24 heures de la vie d’un détenu politique à la prison militaire de Mauzac…

Portrait de Max Moulinier dessiné par Louis Béthous, 26 janvier 1944, prison militaire de Mauzac

Interné à partir du 11 août 1942
à la prison militaire de Paris repliée à Mauzac pour « menées communistes », Max Moulinier conservait de sa détention à Mauzac en Dordogne un souvenir très précis. En 2001, au cours de l’un des nombreux entretiens qu’il m’avait accordés, il accepta de faire le récit de la journée type d’un prisonnier, du lever au coucher.
Le 6 octobre 2001, il n’était pas peu fier de remettre son exercice de mémoire : un cahier d’écolier contenant le récit de sa détention, manuscrit, texte que j’ai le plaisir de retranscrire ci-dessous…

Portrait de Max Moulinier dessiné par Louis Bétous,
le 26 janvier 1944. Ci-dessous, extrait de son cahier
.

Cahier de Max Moulinier faisant le récit de sa détention à la prison militaire de Mauzac.

La nuit

Cette nuit a été pénible. J’ai à peine dormi. J’ai pensé à ma famille et surtout à mes enfants. Les lits manquent de confort. Ils sont en fer. Il y a du feuillard métallique qui sert de sommier. Une paillasse repose dessus, la paille qui se trouve à l’intérieur s’est tassée et brisée en menus morceaux. Il fait froid et l’air est humide. Les couvertures ne suffisent pas. Nous mettons tous nos effets par-dessus. L’air est irrespirable. Il faut ouvrir les fenêtres, ce qui n’est pas du goût des frileux.
Nous avons faim. C’est terrible.

6 heures

Le clairon sonne le réveil. Mauzac est un camp-prison de l’armée. Tout marche au son du clairon. Les gars se lèvent, font leur toilette et rangent le couchage en carré au pied du lit. La porte s’ouvre. Des volontaires vont chercher le jus (l’eau qui a servi à cuire les légumes de la veille). Ce liquide n’est même pas chaud.

7 heures

Envoi des couleurs pour le personnel de la détention. Les patriotes (les vrais) sont en prison. Ils ne sont pas invités et ne peuvent qu’entendre. Pour les écervelés, c’est une formalité.

7 h.30

Les gaffes (matons ou gardiens) sont devant la guichetterie. L’adjudant Piacentini donne les ordres pour la journée.

Dortoir des politiques à la prison militaire de Mauzac, hiver 1942-1943.

8 heures

Les détenus sortent des divisions et s’alignent en rangs devant le bâtiment. Dans le froid et la boue ils attendent le bon vouloir du gardien de service. Les gaffes sont pour la majorité Alsaciens ou Corses. Le reste est issu des formations dissoutes, des sous-officiers.
Les cruels ne manquent pas. Alors si le gardien est vache, lorsqu’il gueule « Garde à vous ! » et que l’on n’entende pas le bruit des talons des sabots, il râle et fait refaire. Il se fait engueuler par l’adjudant et nous, ça nous amuse…
Et il ne faut pas oublier d’écrire aux être chers. Les détenus sont de provenances diverses : les droit commun, les souteneurs, les gitans, les insoumis, les mutins, les gaullistes, les communistes, les anarchistes. Les communistes sont isolés dans leurs divisions. Ils ne travaillent pas. Il ne faut pas qu’ils contaminent les autres. Les équipes se forment et vont au travail. Une équipe sort pour faire du bois. Une autre travaille à la blanchisserie. Certains raclent l’herbe du camp. Les souteneurs travaillent à la cuisine. Ils ne crèvent pas de faim. La forge est tenue par un insoumis, armurier de métier ; le magasin par un gaulliste.

Prisonnier de Mauzac occupé à écrire à ses proches. Dessin de Max Moulinier.
Donc, les communistes prennent l’air en se promenant entre les divisions, ou s’il pleut
(il n’y a pas de préau), ils en profitent pour s’instruire. Il y a tout ce qu’il faut au camp, depuis les étudiants de diverses facultés, des instituteurs, des professeurs de français, de math, etc, des ingénieurs, des musiciens, des écrivains, des artistes peintres et même un polytechnicien, des historiens…
Le dimanche, des conférences sont autorisées dans le réfectoire.
Puis il y a des jeux de cartes, concours de belote et divers, jeux de dames, jeux d’échecs… exposition de dessins. Il y a aussi un excellent médecin et un infirmier de métier. Le médecin fait partie du personnel et l’infirmier est un détenu marseillais très dévoué. Les soins des cheveux et de la barbe sont confiés à un coiffeur détenu lui aussi. Le tarif minimum est d’une cigarette. Périodiquement il faut désinfecter les dortoirs. Pour cela, c’est une équipe spéciale qui peint les murs et plafonds avec de la chaux projetée par une sulfateuse. Inutile de dire qu’il faut nettoyer le parquet immédiatement après.

