Images inédites de la prison militaire du Cherche-Midi, filmées en août 1944
Par Jacky Tronel | samedi 17 septembre 2011 | Catégorie : Dernières parutions, RECHERCHES | 5 commentaires
Parmi les documents qui ont refait surface à l’occasion du 67ème anniversaire de la Libération de Paris, il y a ce film amateur de 80 minutes réalisé en caméra 8 mm par un fabriquant de meubles du VIe arrondissement…
En 1944, Charles Dudouyt habite à deux pas de l’angle du boulevard Raspail et de la rue du Cherche-Midi, un immeuble offrant une vue imprenable sur la prison militaire de Paris. Du 15 au 26 août 1944, à travers les persiennes du premier étage de son magasin, il filme les événements précédant la libération de la capitale tels qu’il les observe de sa fenêtre : transferts des prisonniers du Cherche-Midi, départ des Allemands, élévation d’une barricade suivie de l’arrivée des chars de la 2e DB, allégresse des Parisiens…
L’intérêt de ce document exceptionnel réside en partie dans le fait qu’il montre des images rares de la prison du Cherche-Midi sous commandement allemand, peu avant son repli et son abandon par l’occupant. Lien vers le film.
Char allemand descendant le boulevard Raspail en direction de Denfert-Rochereau, à hauteur de la prison du Cherche-Midi.
Transfert de prisonniers le 15 août 1944
« 15 Août – Repli d’un centre de rééducation (anciennement prison du Cherche-Midi) ». Cette indication précieuse, fournie par Charles Dudouyt, prouverait que d’importants transferts de prisonniers ont bien eu lieu le 15 août 1944, au départ du Cherche-Midi. Pour quelle destination ? Le fort de Romainville, le camp de Drancy, ou bien une autre prison ? Difficile à dire en l’absence d’archives… Toutefois, on ne peut s’empêcher de penser à ce dernier convoi de prisonniers « politiques » quittant Paris à destination de l’Allemagne nazie, parti ce même mardi 15 août de la gare de marchandises de Pantin (banlieue nord-est de Paris), composé de 1654 hommes et de 546 femmes. Ils arriveront à Buchenwald le 20 août pour les hommes, et à Ravensbrück le 21 août pour les femmes.
Les premières images du film montrent en gros plan un gardien de la Paix parisien, vraisemblablement brigadier de police du service général, suivi par un soldat allemand, arme sous le bras. Le policier arpente le terre-plein central du boulevard Raspail, lève les yeux puis frappe dans les mains, comme pour rappeler à l’ordre un curieux qui observerait la scène de la fenêtre d’un des immeubles situés en vis-à-vis de la prison militaire. Le dernier plan de cette séquence laisse apparaître la prison parisienne située à l’angle du 38 de la rue du Cherche-Midi et du 54 boulevard Raspail.
Le long du trottoir de la rue du Cherche-Midi, à hauteur du numéro 38, un camion bâché stationne. Quatre soldats allemands sont en faction. Ils semblent attendre la livraison de quelques détenus sur le point d’être extraits du Cherche-Midi. Ces prisonniers seront vraisemblablement conduits vers un centre de rassemblement ou un camp de transit, ultime étape avant la déportation.
Quelques images plus loin, on aperçoit un fourgon stationné au même endroit. Un gardien de la Paix longe le haut mur d’enceinte de la prison en direction du boulevard Raspail. Des hommes en arme font les cent pas. Ils portent un brassard et ont un pistolet mitrailleur à la main. Ils paraissent nerveux. L’un d’eux fait des gestes pour éloigner les badauds. S’agit-il de miliciens chargés d’assurer la sécurité extérieure de la prison ?…
Officiellement, le départ des Allemands de la prison du Cherche-Midi a lieu le 23 août 1944 (cf l’article Les Allemands quittent Paris et ses prisons en août 1944). Faut-il en déduire que l’évacuation de la prison s’est faite sur plusieurs jours, entre le 15 et le 22 ou 23 août ?… Quoi qu’il en soit, le lendemain 24 août, une barricade est dressée en travers du boulevard Raspail, à hauteur de la rue du Cherche-Midi. Le film de Charles Dudouyt en montre des images, avec l’abattage de quelques-uns des arbres du boulevard.
Il est clair que le 24 août, les Allemands ne sont présents ni au Cherche-Midi, ni à l’hôtel Lutetia, siège de l’Abwehr (service de renseignement et de contre-espionnage de l’état-major allemand), situé à quelques dizaines de mètres de là. La prison du Cherche-Midi est déserte. Avant leur départ, les Allemands ont pris soin d’emporter toutes les archives administratives ainsi que les registres d’écrou.
