La démolition de l’hôtel des Conseils de guerre lors de l’ouverture du boulevard Raspail

Hôtel des Conseils de guerre, 37 rue du Cherche-Midi. Photo Henri Godefroy, 1907.

C’est le projet d’ouverture de la section du boulevard Raspail comprise entre les rues de Sèvres et de Rennes qui scella le sort de l’hôtel des Conseils de guerre, situé à l’angle de la rue du Cherche-Midi et de la rue du Regard. Cet hôtel, occupé par un tribunal et une maison de justice militaire a fonctionné de 1841 à 1907.

L’acquisition récente de deux superbes photographies originales, attribuées à Henri Godefroy, nous donne l’occasion de revenir sur la disparition du siège des tribunaux militaires de Paris et d’en situer précisément la date.

Fronton du porche de l'hôtel des Conseils de guerre, peu avant sa démolition, 1907, coll. J. Tronel

Fronton du porche de l’hôtel des Conseils de guerre, 37 rue du Cherche-Midi, peu avant sa démolition en 1907, coll. J. Tronel.

Problèmes de datation des photos du Cherche-Midi

Des erreurs apparaissent très souvent dans les légendes des photos de l’hôtel des Conseils de guerre de la rue du Cherche-Midi que l’on peut retrouver sur internet : des erreurs de dates et des confusions entre la prison militaire du 37 rue du Cherche-Midi (maison de justice rattachée aux Conseils de guerre) dont la démolition est survenue en 1907 et celle du 38 rue du Cherche-Midi (maison d’arrêt et de correction militaire), en usage de 1851 à 1947…

Rue du Cherche-Midi, avec l'hôtel des Conseils de guerre à droite et la prison militaire à gauche, photo Henri Godefroy, coll. J. Tronel. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

Rue du Cherche-Midi, avec l’hôtel des Conseils de guerre à droite et la prison militaire à gauche, photo Henri Godefroy, 1907,
coll. J. Tronel. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

Le Musée d’Orsay, par exemple, possède dans ses collections deux photographies d’Eugène Atget, ainsi légendées : « Hôtel des Conseils de guerre, 37 rue du Cherche-Midi entre 1908 et 1927 » : Impossible ! L’immeuble a été démoli en 1907, comme nous allons le démontrer plus loin…

De même, l’INHA (Institut national d’histoire de l’art) présente une photo du même Atget montrant le porche d’entrée de l’hôtel des Conseils de guerre… Entre autres détails, la légende mentionne : « 1900-1927 – La prison du Cherche-Midi était une prison militaire parisienne, aujourd’hui disparue, qui fonctionna de 1847 à 1950 » : Erreur ! La prise de vue concerne les Conseils de guerre et a été prise au plus tard en 1907. Quant à la prison militaire dont parle la note, communément appelée « prison du Cherche-Midi », elle désigne en fait l’établissement pénitentiaire située en face des Conseils de guerre, au 38 de la rue du Cherche-Midi. Cet établissement fonctionna comme prison militaire du 30 décembre 1851 au 1er décembre 1947, puis comme simple maison d’arrêt jusqu’au 18 mars 1950…

Plan parcellaire de l'expropriation du boulevard Raspail, entre les rues de Sèvres et de Rennes (1907), source : Commission du Vieux Paris.

Plan parcellaire de l’expropriation du boulevard Raspail, entre les rues de Sèvres et de Rennes (1907).
Source : Commission du Vieux Paris. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

