Ces fusillés de juin 1940 dont on ne parle pas…
Par Jacky Tronel | dimanche 25 avril 2010 | Catégorie : Dernières parutions, RECHERCHES | 7 commentairesL’armistice franco-allemand est signé en forêt de Rethondes, le 22 juin 1940. Paradoxale coïncidence, ce même jour, quatre Français dont trois se réclamant de la mouvance communiste sont fusillés à l’aube, sur le champ de tir de Verthamon, à Pessac. Le plus jeune d’entre eux, Roger Rambaud, est âgé de 17 ans…
Le 10 juin 1940, Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, ordonne l’évacuation vers le sud de la population des prisons du Cherche-Midi et de la Santé. Les tribunaux militaires de Paris ayant été eux-mêmes repliés à Bordeaux, c’est à la prison militaire de Bordeaux (caserne Boudet) que sont déposés les dix condamnés à mort en provenance de Paris, le 20 juin.
Dix condamnés à mort sont déférés à Bordeaux
Voici les noms et les chefs d’inculpation des dix condamnés à mort laissés à Bordeaux : Amourelle Jean (33 ans, espionnage), Ferréa Jacques (espionnage), Lebeau Léon (34 ans, sabotage), Lebeau Maurice (17 ans, sabotage), Masson Charles (44 ans, trahison), Rambaud Marcel (23 ans, sabotage), Rambaud Roger (17 ans, sabotage), Spieth René (24 ans, espionnage), Verdaguer Raymond (28 ans, espionnage) et Weil Otto (29 ans, espionnage). Par décision présidentielle du 18 juin 1940, Maurice Lebeau, condamné à mort pour « complicité de destruction ou détérioration volontaire d’appareils de navigation aérienne ou toute installation susceptible d’être employée pour la Défense Nationale », voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Le 23 juin, il est transféré à la prison du Fort du Hâ.
Rue du Stand, quartier de Verthamon à Pessac © Photo Nadine Cotreau.
Dans une note de service du 21 juin 1940, le commandant d’armes de la place de Bordeaux indique la procédure à suivre concernant l’exécution de Jean Amourelle, Léon Lebeau, Marcel Rambaud et de son frère Roger qui doit avoir lieu le lendemain, à 4 heures 30 du matin, sur le champ de tir de Verthamon, à Pessac. Le 181e régiment régional est chargé de la besogne. Le peloton d’exécution se compose de 24 hommes (12 sergents et 12 caporaux), d’un adjudant et d’un sous-officier armé du révolver chargé de donner le coup de grâce. La note précise : « Assisteront au réveil des condamnés à 3 heures 45 le major de garnison ou son représentant, le commissaire du gouvernement, un juge d’instruction et un greffier désignés par le commissaire du gouvernement, un juge militaire désigné par l’état-major, l’officier comptable de la prison, un médecin désigné par le médecin-chef de la place, l’aumônier du culte catholique de l’hôpital Robert Picqué et un défenseur désigné par le bâtonnier de l’ordre des avocats à la cour de Bordeaux. Les condamnés seront ensuite transportés sur le lieu de l’exécution dans la voiture cellulaire de la place et escortés par huit gendarmes qui devront être rendus à la prison militaire à 3 heures 45. Le service d’ordre sera assuré par un demi peloton de gardes mobiles qui devra être pour 3 heures 45 au stand de Verthamon. » Un procès-verbal confirme que l’exécution a bien eu lieu, le 22 juin 1940, à 5 heures 45, en présence du lieutenant Créry du 57e régiment d’infanterie. Les actes de décès n° 225, 226, 227 et 229 rédigés par le greffier Castellani, du 3e tribunal de Paris replié à Bordeaux, figurent dans le registre de décès de la commune de Pessac, à la date du 24 juin 1940.
© SHD-DAT, sous-série 13 J. Lire AMOURELLE et non AMOURETTE Jean-Gaston.