Puis arrivent les chars de la 2ème DB, les véhicules siglés FFI…
Le lendemain de la Libération de Paris, le cinéaste amateur se rend sur le boulevard Saint-Michel, rue Saint-Jacques… et filme les barricades, la foule en liesse, Paris qui s’éveille…
La prison du Cherche-Midi sous commandement allemand
Désertée le 12 juin 1940 (cf l’article « Le repli de la prison militaire de Paris à Mauzac. Un exode pénitentiaire méconnu »), la prison militaire du 38 rue du Cherche-Midi est réquisitionnée par l’occupant dès son entrée dans Paris. À la différence d’autres prisons dont seul un quartier est placé sous commandement allemand, le Cherche-Midi passe entièrement sous contrôle des autorités d’occupation. La prison relève alors de l’état-major du Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF), dont le siège est à l’hôtel Majestic, avenue Kléber. Elle est donnée pour une capacité de 600 personnes, mais dans les années 1943-1944, quand la répression bat son plein, il est vraisemblable que ce chiffre a été largement dépassé, ainsi que le rapporte Claude Lévy : « Dans les derniers mois de l’occupation, les cellules du bas qui pouvaient recevoir six personnes, abritèrent en fait une vingtaine de détenus politiques et droit commun réunis. On pense que cette promiscuité s’expliquait par le désir des Allemands d’utiliser ceux-ci pour démoraliser ceux-là et sans doute aussi renseigner les gardiens sur les résistants ».
Les prisonniers qui sont détenus au Cherche-Midi le sont généralement pour de courtes périodes. La prison fait office de « prison d’instruction ». Les détenus sont fréquemment extraits de leur cellule pour des interrogatoires. Enchaînés le plus souvent, ils sont conduits, dans une traction noire, vers l’un des bureaux occupés par la Gestapo : rue des Saussaies, rue de la Pompe, rue Lauriston, avenue Henri Martin, boulevard Lannes ou encore avenue Foch. Le tribunal militaire allemand siège au 11 rue Boissy-d’Anglas, tandis que les bureaux de l’Abwehr se situent au 43 boulevard Raspail. Ils occupent l’hôtel Lutetia.
La prison militaire de Paris telle que la voyait Charles Dudouyt depuis le boulevard Raspail où il logeait.
© Ch. Lansiaux, 1917/CVP/DHAAP.
Avant d’abandonner le Cherche-Midi, les Allemands ont pris soin de faire disparaître toutes leurs archives… Pour en savoir plus sur le fonctionnement de cette prison sous commandement allemand, il nous faut donc nous contenter des rares documents disponibles ainsi que des témoignages de ceux qui y ont été incarcérés. C’est la raison pour laquelle le film amateur de Charles Dudouyt qui vient d’être exhumé est d’une valeur inestimable.
Le film de Charles Dudouyt est visible : ici. Tous droits réservés © Marc Giron, petit-fils de l’auteur du film.
Un document émouvant que je viens de découvrir un matin a Boston, faisant des recherches sur la prison du cherche midi en 1943. Merci.
Images jamais vues et qui rendent bien « l’ambiance ».
Les 4 gardes visibles au début du documentaire sont effectivement des miliciens reconnaissables à leur uniforme : vareuse noir et béret de chasseurs alpins. L’un d’eux tient une mitraillette Sten, dont les allemands les avaient armés après les avoir récupérées de parachutages anglais destinés au maquis.
Sur le terre-plein central, on remarque les structures métalliques destinées à abriter le marché hebdomadaire. En 2011, ce sont toujours les mêmes.
Une colonne de chars PZ V Panther se replie vers le nord puis un char français B1bis pris en 1940 et réutilisé par les allemands prend la direction du sud. L’un des B1bis est ensuite réarmé par les FFI et apparait sur de nombreuses bandes d’actualités.
Côté de la 2eDB, on aperçoit des Sherman et un Tank-Destroyer du Régiment Blindé de Fusiliers-Marins.
Merci Nicolas pour ces très intéressantes précisions… Ce document est effectivement exceptionnel, s’agissant d’images filmées, prises sur le vif dans le contexte de la libération de Paris, à proximité d’une prison militaire sous commandement allemand dont on ne sait finalement que peu de choses sur la période de l’Occupation. Cordialement, JT
Dommage que les occupants ont fait tout disparaître en partant.
En 1941 mon père était au Cherche-Midi. J’avais 6 ans. Pensant apitoyer les gardiens ma mère m’avait emmené avec elle. Elle a remis au gardien un sac contenant quelques victuailles pour mon père. Je me souviens très bien de ce gardien qui était habillé comme Bourvil et de Funès dans la Grande Vadrouille. Il est parti et nous avons attendu.
Quand il est revenu il a rendu le sac à ma mère. Tout ce qu’il contenait avait été déballé et remis en vrac mais rien ne manquait. En fait le gardien était allé dans la cellule de mon père, lui avait montré tout ce que ma mère avait apporté mais ne lui avait rien donné.
Dans la cellule de mon père il y avait Ben Danou, le plus grand speaker de radio de l’époque. Il avait été arrêté en juin 40 et a fait 57 mois de détention en finissant par Buchenval. Chaque jour les allemands venait le chercher, ils l’emmenaient à l’hotel Avénida et lui demandait s’il acceptait de parler sur « Radio Paris ». Chaque jour il refusait et il était ramené dans sa cellule. Ben Danou, revenu à 37 kilos de Buchenval, n’a jamais retrouvé sa place prise par les « fifis » de dernière heure et en sortant de prison, mon père, inspecteur de commissariat, a été suspendu de ses fonctions le 6 juin 1941, sur proposition du Directeur de la Police Judiciaire !
Voilà. Ce témoignage pourra peut-être servir à des chercheurs sur ces temps où il ne faisait pas bon de désobéir à Pétain.
Hubert DUEZ
La porte de la prison du Cherche Midi est dans un petit square situé devant l’hôpital Henri Mondor, à Créteil, avec les noms des personnes qui sont passés dans cette prison .