Procès verbaux de la Commission du Vieux Paris

Les procès verbaux des séances de la Commission du Vieux Paris permettent de retracer la chronologie des événements qui ont conduit à la démolition de l’hôtel des Conseils de guerre de la première région militaire. À la date du 10 octobre 1906, on y apprend « l’ouverture d’une enquête de 15 jours, à la mairie du VIe arrondissement, sur le projet d’ouverture du boulevard Raspail, entre les rues de Sèvres et de Rennes. Le 19 décembre suivant, décret déclarant d’utilité publique l’ouverture de ce boulevard et autorisant M. le Préfet de la Seine d’acquérir les immeubles, soit à l’amiable, soit par voie d’expropriation. Le 11 janvier 1907, arrêté de M. le Préfet de la Seine tendant au dépôt, à la mairie du VIe arrondissement, du 16 au 25 janvier, du plan parcellaire afin que chacun puisse en prendre connaissance et produire ses observations. (…) Le 30 janvier de la même année, jugement rendu par la 1re chambre du tribunal civil de 1re instance du département de la Seine, déclarant expropriés immédiatement, en totalité ou en partie, pour cause d’utilité publique, les immeubles dont l’occupation est nécessaire à l’ouverture, suivant une largeur de 30 mètres, de la portion du boulevard Raspail comprise entre la rue de Sèvres et la rue de Rennes, et ce conformément au plan parcellaire publié et au tableau ci-après ».

Le procès verbal du 25 mai 1907 rapporte que « l’ouverture du boulevard Raspail, entre les rues de Sèvres et de Rennes est en voie d’achèvement ; les formalités d’expropriation sont terminées et la démolition des immeubles commencera au mois de juillet [1907] ».

Un historique de l’hôtel des Conseils de guerre, des origines à 1907, est annexé au procès-verbal de la séance du samedi 29 juin 1907. L’auteur, Gaston Schéfer (poète, auteur dramatique et critique d’art, chargé du cabinet des estampes à la bibliothèque de l’Arsenal et membre de la Commission du Vieux Paris) conclut ainsi son étude : « Aujourd’hui, le boulevard Raspail passe sur l’hôtel d’Hauterive, l’hôtel de Verrue, l’hôtel de Toulouse, l’Hôtel des conseils de guerre [noms successifs attribués à cet immeuble] et il ne reste plus de ces murs qui virent tant de choses charmantes [allusion aux noces de Victor Hugo et d’Adèle Foucher : lire plus loin…] et terribles que des plans, des photographies et des pièces d’archives ».

Plan parcellaire de l'expropriation du boulevard Raspail, entre les rues de Sèvres et de Rennes (1907), source : Commission du Vieux Paris.

Bref historique de l’hôtel des Conseils de guerre

L’hôtel de Toulouse devient l’hôtel des Conseils de guerre en 1800. Une prison militaire y est rattachée en 1841. Elle accueille principalement les militaires en prévention. C’est la maison de justice militaire de Paris. Cette prison disparaît en 1907, avec la démolition de l’hôtel des Conseils de guerre provoquée par le percement du boulevard Raspail.

Au début du XVIIe siècle, l’emplacement sur lequel va s’élever l’hôtel des Conseils de guerre est un terrain cultivé nommé Terre de La Planche. « Propriété, de 1619 à 1661, avec sa maisonnette, de Jacques et Augustin Quesnel, fils du peintre François Quesnel ; en 1688, du conseiller Huault de Montmagny ; en 1691, de l’architecte Simon Lambert », avant qu’il ne soit rattaché au couvent des Carmes-Déchaussés de la rue de Vaugirard. À l’angle des rues du Cherche-Midi et du Regard se trouve un pavillon dépendant du couvent des Bénédictines de Notre-Dame-de-Consolation. Le marquis de Hauterive l’acquiert, le fait abattre pour ériger à la place un hôtel qu’il destine à sa femme, dont il est séparé. Madame de Hauterive en conserve la jouissance jusqu’à sa mort, survenue le 11 mai 1701. Le bien appartient aux Bénédictines. Les religieuses le vendent l’année suivante à la comtesse de Verrue, fille du duc de Luynes qui, fuyant l’Italie, est venue chercher refuge à Paris. La maison devient bientôt trop étroite pour y abriter les importantes collections d’œuvres d’art qu’elle a rapportées d’Italie, enrichies de nouvelles et nombreuses acquisitions.

