Fouille générale au centre pénitentiaire de Mauzac, le 4 janvier 1953

Faisant suite à l’évasion de six relégués qui eut lieu dans la nuit du 26 au 28 décembre 1952 et craignant l’imminence d’une mutinerie, le directeur du centre pénitentiaire de Mauzac (Camp Nord) alerte le préfet de la Dordogne qui ordonne une fouille générale et inopinée des locaux,
le 4 janvier 1953
. Le sous-préfet de Bergerac en dresse le procès-verbal.
Il se risque à quelques observations et recommandations, pour le moins déconcertantes…

Centre pénitentiaire de Mauzac (Dordogne), camp Nord, années 1950.

Centre pénitentiaire de Mauzac (camp Nord) avec, en fond,
le château de la Rue (1950).
Coll. Michel d’Abbadie d’Arrast.

Ci-dessous le texte de la lettre du sous-préfet
de Bergerac adressée
au préfet, datée du
5 janvier 1953 :

« M. le Directeur du Centre Pénitentiaire de MAUZAC a appelé votre attention sur la possibilité dans un avenir prochain d’une rébellion dans l’Etablissement qu’il dirige.
En effet, des informations recueillies par ce fonctionnaire, il ressortait que les détenus du Camp Nord paraissaient disposés à tenter un coup de force à l’issue d’une des séances de cinéma qui sont données le dimanche,
le moment étant particulièrement propice à une manifestation puisque tous les détenus du camp Nord sont réunis.

A la suite de la conférence tenus dans votre Cabinet le 2 Janvier 1953, vous avez bien voulu mettre à ma disposition le personnel de Police nécessaire à exécuter une opération de police dont le double but serait :

– rechercher si les détenus du centre Pénitentiaire de Mauzac disposaient de moyens d’action.
– créer un choc psychologique susceptible de démontrer aux relégués que toute velléité de rébellion de leur part serait immédiatement réprimée.

C’est ainsi que le 4 Janvier 1953, à 8 heures du matin, accompagné de
MM. le Procureur de la République de Bergerac,
le Juge d’Instruction,
le Commissaire Divisionnaire FAURE, de la Police Judiciaire,
le Commissaire NOCQUET,
le Capitaine de Gendarmerie de Bergerac,
le Commandant LAMARQUE, commandant la Compagnie Républicaine de Sécurité, stationnée à Bergerac,
le Lieutenant SOUQUET, commandant l’Escadron de la garde Républicaine,
le Commissaire LACHAUD, des Renseignements Généraux,
des Inspecteurs de la Police Judiciaire et des Renseignements Généraux,
je me suis présenté au centre Pénitentiaire de MAUZAC avec un peloton de Gardes, 2 Sections de la Compagnie Républicaine de Sécurité et des gendarmes.
M. MARTIN, Directeur Régional de l’Administration Pénitentiaire était présent.

[…] Chaque baraquement a été évacué, ses occupants étant conduits dans le réfectoire pendant que les Inspecteurs de Police et les éléments de la C.R.S. procédaient à la fouille du local.
L’effet de surprise a été complet et les résultats non négligeables. Cette perquisition a permis de récupérer les objets les plus divers dont certains révèlent les intentions belliqueuses de quelques-uns des détenus.

Résultat de la fouille du 4 janvier 1953 au centre pénitentiaire de Mauzac (Dordogne)

C’est ainsi qu’on a pu notamment dénombrer :

– un lot très important de bouteilles vides dont certaines étaient cachées dans le plafond des baraquements
– une matraque (écrou en fer de forte dimension avec manche en bois)
– des barres de fer
– des stylets
– plusieurs poiçons effilés
– des ciseaux
– des couteaux de toutes les dimensions
– des rasoirs mécaniques
– un rasoir sabre, caché dans le plafond
– des bâtons pourvus de pointes aux extrémités
– une baladeuse électrique
– divers outils de menuisiers (scies, limes, ciseaux à bois, tire-points)

Enfin, les barquements visités ont été débarrassés d’une quantité considérable d’objets divers (casiers, caisses, tabourets, chaises). D’autre part, huit détenus considérés comme des meneurs ont été transférés immédiatement à ANGOULÊME.

[…] Il apparaît que cette inspection était nécessaire. […] Il me paraît indispensable de procéder de temps en temps à des visites inopinées des baraquements. Cette méthode permettrait, j’en suis persuadé, de rassurer le personnel de surveillance, et d’influencer la population pénale qui a une tendance très marquée à narguer l’administration et à insulter, à injurier et à menacer ses représentants.

[…] Les campagnes de presse sur le régime des prisons, que les détenus n’ignorent pas, rendront à brève échéance la situation intenable dans un établissement comme le Camp de Mauzac.

Les relégués sont des êtres humains, mais ils vivent en marge de la Société, ce sont eux qui se sont exclus ; leur casier judiciaire est une référence, et tant qu’on n’aura pas trouvé le régime idéal de détention permettant la réhabilitation miraculeuse systématique et définitive des détenus, nous devrons nous en tenir au régime actuel et veiller à la stricte application de la discipline.

Or, j’ai le regret d’affirmer qu’au Camp de MAUZAC la chose est bien difficile. Je n’ouvrirai pas le chapitre concernant l’installation matérielle de cette Maison Centrale ; il y aurait trop à dire.

Mais je conçois les appréhensions de M. le Directeur, car la précarité des installations (les locaux disciplinaires sont en bois et ne permettent pas d’isoler les punis) rend toute sanction inopérante et illusoire. Les transfèrements eux-mêmes sont considérés la plupart du temps comme un évènement heureux par les détenus.

Certes, je ne veux pas laisser supposer que je suis partisan de l’application d’un régime de terreur dans les prisons, mais l’expérience que j’ai faite depuis mon installation à Bergerac m’amène à conclure que tant que nous n’aurons pas les moyens de sévir contre les fortes têtes, nous risquons des incidents graves, et il serait regrettable que, pour les éviter, l’administration se trouve un jour dans l’obligation de traiter avec des interlocuteurs dont la lâcheté est la principale des qualités.

Le Sous-Préfet.»

Source : Archives départementales de la Dordogne, 1141 W 239.

Pour en savoir plus sur la relégation : suivre ce lien…

Pour en savoir plus sur les fouilles telles qu’elles se pratiquent aujourd’hui : suivre ce lien…

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