Espagnols et « Palestiniens » du 652e GTE à Mauzac

Connu pendant la guerre pour sa prison militaire, aujourd’hui pour son centre de détention expérimental, Mauzac l’est moins pour avoir été, jusqu’au mois de septembre 1942, le siège du 652e groupe de travailleurs étrangers.
Qui étaient les Espagnols et les « Palestiniens » incorporés au 652e GTE de Mauzac, en Dordogne ?

Personnel du garage de la Poudrerie de Mauzac, 1940.

Mauzac est situé à une trentaine de kilomètres à l’est de Bergerac, dans la vallée de la Dordogne. En 1937, le projet de création d’une poudrerie avec atelier de chargement d’obus en gaz de combat à base de chlore et de phosgène voit le jour. Il s’inscrit dans un vaste programme de construction d’usines d’armement dont le succès dépend en partie de la capacité de l’autorité militaire à réunir une main d’œuvre importante.

Encadrement et personnel du garage de la Poudrerie de Mauzac, 1940. Coll. A. Raynaud.

Mise en place des compagnies de travailleurs espagnols à Mauzac

En décembre 1939, la 134e compagnie de travailleurs, commandée par le capitaine d’Huteau, réside à Mauzac. Elle est bientôt rejointe par les 18e et 19e compagnies de travailleurs espagnols, dont l’effectif, en août 1940, est de 413 hommes.

Faute de logements disponibles, la main-d’œuvre est provisoirement « parquée » dans des wagons de marchandises stationnés en gare de Mauzac. Les wagons servent de dortoirs de fortune et sont loués par la SNCF au prix de 20 francs par jour, « tarif dégressif après les deux premiers mois ». Pour loger les ouvriers, deux cantonnements sont finalement construits. L’un, situé à Sauvebœuf, commune de Lalinde, est baptisé « camp Nord ». L’autre, installé entre la Dordogne et le canal latéral de Lalinde, sur la commune de Mauzac, porte le nom de « camp Sud ». Entre les deux, quelques baraques forment le « camp Maury », affecté au 652e groupe de travailleurs étrangers.

Baraquements du Camp Sud de Mauzac, siège du 652e GTE. Coll. Jacky Tronel.

Camp Sud, 1939, actuellement annexe du centre de détention de Mauzac. Coll. J. Tronel.

Le 652e de Mauzac pour prestataires espagnols et « Palestiniens »

La loi du 27 septembre 1940 destinée aux étrangers sans travail et sans ressources considérés comme « en surnombre dans l’économie nationale » est constitutive des GTE (Groupements de travailleurs étrangers). À Mauzac, le 652e GTE est formé dès le mois d’octobre 1940.

En mars 1941, Jacques Grange est nommé chef de groupe. C’est un lieutenant de vaisseau démobilisé, âgé de 38 ans. Roger Lecointre est son adjoint. Les surveillants se nomment François Gautier, Gilles Kerviel, Arthur Koettig, Marius Mignon, Marcel Six et Lucien Viry. Un rapport adressé au préfet fait l’éloge du personnel d’encadrement : « excessivement sûr et sa conduite, ses antécédents, ses sentiments nationaux à l’égard du gouvernement du Maréchal permettent d’avoir une confiance absolue en lui ».

Le commandement du 652e GTE est très instable. Au mois de mai 1941, l’adjoint Lecointre devient chef de groupe, remplacé au mois de juillet par le nommé Arger. La « valse » des chefs se poursuit tout au long de l’année 1942 : Serrero en janvier, Delpey en avril, Erizon en juillet… jusqu’à la dissolution du groupe, le 15 juillet 1942.

Groupe de travailleurs espagnols endimanchés sur le chantier de Mauzac.

Groupe de travailleurs espagnols sur le chantier de construction de la Poudrerie de Mauzac, 1940.
Coll. F. Llambrich.

