Trois détenus libérés de la prison militaire de Mauzac attendaient leur train respectif…

Entrée de la prison militaire de Mauzac (Dordogne).

Dans la soirée du 20 janvier 1943, vers 20 h., j’étais au Buffet de la Gare de Le Buisson, en compagnie d’un informateur, lorsque mon attention a été attirée par des chuchotements provenant des dîneurs de passage, attablés dans la salle. Trois détenus libérés du camp de Mauzac, venaient d’entrer.  Ils attendaient leur train. Les chuchotements étaient motivés par leur aspect physique. En effet, ces jeunes gens avaient le visage cadavérique…

Rapport de l’inspecteur Jean Créty adressé au chef des RG de Bergerac

Le texte qui suit constitue le rapport intégral de l’inspecteur de police Jean Créty, adressé le 27 Janvier 1943 au chef du Service des Renseignements Généraux à Bergerac, avec copie au Préfet de la Dordogne et au chef du Service des RG à Limoges :

« J’ai l’honneur de vous faire connaître ce qui suit :

Dans la soirée du 20 courant, vers 20 heures, j’étais au Buffet de la Gare de Le Buisson, en compagnie d’un informateur, lorsque mon attention a été attirée par des chuchotements provenant des consommateurs et dîneurs de passage, attablés dans la salle.

Trois détenus libérés du camp de Mauzac, venaient d’entrer. Âgés tous trois de 20 à 25 ans, ceux-ci attendaient leur train respectif. »

Gare du village de Le Buisson (Dordogne)

Quais de la gare de Le Buisson,
ligne Agen–Paris et Bordeaux–Aurillac, source.

« Les chuchotements étaient motivés par l’aspect physique de ceux-ci. En effet, ces jeunes gens avaient le visage cadavérique. A ce sujet, je relate intégralement les réflexions faites par les clients à leur sujet :

“ Que c’était une honte d’arranger des jeunes Français de la sorte, que ceux-ci étaient tuberculeux et ne se remettraient jamais, que les prisonniers Français en Allemagne étaient mieux traités et que si ces jeunes Français, privés de femmes depuis 2 ou 3 ans, avaient des enfants, ce seraient des avortons, fardeau pour la collectivité, etc… ”

J’oublie volontiers des phrases désobligeantes à l’adresse du Gouvernement…

Il faut néanmoins reconnaître que ces trois jeunes gens inspiraient réellement la pitié. Habillés de costumes trop grands qui faisaient ressortir leur maigreur, ils étaient corrects ce qui incitait davantage les clients à les plaindre.

Les libérés de Mauzac perçoivent deux repas froids avant leur départ, repas engloutis dès leur perception. Le Buisson étant la gare d’embranchement la plus proche, ils y passent obligatoirement. Ayant faim ils se présentent au Buffet-Gare. Démunis de tickets, le règlement interdit de les servir. La situation de M. LAROCQUE, tenancier du dit Buffet est alors délicate… S’il accepte il se met en contravention avec les lois et décrets en vigueur. S’il refuse il s’y met avec sa conscience et subit les sarcasmes des clients.

L’excitation de ces derniers était accrue par la présence de deux soldats Allemands, installés à une table voisine qui “ cassaient la croûte ” avec un respectable saucisson et une boîte de beurre. Un client leur demandant si cette boîte était leur ration journalière, ils ont répondu que “ c’était pour deux jours pour un soldat ”. Le client leur a rétorqué textuellement ceci ”Nous, ration, deux personnes pour le mois”.

Au cours de la conversation qui s’est ensuivie entre consommateurs, j’ai appris qu’à la cantine de la prison de Mauzac, les 3/4 d’un quart de vin (je parle du quart en métal de soldat) coûte 8 francs, ce qui fait 40 francs le litre. Les internés se volent le pain entre eux. La raison du plus fort y est en vigueur.

En résumé, il semble qu’il pourrait être alloué à M. LAROCQUE, tenancier du Buffet de la Gare de Le Buisson, une certaine quantité de tickets d’alimentation, pour des cas analogues à celui-ci, ce qui aurait pour résultat de le mettre en règle et avec sa conscience et avec le règlement. »

Signé l’inspecteur CRÉTY.

Vue aérienne de la gare de Le Buisson (Dordogne)

Gare de triage de Le Buisson, vue aérienne, coll. J. Tronel.

Source : Archives départementales de la Dordogne, 1 W 1836.

Lire sur ce blog : L’hiver 1942-1943 au « Camp de Mauzac ». Lien

1 Commentaire de l'article “Trois détenus libérés de la prison militaire de Mauzac attendaient leur train respectif…”

  1. Super site, très clair, facile à comprendre et surtout plein de découvertes.
    Longue vie au site !

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