Dessin de Max Moulinier, prisonnier politique à la prison militaire de Mauzac.

11 heures

Le clairon sonne la soupe. Les détenus se mettent en file indienne pour passer devant le guichet par lequel arrivent les gamelles de soupe et la ration de pain pour la journée. Chacun va s’installer à une table et absorbe le contenu de la gamelle : topinambours et choux cavalier.
Menu spécial lorsqu’il y a la visite du Général :
pattes à l’eau ou pommes de terre en purée. Dès le repas fini il faut regagner le devant de porte pour l’appel.

12 heures

Fermeture des portes après l’appel.
Les détenus s’occupent alors de façon diverses…

14 heures

Les portes s’ouvrent à nouveau. On sort prendre l’air ou s’il pleut on reste dans la chambre.
Vaguemestre et distribution des colis. La distribution des colis s’effectue devant un gardien qui intervient s’il y a lieu. Il y en a qui par vacherie sabotent les denrées. Ils trempent un couteau dans la moutarde et coupent les cigarettes en morceaux, etc…
Les lettres sont passées au crible. Elles sont décachetées et lues. Visites des familles. Les visites se font au parloir. Un gardien se promène entre deux parois grillagées distantes entre elles d’un bon mètre. S’il y a plusieurs visiteurs, cela produit une cacophonie insupportable. Les droit commun ne sont pas à la fête. Ils se font voler leurs colis par des plus costauds qu’eux. Hélas, les gaffes n’interviennent pas. « La raison du plus fort est toujours la meilleure ».

Chahut dans un dortoir de la prison militaire de Mauzac. Dessin de Max Moulinier.

17 heures

Les équipes sont rentrées. Même comédie au réfectoire : gamelle sans pain. D’ailleurs, le boulanger livre le pain imbibé d’eau, il pèse plus lourd. Chacun reprend sa cuillère et regagne l’emplacement de l’appel. Les détenus répondent présent à l’annonce de leur nom. Puis les portes se referment jusqu’au matin. L’électricité est coupée. L’été on y voit tard. L’hiver il fait nuit de bonne heure. Mais il y a tant d’éclairage à l’extérieur qu’il fait clair dans les dortoirs.
Alors commence le spectacle. Des camarades ont le cafard. Ils ont tendance à être très tristes et même à pleurer. Il faut absolument leur remonter le moral. Les conteurs se mettent en action. Ils ont des centaines d’histoires drôles. Pour finir la soirée, les chants patriotiques et révolutionnaires succèdent aux chants à la mode. Les gardiens extérieurs finissent par les siffler en faisant leur ronde. Puis c’est le silence.
Un gardien de service passe toutes les heures vérifier si tout se passe bien. Il pointe aux mouchards (appareils de contrôle).

Le récit de « 24 heures de la vie d’un détenu politique à la prison militaire de Mauzac » s’arrête là, avec l’extinction des feux. Ensuite, dans ce même cahier, Max évoque quelques-uns des temps forts de la détention : la visite périodique du Général, le ravitaillement, les punitions, les perquisitions, les arrivées et les transferts et enfin les emplois spéciaux…
Cette partie du récit fera l’objet d’un prochain article…

Les textes, dessins et aquarelles (coll. Josie-Claire Gambararo) sont de Max Moulinier.

Sur ce même blog, cf 1er mai 1944 à la prison militaire de Mauzac

2 Commentaires de l'article “24 heures de la vie d’un détenu politique à la prison militaire de Mauzac…”

  1. Jean dit :

    Les jeux de cartes comme la belote et les échecs sont encore aujourd’hui un des seuls lots de consolation des détenus…

  2. Guy Moulinier dit :

    Je vous remercie pour cet envoi. Beaucoup d’émotions en reconnaissant l’écriture de mon père. En ces temps-là, la vie carcérale était rude. La séparation de mes frère et soeur devait peser…
    Mais je pense qu’aujourd’hui encore, la vie en prison doit être une épreuve, pour le détenu lui-même, sa famille obligée de mendier les séances de parloir…..
    Bien à vous.

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