Quant aux cinq autres condamnés à mort : Jacques Ferréa, Charles Masson, René Spieth, Raymond Verdaguer et Otto Weil, ils font partie d’un groupe de prisonniers dirigés vers le camp de Gurs, le 30 juin 1940, groupe composé de 136 prisonniers du Fort du Hâ, rejoints par 14 détenus du dépôt d’infanterie n° 181 stationné à Bordeaux. Le transfert est assez mouvementé. Au départ, en gare de Bordeaux, neuf prévenus profitent de la confusion qui règne au moment de l’embarquement pour reprendre leur liberté. Puis, lors du passage du train en gare d’Orthez, le condamné Spieth, Alsacien, appelle à son secours les soldats allemands gardant la gare, lesquels interviennent et obtiennent, sous la menace de leurs fusils chargés, la libération des cinq condamnés à mort restants. Qui sont les quatre condamnés à mort fusillés sur le stand de tir de Verthamon, à Pessac ? Un espion et trois saboteurs…
Jean Amourelle, fusillé à Pessac le 22 juin 1940
Encarté à la SFIO depuis 1934, Jean Amourelle est qualifié par la presse de droite de « membre important et influent du parti socialiste », proche de Léon Blum. En 1936, Amourelle exerce la profession d’attaché à la questure de la Chambre des députés, puis de secrétaire sténographe au Sénat. Le 26 juillet 1939, il fait l’objet d’un mandat de dépôt pour « infraction à la loi sur l’espionnage ». Écroué à la prison du Cherche-Midi, le gouverneur militaire de Paris prononce contre lui une « ordonnance d’isolement constant ». Le 1er août, plusieurs journaux dont Ce Soiret L’Humanité se font l’écho d’une information publiée par The Daily Telegraph selon laquelle Amourelle « aurait vendu à l’Allemagne les compte rendus de la commission de l’armée de la Haute-Assemblée ». L’hebdomadaire Gringoire du 10 août 1939 rapporte que « Le Populaire, extrêmement embarrassé […] a prétendu qu’Amourelle n’appartenait pas au parti SFIO de Blum, mais au Parti socialiste ouvrier et paysan de M. Marceau Pivert ». Le PSOP dément formellement. Ses dirigeants obtiennent qu’un droit de réponse soit publié dans les colonnes du Populaire. « Mais ce n’est pas tout [peut-on lire dans Gringoire]. Amourelle devait fonder un hebdomadaire intitulé La Carmagnole, dont le programme eût été de développer dans les masses populaires l’antimilitarisme et d’organiser des grèves à travers la France. En somme, de diminuer la force française. Pour financer ce journal, le socialiste Amourelle n’avait pas hésité à s’adresser à Berlin. » Le Petit Journal du 15 février 1940 annonce son renvoi devant le troisième tribunal militaire de Paris « sous l’inculpation de tentative d’intelligence avec l’ennemi pour avoir tenté d’obtenir des fonds de la propagande allemande, dans le but de lancer un journal antifrançais préconisant la révolution et le sabotage de la défense nationale ». L’américain Richard Wilmer Rowan, spécialiste du renseignement, indique que Jean Amourelle aurait été approché par Leo Hirsch, agent des services secrets allemands. D’après l’auteur, « Amourelle est accusé d’avoir reçu 400 000 francs des agents nazis en échange de rapports sur les délibérations secrètes de la commission des affaires militaires au Sénat, dans le but de publier une nouvelle revue dont le titre serait emprunté à un ancien chant révolutionnaire, La Carmagnole ». Le 29 mai 1940, Amourelle est jugé et condamné par le troisième tribunal militaire de Paris à la peine de mort pour « trahison ». C’est l’un des quatre fusillés de Pessac.
Les frères Rambaud et Léon Lebeau, fusillés à Pessac le même jour
Ouvriers de l’usine d’aviation Marcel Bloch à Déols (Indre) © Photo P. Rozier.
