…) jusqu’aux obstacles dans la gestion financière de l’institution, en passant par les achoppements avec les administrateurs locaux, de Périgueux notamment, ou encore avec les médecins locaux vivant mal la concurrence des médecins alsaciens souvent plus compétents (il s’agissait notamment de professeurs de la Faculté de Médecine de Strasbourg) et répugnant à envoyer leurs patients dans l’hôpital géré par des Alsaciens. Christophe Woehrle nous montre comment Clairvivre est devenu « l’hôpital des Alsaciens », avec son personnel et ses malades. Avec une grande finesse d’analyse historique doublée d’un profond sens de l’humanité, l’auteur nous décrit l’engagement du personnel hospitalier replié, tel que celui des sœurs de la Charité de Strasbourg, et nous introduit dans le monde mental des malades et des pensionnaires de l’hospice… en leur donnant la parole, en les citant nominalement, en arrachant à l’oubli ces inconnus de l’Histoire. Ce faisant, l’historien utilise la focale privilégiée par le courant de pensée historique auquel il appartient.
L’historien se revendique de l’Alltagsgeschichte (l’histoire du quotidien) et de la micro-histoire. Son parti pris, en suivant à petite échelle le fil du destin particulier de l’hôpital de Clairvivre, est de nous faire voyager « au cœur même du conflit majeur que fut la Seconde Guerre mondiale ». Avec son cortège d’évacuations, d’expulsions, de traques, de persécutions qui ont mené des millions de personnes sur les routes de l’exode. L’engrenage a conduit l’hôpital des Alsaciens à devenir « l’Hôpital des réfugiés » après le refus de la direction et du personnel d’accompagner le retour des Hospices civils en Alsace, en été 1940. Parmi les patients, voici maintenant des réfugiés espagnols, de nombreux juifs. La guerre s’accélérant, l’hôpital se transforme en « hôpital de la Résistance ». Il accueille à présent des blessés du maquis, met tout en œuvre pour conserver le personnel juif en son sein, multiplie les démarches pour protéger les médecins internes et externes en rapport avec le Service du Travail Obligatoire (STO), cache et abrite des juifs recherchés. Après la tourmente, la Libération signe la fermeture de l’hôpital en mai 1945 et le départ de son personnel vers l’Alsace.
Fidèle à l’approche micro-historique, Christophe Woehrle met au cœur de sa recherche les hommes et les femmes qui ont été impliqués au quotidien dans l’expérience de Clairvivre : les médecins, les infirmiers, les jardiniers, les techniciens, les administrateurs, les patients, les victimes, les résistants. L’ambition de l’historien n’est pas seulement d’étudier le vécu de tous ces acteurs en Dordogne, son but est aussi de leur rendre hommage. Tout au long de la lecture, on reconnaît l’estime et la sympathie que l’auteur éprouve pour ces « inconnus qui, au quotidien, se démènent pour s’en sortir eux-mêmes et qui prennent tous les risques pour aider ceux qui ont encore moins. Tous montrent leur courage et leur engagement pour une humanité à laquelle ils croient et pour défendre les libertés que le nazisme a voulu leur enlever ».
Le respect de l’historien s’adresse particulièrement à l’administrateur des Hospices civils de Strasbourg, Marc Lucius, chargé du bon fonctionnement de l’hôpital de Clairvivre entre 1940 et 1945, et dont l’engagement professionnel et politique n’a pas failli tout au long de la guerre. Il lui dédie d’ailleurs son travail et son ouvrage, s’étonnant que Marc Lucius soit resté parfaitement inconnu dans la mémoire collective et, considérant cet oubli comme une injustice, l’historien lui consacre une large place dans son étude.
Mais Christophe Woehrle rend aussi hommage aux « morts de Clairvivre ». Il le fait en dressant une liste exhaustive des sépultures du cimetière de cette commune. Sur des pages entières, il cite les nom, prénom et dates biographiques des personnes décédées à l’hôpital de Clairvivre tout au long de son activité. On peut regretter la longue énumération de plus de 650 individus. On peut trouver fastidieuse la lecture du listage, pour lequel l’auteur a enquêté durant 18 mois. L’auteur a conscience du risque qu’il y a de nous effaroucher. Peu importe, son but est clair : en dressant la liste de tous les défunts de Clairvivre, « il y a la volonté d’établir un “livre d’or” des victimes du nazisme et de l’antisémitisme. Déplacés par la guerre, toutes ces victimes reposent loin de la terre qui les a vues naître. Sorte de Monument aux morts, le rappel de leur passage et de leur destin à Clairvivre est un acte nécessaire pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli ».
Le livre de Christophe Woehrle est beau. Il est écrit avec une humanité qui nous fait grandir. En un style dense et clair, sans fioriture, sans affectation. Ce livre est original, sans que l’originalité thématique n’atténue la solidité de la démarche historique. En somme, l’ouvrage répond à une question qui n’a pas encore été posée : comment fonctionne un hôpital dans une situation exceptionnelle de guerre ? Cet ouvrage est important pour l’histoire de l’Alsace, car il comble une lacune historique, en tirant de l’oubli une séquence majeure de l’évacuation de Strasbourg. Le livre de Christophe Woehrle est d’une profonde honnêteté historienne. Il est imposant par la richesse de la documentation et l’historien n’a pas ménagé ses efforts dans la visite des archives et des « lieux d’histoire ».En conclusion, c’est une remarquable histoire-passion que nous offre l’auteur. Celui-ci se fait l’avocat des oubliés et des inconnus de l’hôpital de Clairvivre. Il croit profondément à la cause qu’il défend, comme le montre l’engagement qui imprègne l’ouvrage. En bref, le livre est un beau travail historique aux dimensions d’un devoir de mémoire.
Christiane Kohser-Spohn
Docteur en histoire, collaboratrice scientifique
à la Freie Universität de Berlin
L’auteur…
Docteur en histoire contemporaine de l’université de Bamberg, en Allemagne, Christophe Woehrle est membre du comité du Souvenir Français de Clairvivre.
Spécialiste de la captivité des prisonniers de guerre français lors de la Seconde Guerre mondiale, il est l’auteur d’un livre paru en octobre 2019 aux éditions Secrets de Pays : Prisonniers de guerre français dans l’industrie de guerre allemande (1940-1945).
En mai 2019, Christophe Woehrle a également coordonné et organisé un colloque à Herrlisheim-près-Colmar, intitulé : Stolpersteine – Présence juive en Alsace – Devoir de mémoire » dont les actes sont en cours d’impression. Publication aux éditions Secrets de Pays (mai 2020).
Ces trois livres sont disponibles et peuvent être commandés sur le site de l’éditeur : Bon de commande téléchargeable.
Pour consulter le site de Christophe Woehrle, c’est ici : www.prisonniersdeguerre.com