Alors que les compagnies de travailleurs dirigées sur Mauzac l’ont été afin de fournir une main-d’œuvre destinée à la construction d’une poudrerie, le 652e GTE est affecté à d’autres tâches : travaux agricoles et forestiers (bûcheronnage), production de charbon de bois obtenu par carbonisation (forêts de la Bessède et de la Double), assèchement des marais de la Beune, exploitation des mines de lignite (La Chapelle-Péchaud, Veyrines-de-Domme et Le Dantou, en Dordogne), construction de barrages hydroélectriques (L’Aigle et Bort-les-Orgues), transformation « de deux grands bâtiments déjà édifiés sur les terrains de la poudrerie en entrepôts de tabacs », entretien de routes

Il peut arriver qu’un groupe de travailleurs soit détaché pour être affecté à un chantier distant de plusieurs dizaines de kilomètres du siège du groupement. C’est le cas à la Société minière du Sud-Ouest qui exploite la mine du Dantou, située à environ cinquante kilomètres de Mauzac. Trente Espagnols appartenant au 652e GTE sont logés dans un baraquement proche de la mine et sont nourris par la société qui les emploie. Son directeur fait savoir, le 7 novembre 1941, qu’il est disposé à y accueillir « 15 à 20 manœuvres célibataires supplémentaires, munis de couvertures » et se dit prêt à embaucher immédiatement « une cinquantaine de manœuvres et huit à dix spécialistes (mécaniciens, forgerons, chauffeurs de locomotives, charpentiers…) » qui pourraient alimenter en main-d’œuvre la mine de Merle des Charbonnages de La Chapelle-Péchaud.

Une équipe de travailleurs du 652e GTE employée à l'entretien d'une route à proximité de Mauzac

Une équipe de travailleurs du 652e GTE employée à l’entretien des routes, Mauzac, 1941. Coll. J. Tronel.

Section de passage et « groupement des Palestiniens »

La spécificité du 652e groupe de travailleurs étrangers de Mauzac, c’est qu’il fait également fonction de « section de passage » ou « centre de triage ». Il est désigné comme « dépôt de passage » pour tous les travailleurs étrangers isolés et arrêtés dans les départements de la Vienne, la Haute-Vienne, la Charente, la Corrèze et la Dordogne. À partir du mois de décembre 1940, tous les Espagnols de sexe masculin, âgés de 18 à 55 ans, s’ils sont isolés, doivent y être transférés pour être ensuite dirigés vers les groupes auxquels ils seront définitivement affectés.

Lord Arthur Balfour, premier ministre du Royaume uni.

Lord Arthur Balfour, premier ministre du Royaume uni. Source.

L’effectif du 652e GTE varie peu. En décembre 1940, on note la présence de 239 travailleurs, tous Espagnols. Ils sont 237 en février 1941 ; 255 en mars et 17 au dépôt de passage ; 253 en avril (dont 16 Belges) et 25 au dépôt de passage ; 225 en mai et 23 hommes affectés au dépôt de passage, nommé pour la première fois « groupement des Palestiniens ». Afin de comprendre pourquoi l’administration de Vichy a retenu le qualificatif de « palestiniens », il convient de se souvenir qu’à l’époque la Palestine est sous mandat britannique et qu’elle a vocation à devenir, conformément à la déclaration Balfour de 1917, une terre d’immigration juive. Ces mesures, discriminatoires, sont annonciatrices d’une aggravation de la persécution à l’encontre des Juifs.

À partir du 9 mai 1941 commencent, en effet, les premières incorporations de Juifs dans le 652e GTE de Mauzac, et dès lors s’opèrent les transferts vers les GTE juifs hors département : le 664e GTE à Mauriac (Cantal) et le 665e GTE à Soudeilles (Corrèze). Au mois de juin 1941, 235 travailleurs sont présents au groupe de dépôt de Mauzac. La section de passage compte 56 hommes, « en majorité Palestiniens regroupés, destinés au 665e GTE à Soudeilles ». Ce même rapport, daté du 20 juin, précise que le 665e « est en formation, avec un effectif initial de 150 à 175 à venir du 652e dépôt de passage à Mauzac ».