Roger Rambaud, ajusteur, travaille aux usines d’aviation Farman, à Boulogne-Billancourt. Son frère aîné, Marcel, est militaire au 503e régiment de chars de combat à Versailles, tandis que Léon Lebeau appartient au 3e régiment de génie. Le premier est condamné à mort pour sabotage (« détérioration volontaire d’appareils de navigation aérienne employés pour la Défense nationale »), les deux autres pour complicité de sabotage (ils ont guidé le jeune Rambaud dans son action et lui ont conseillé le mode opératoire). Le sabotage auquel ils se livraient « consistait dans le sectionnement du fil de laiton servant de frein à l’écrou maintenant le tuyau d’arrivée d’essence. Au bout d’un certain nombre d’heures de vol, l’écrou, démuni de son frein, se desserrait par suite des vibrations du moteur et laissait s’échapper goute à goutte, puis plus rapidement, l’essence, qui tombait sur la tubulure d’échappement rougie à blanc, provoquant ainsi des vapeurs qui amenaient l’explosion de l’appareil en plein vol et la mort du personnel navigant. » Roger Rambaud attire l’attention lorsqu’il se vante d’avoir donné cinq francs lors d’une quête faite à l’usine en faveur d’un des pilotes victimes d’une explosion en plein vol. L’enquête révèlera plus tard qu’il est responsable de cet accident. Pas plus l’enquête de police que l’instruction ne parviennent à prouver formellement l’appartenance de Roger Rambaud au PCF ou aux Jeunesses communistes, en dehors de trois tracts, recopiés de sa main, qui l’accusent : « Courage on les aura ! Confiance camarade, le parti communiste vivra toujours. Pas de canon, pas d’avion et la guerre finira. Paix immédiate. Le Parti Communiste Français »…
Cette recherche doit faire l’objet d’une publication, avec davantage de développement, dans le prochain numéro de la revue d’Histoire Arkheia.
Je viens d’être sollicité par mon voisin, que je connais depuis des années, pour trouver des éléments à une réponse qui le travaille depuis fort longtemps. Son beau-père était Léon Lebeau, sur lequel vous avez écrit un article. Il a été fusillé en 1940. Le frère de Léon, Maurice, a semble-t-il échappé à l’exécution mais dans tous les écrits, articles, ouvrages, il est mentionné Maurice Lebeau comme fusillé et non Léon. Il cherche donc à savoir d’où vient cette confusion. Il cherche également tous les documents d’archives qui traitent de cette affaire, la condamnation, l’exécution de son beau-père… Accepteriez-vous de m’aider ou plutôt de l’aider ? Merci d’avance. Cordialement
À ma connaissance, la confusion sur le prénom des frères Lebeau remonte à 1951, date de parution du livre « Les Communistes Français pendant la drôle de guerre » d’Angelo Tasca, alias A. Rossi, journaliste communiste italien qui fut l’un des fondateurs du PCI. Dans son ouvrage, l’auteur évoque en ces termes l’arrestation de six ouvriers des usines Farman (dont les frères Lebeau) pour actes de sabotages… « Ils furent lourdement condamnés, écrit-il, dont quatre à la peine de mort : trois furent exécutés à Bordeaux, au Fort du Hâ ». Dans une note de bas de page, Rossi précise : « Le Président de la République n’accorda la grâce qu’à l’un des quatre condamnés à mort, Léon Lebeau : les trois autres furent exécutés. » Rossi commet ici deux erreurs : il confond Maurice et Léon et il situe l’exécution au Fort du Hâ alors qu’elle eut lieu à Pessac.
Comme souvent, les erreurs de certains sont reprises par d’autres qui recopient ce qui a déjà été publié, sans prendre la peine d’aller vérifier les sources. Quant à Wikipedia, non seulement l’encyclopédie reproduit cette même erreur, mais elle s’interroge également sur la réalité des exécutions. On peut y lire : « Deux des communistes sont parmi les six ouvriers qui sont libérés après interrogatoire. Le 27 mai 1940, un tribunal militaire condamne deux ouvriers à vingt ans de travaux forcés et quatre autres sont condamnés à mort, dont Léon Lebeau, communiste qui obtient la grâce présidentielle, mais la question de savoir si les trois autres ont été effectivement fusillés reste ouverte. » !