En 1721, la comtesse achète deux maisons voisines situées rue du Cherche-Midi ainsi que la maison mitoyenne du n° 1 de la rue du Regard. Elle fait surélever le pavillon d’un étage, fait construire les communs et constitue l’hôtel pratiquement tel qu’il était quand les conseils de guerre l’ont investi. Le 18 novembre 1736, à la mort de Madame de Verrue, la propriété passe aux mains de la famille de Luynes. L’hôtel est ensuite occupé par le maréchal Louis de Brancas et son fils, puis racheté par les religieuses des Carmes de la rue de Vaugirard. Sophie de Noailles, veuve du comte de Toulouse, l’habite de 1755 à 1766. L’hôtel prend alors le nom d’hôtel de Toulouse. À la mort de la comtesse et jusqu’à la Révolution, tout en restant la propriété des Carmes, l’hôtel devient la résidence des ambassadeurs du roi de Sardaigne. Le décret de 1790 disposant des biens ecclésiastiques le range dans la catégorie des biens nationaux destinés à la vente. Il est cédé à Gaston de Rosnay, qui ne peut en acquitter le prix.

Finalement, l’hôtel retourne à l’État, le 6 floréal an VIII (26 avril 1800). Ce dernier l’attribue à l’autorité militaire. Les deux conseils de guerre de la place de Paris y sont transférés et s’y installent, la même année. En 1822, l’un des locataires de l’hôtel des Conseils de guerre se nomme Pierre François Foucher. Il est chef de bureau au ministère de la Guerre. C’est le père d’Adèle Julie victoire Marie Foucher, avec qui Victor Hugo se marie le 12 octobre 1822. Le repas de noces a lieu dans la salle des délibérations des Conseils. Le jeune couple habite l’hôtel jusqu’en mars 1845.

L'hôtel des Conseils de guerre, 37 rue du Cherche-Midi, photo Henri Godefroy, 1907, collection Jacky Tronel

L’hôtel des Conseils de guerre, 37 rue du Cherche-Midi, photo Henri Godefroy, 1907, collection Jacky Tronel.

En 1841, une maison de justice militaire est installée dans une aile de l’hôtel des Conseils de guerre. Elle ouvre le 1er novembre. En 1850, l’effectif est de 156 prisonniers. Le procès-verbal de la visite effectuée les 2 et 3 juin 1864 par Louis-Joseph-Gabriel de Chénier, chef du bureau de la Justice militaire, souligne les faiblesses de l’établissement : « La maison de justice laisse beaucoup à désirer sous le rapport du casernement. C’est une maison dont on a tiré le meilleur parti possible, mais où les détenus manquent de place et d’air. Le préau est étroit et humide. À défaut d’ateliers, les détenus travaillent dans les chambres de détention. Les disciplinaires ne peuvent être tenus renfermés séparément comme le prévoit le règlement. »

central téléphonique de la rue du Cherche-Midi, édifié à la place de l'hôtel des Conseils de guerre. Photo Jacky Tronel.

Central téléphonique Littré

À l’emplacement de l’hôtel des Conseils de guerre a été construit, de 1913 à 1917, un central téléphonique. L’immeuble est situé à l’angle du 37 de la rue du Cherche-Midi et de la rue du Regard et donne également sur le 60-62 boulevard Raspail. Ce central s’appelait primitivement « Fleurus » puis fut renommé « Littré ». Il est l’œuvre de l’architecte Jules Godefroy et du sculpteur Aimé Octobre, ornement de Daniel Barnet.

Le boulevard Raspail fut inauguré par Raymond Poincarré, alors président de la République, en juillet 1913.

Henri Godefroy (1837-1913), collaborateur du journal L’Illustration et de la Commission du Vieux Paris est l’auteur d’un reportage très complet sur le Cherche-Midi, réalisé en 1907. 16 photos de cette série figurent au catalogue du Musée Carnavalet. Les deux photographies récemment acquises et ici reproduites font partie de cette série…

Porche de l'hôtel des Conseils de guerre de la rue du Cherche-Midi à Paris, rebâti dans le parc du château de Jeurre. Photo Jean-Maurice Sattonnay.

Qu’est devenu le porche de l’hôtel des Conseils de guerre ?