En juillet, le 652e GTE compte 239 travailleurs ainsi que 29 autres à la section de passage. À partir du mois de juillet 1941 commence la noria des transferts au départ de Mauzac : 56 Israélites [euphémisme employé par l’administration préfectorale pour désigner les Juifs] sont conduits à Mauriac, 9 Allemands à Saint-Sauveur-de-Bellac (Haute-Vienne), 31 Polonais à Louroux-de-Bouble (Allier), en échange de 22 Israélites reconduits à Mauzac ; 22 Belges et Anglais sont transférés à Manzat (Puy-de-Dôme)… En septembre, à Mauzac, le 652e compte 223 hommes, et 211 en octobre 1941.

Espagnol du 652e GTE à Mauzac. Moment de repos au dortoir.

Moment de repos au dortoir.
Coll. F. Llambrich, Mauzac, 1942.

Le 13 novembre 1941, le commissaire spécial de Bergerac signale l’arrivée à Mauzac de 90 « étrangers indésirables venant de la zone occupée », parmi lesquels « cinq ressortissants alsaciens, nomades, qui au mois d’août 1940 ont été expulsés d’Alsace ». Le 15 novembre, 65 Juifs sont arrêtés pour avoir franchi la ligne de démarcation, dont la plupart, après examen des cas, sont incorporés au 652e.

L’effectif est de 250 travailleurs au 31 décembre 1941. Le 652e GTE fonctionne jusqu’au 15 septembre 1942. À cette date, « personnel et actifs sont remis au 647e GTE », stationné à Chancelade, à proximité de Périgueux. Les groupements de travailleurs étrangers sont dissous par le Gouvernement provisoire de la République française le 5 septembre 1944.

Réflexion sur la place des GTE dans le dispositif de contrôle des étrangers

La mise au travail des réfugiés étrangers par la IIIe République finissante, puis par le régime de Vichy, entre 1940 et 1944, repose sur une politique d’immigration répressive. D’abord incorporés dans des « Compagnies de travailleurs étrangers » (CTE) « les étrangers en surnombre dans l’économie nationale » sont, jusqu’à la signature de la convention d’armistice du 22 juin 1940, « soumis à toutes les obligations imposées aux Français par la loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation en temps de guerre ».

Après avoir servi de réservoir de main-d’œuvre étrangère pour les besoins du département, qu’il s’agisse de contribuer à l’effort de guerre, comme à Mauzac, de venir en aide aux agriculteurs et aux forestiers, ou de travailler dans les mines… les GTE, formés à partir du 27 septembre 1940, ont non seulement permis de satisfaire aux demandes en main-d’œuvre des autorités d’occupation, mais encore, s’agissant des Juifs, ont joué le rôle d’antichambres de la déportation en Allemagne.

Au plan national, avec 40 000 personnes incorporées dans plus de cent groupes, les groupements de travailleurs étrangers ont été, pour reprendre les propos de l’historien Peter Gaida, « l’expression d’une politique de la main-d’œuvre à la fois xénophobe, antisémite et anticommuniste ».

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Pour en savoir plus, voir l’article Création des compagnies et des groupements de travailleurs étrangers « en surnombre dans l’économie nationale » : lien.

À paraître le mois prochain : Espagnols et « Palestiniens » du 652e GTE à Mauzac in Arkheia n° 23-24. Il s’agit du même sujet avec davantage de développement et accompagné d’une iconographie plus abondante…

1 Commentaire de l'article “Espagnols et « Palestiniens » du 652e GTE à Mauzac”

  1. Infante-campanelli dit :

    … recherche la personne qui s’appelle Luis Infante-Campanelli et qui a été à Mauzac en 1940-1941.

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