Rapport de la Croix-Rouge sur la prison de Mauzac en 1945

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Un « rapport sur Mauzac » du bureau de la Croix-Rouge française de Périgueux fait état des conditions sanitaires déplorables dont souffrent les détenus au mois de janvier 1945.
La population pénitentiaire du « camp de Mauzac », issue de l’Épuration, est alors mixte. Elle le demeure jusqu’au 19 mai 1945 qui marque la dissolution de la prison militaire et son passage sous tutelle du ministère de la Justice.

Voici le texte de ce rapport daté du 12 janvier 1945, suivi de la réaction du préfet de la Dordogne…

« Rapport sur Mauzac » du bureau de la Croix-Rouge française de Périgueux du 12 janvier 1945. Source : Archives départementales de la Dordogne, 6 W 3.

Rapport de la Croix-Rouge française de Périgueux, Source : Archives départementales de la Dordogne, 6 W 3.

« Au cours d’une visite faite au camp des détenus de Mauzac (Dordogne) notre attention a été retenue par les ponts suivants :

Questions générales :

1° – Nourriture déficiente. Les détenus au nombre de 380 environ ont comme menu : matin bouillon – midi et soir soupe composée de carottes, citrouille, raves. Les repas sont servis froids. Ceci vient de ce que toutes les parts sont préparées à l’avance dans les gamelles individuelles et distribués ensuite aux détenus.

L’installation des cuisines est suffisante pour permettre une bonne organisation. L’eau est la boisson de tous les repas. Comme suite à cette nourriture déficiente nous pouvons dire qu’il y a 40 % des détenus qui montrent des symptômes de jaunisse et d’anémie.

Lavabo de la prison militaire de Mauzac, archives départementales de la Dordogne, 1141 W 239.

Point d’eau à l’intérieur d’un dortoir. AD 24, 1141 W 239.

2° – Hygiène suffisante pour les hommes mais très déficiente pour les femmes, un seul robinet fonctionnant pour 80 femmes qui doivent faire leur toilette dans une heure. Présence de vermine. Pour les femmes manque de linge intime, manque de moyens pour le lavage du linge, ce serait les hommes qui laveraient le linge des femmes.

3° – Chauffage. Pour une baraque il y a un poêle qui est allumé quand il y a du combustible. Les détenus proposent de se grouper pour faire porter de chez eux du bois. Cette solution serait à proposer à la Direction du camp.

4° – Vêtements. La question des vêtements est spécialement angoissante pour les femmes. Ayant été arrêtées pour la plupart pendant les mois de l’été, les femmes n’ont que des vêtements légers insuffisants pour l’hiver. Un bon nombre d’entre elles sont vêtues de couvertures. Nombreuses sont celle qui n’ont pas de parents.

Questions particulières :

1° – Visite des familles. Les détenus peuvent recevoir une visite de leur famille par semaine d’une durée de 20 minutes. Il faut une permission spéciale pour pouvoir les embrasser.

2° – Courrier. Les détenus peuvent écrire deux lettres par semaine. Une restriction est faite pour les condamnés qui ne peuvent écrire qu’une fois par semaine.

3° – Colis. Les détenus peuvent recevoir des colis jusqu’à concurrence de 12 kg par mois, ce qui fait 3 kg par semaine. Ce poids semble minime vu la déficience de la nourriture donnée au camp. De plus aucune denrée contingentée n’est admise, de sorte que les détenus se voient totalement privés de sucre, de matières grasses et de viande de boucherie, produits qui vraisemblablement sont prélevés sur les rations de familles. À notre humble avis, sans colis les détenus se trouveraient dans une situation alimentaire particulièrement grave. Ne serait-il pas possible de porter le poids limite des colis de 12 à 25 kg.

À dater du 15 janvier, nous détacherons à ce camp une infirmière de la Croix-Rouge qui sera chargée de l’infirmerie et du service social à l’intérieur du camp.

Le commandant du camp nous a déclaré qu’à la date du 1er février l’intendance ne pouvait plus lui fournir le ravitaillement nécessaire. Il ne sait où s’adresser pour nourrir ses pensionnaires.

Il semble anormal que les détenus ne bénéficient pas du régime politique auquel juridiquement ils ont droit. »

Réaction du préfet, le 20 janvier 1945

Extraits de la note adressée au commandant du camp de Mauzac :

« Je suis saisi d’un rapport sur l’état sanitaire des détenus, prévenus et internés du camp de Mauzac. Plusieurs points de ce rapport attirent plus spécialement mon attention, et certaines rigueurs du règlement devront être atténuées, si nous ne voulons pas aller au devant d’accidents sanitaires graves.

[…] Étant donné que l’administration n’est pas en mesure de leur fournir actuellement les rations et les denrées auxquelles ils ont droit, il serait souhaitable que les services du camp ferment les yeux, et admettent certaines dérogations, et que, à condition bien entendu que cela ne dégénère pas en abus, les détenus soient autorisés à recevoir dans leurs colis des produits qui ne pourraient qu’améliorer leur situation sanitaire. Il ne faut pas, en effet, que par une crainte légitime peut-être d’admettre des entorses aux règlements, nous ne prenions la responsabilité d’accidents médicaux, qui pourraient facilement devenir mortels, en raison de l’état général de la plupart des détenus… »

Le 24 janvier 1945, le préfet sollicite l’Entr’Aide Française

« Monsieur le Délégué départemental,

Je suis informé par un rapport général de l’état lamentable du vestiaire de la plupart des personnes qui sont détenues, prévenues ou internées au camp de Mauzac.

[…] Je sais que la plupart de ces gens-là ne méritent sans doute pas que l’Entr’Aide Française joue en leur faveur. Néanmoins, comme nous ne sommes ni la Gestapo, ni la Milice, la plus stricte et la plus simple humanité exige que nous prenions des mesures pour protéger au minimum les intéressés contre les rigueurs d’un hiver exceptionnel.

Je vous demande donc, si cela vous paraît possible d’après la situation de vos stocks, de faire un effort pour fournir au camp de Mauzac un appoint de vêtements, qui me paraît indispensable… »

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Pour aller plus loin, lire sur ce blog :

Mauzac, camp Sud : prison pour femmes de 1947 à 1951 : lien

Regard sur l’Épuration et les femmes tondues en Dordogne : lien

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