Si le porche de la prison du Cherche-Midi, celle qui était située au numéro 38, constitue le « Mémorial de la prison du Cherche-Midi de Créteil » [lien], celui de l’hôtel des Conseils de guerre se trouve, quant à lui, dans le parc du château de Jeurre, commune du département de l’Essonne (canton et arrondissement d’Étampes), sur la Juine. Il ne s’agit pas, comme on peut le lire parfois, de « la porte Saint-Denis, porte monumentale du château de Saint-Cloud détruit lors de la Commune de Paris »
Photo Jean-Maurice Sattonnay [lien]

Photo de l’immeuble « Littré » : J. Tronel

Au sujet du pan coupé situé à l’angle du boulevard Raspail et de la rue du Cherche-Midi

Sur les plans parcellaires de l’expropriation du boulevard Raspail, on remarque très nettement l’impact du percement du boulevard Raspail sur l’un des angles de la prison militaire de Paris, celui situé à la jonction du 38 de la rue du Cherche-Midi et du 54 boulevard Raspail. Un portail y a été aménagé par lequel entraient les justiciables des conseils de guerre puis des tribunaux militaires de Paris.

Prison militaire de Paris située à l'angle de la rue du Cherche-Midi et du boulevard Raspail, 12/09/1917, photo Charles Lansiaux, CVP, DHAAP.

Prison militaire de Paris située à l’angle de la rue du Cherche-Midi et du boulevard Raspail, 12/09/1917,
photo Charles Lansiaux, CVP, DHAAP.

Pour aller plus loin…

Jacky Tronel, La rue du Cherche-Midi et ses prisons militaires des origines à 1947 in « Bulletin de la Société historique du VIe arrondissement de Paris », nouvelle série N° 23 – Année 2010, octobre 2011, p. 119-148.

Gaston Schéfer, L’hôtel des Conseils de guerre rue du Cherche-Midi, in « Commission municipale du Vieux Paris », année 1907, Paris, Imprimerie municipale, 1908, p. 275 et annexe de 44 pages, 4 photos et 3 plans.

2 Commentaires de l'article “La démolition de l’hôtel des Conseils de guerre lors de l’ouverture du boulevard Raspail”

  1. sattonay dit :

    Bonjour,
    Lors d’une seconde visite à Jeurre, j’ai constaté une erreur de ma part concernant la soi-disante porte du château de Saint-Cloud : la porte de St-Cloud est un autre élément récupéré dans le parc.
    Pour les propriétaires de Jeurre, le porche de l’hôtel des Conseils de guerre dont vous montrez une photographie ci-dessus provient de l’ancien hôtel particulier de la comtesse de Verrue, démoli en 1907. Qu’en pensez-vous ? Cordialement.

  2. Jacky Tronel dit :

    Ce n’est pas faux ! Cet hôtel particulier, comme il était d’usage à l’époque, reçut les noms de ses occupants successifs, dont celui de la comtesse de Verrue… avant de devenir l’hôtel des Conseils de guerre. Cf les notes figurant en marge du « Plan parcellaire de l’expropriation du boulevard Raspail », ci-dessus (cliquez pour agrandir l’image).
    C’est ainsi qu’il fut nommé tour à tour Hôtel d’Hauterive (1674-1701), Hôtel de Verrue (1702-1736), Hôtel de Brancas (1742-1753), Hôtel de Toulouse (1755-1766), Hôtel des ambassadeurs de Sardaigne (1766-1792) et enfin Hôtel des Conseils de guerre (1800-1907).
    Quant au porche lui-même, il est vraisemblable qu’il a été édifié alors que la comtesse de Verrue (née d’Albert de Luynes, 1670-1736) en était propriétaire. Il date probablement du début du XVIIIe.
    En résumé, s’il n’est pas inexact de dire qu’il s’agit de l’ancien porche de l’hôtel de la comtesse de Verrue, rue du Cherche-Midi, il me paraît plus pertinent de dire qu’il s’agit du porche de l’hôtel des Conseils de guerre de Paris, car ce fut bien là sa dernière destination.
    Sous ce porche est passé le capitaine Dreyfus, le 22 décembre 1894, jour de sa condamnation par le Premier Conseil de guerre de la place de Paris.
    Source : Gaston Schéfer, L’hôtel des Conseils de guerre rue du Cherche-Midi, in « Commission municipale du Vieux Paris », année 1907, Paris, Imprimerie municipale.
    Cordialement, JT

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