Or, comme le montre les archives (aujourd’hui accessibles) et ainsi que le confirme votre voisin, c’est bien Léon qui a été fusillé à Pessac, tandis que Maurice bénéficiait de la grâce présidentielle. Je vous renvoie à l’excellent livre de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre : « L’affaire Guy Môquet – Enquête sur une mystification officielle », p. 28-34, ainsi qu’à mon papier : « On fusillait à Pessac le 22 juin 1940 ! » publié dans la revue « Arkheia » n° 22, juin 2010.
Par courriel, je vous envoie les trois documents d’archives qui confirment cette version des faits : le procès-verbal d’exécution des trois saboteurs, l’acte de décès de Léon Lebeau et enfin la notification par le ministère de la Justice de la grâce présidentielle accordée à Maurice Lebeau. Le dossier de procédure judiciaire relatif à cette affaire est consultable au Dépôt central des archives de la Justice militaire, Le Blanc (Indre).
Savez-vous ce qu’est devenu Maurice Lebeau ? Comment la famille Lebeau a-t-elle vécu les événements de mai-juin 1940 ? Quelles furent, par la suite, ses relations avec le PCF ?
Bonjour, je me suis servie de votre article pour un dossier en histoire et je voudrais savoir si il y en a eu d’autres dans le même genre car cela m’intéresse et je voudrais savoir comment s’est passée la suite. Merci pour votre savoir.
Bonsoir Julie. S’il y a eu quelques autres condamnations pour sabotage et trahison, peu d’exécutions s’en suivirent. Quant à la suite de cette histoire ? Pour les quatre fusillés… elle fut définitive ! Pour les autres prisonniers partis des prisons du Cherche-Midi et de la Santé, le 10 juin 1940, ils furent 1 020 à atteindre le camp de Gurs, un camp de prisonniers construit à la hâte pour y interner les républicains espagnols, au printemps 1939… Tu trouveras plus de détails sur ce blog, en cliquant sur ce lien : La prison militaire de Paris repliée au Camp de Gurs (juin 1940 – janvier 1941)
J’ai connu un Maurice Lebeau sur Boulogne sur mer. Résistant. Si ça peut aider.
Merci pour ce message… Pouvez-vous m’en dire plus ?
Qu’est-ce qui vous permet de penser qu’il pourrait s’agir du même Maurice Lebeau, condamné à mort qui bénéficia d’une grâce présidentielle six jours avant l’exécution de son frère, Léon, le 22 juin 1940 ?
À vous lire, cordialement. JT
Voici qq infos à propos de l’affaire des fusillés de 1940. Sources avocate de Lebeau, Maître Renée Jardin, du barreau de Versailles : « En septembre 1941, je me suis rendue à Vichy. J’avais en effet obtenu une audience du secrétaire général à la Justice pour plaider la cause d’un de mes clients, le jeune Maurice Lebeau, condamné à mort par le tribunal militaire de Paris le 27 mai 1940. Je n’avais pas eu la possibilité de plaider devant le chef de l’Etat, ayant été convoquée le 11 juin 1940 à l’Elysée à un moment où le palais était fermé. Maurice Lebeau avait été gracié et sa peine commuée en une peine de travaux forcés à perpétuité. Il protestait de son innocence. Son frère avait été exécuté ainsi que ses co-inculpés ».
Citation extraite du dossier d’Épuration de Renée Jardin, aux Archives des Yvelines. À prendre évidement « avec des pincettes », la dame ayant été impliquée dans la « Collaboration ». Ancienne avocate du procès Weidam, le criminel allemand exécuté en place publique à Versailles en 1939. […] Condamnée « à perpette » à la libération, elle prend la poudre d’escampette aux USA et, de religieuse, va se marier avec un certain professeur Birnie…