La prison militaire de Paris repliée au Camp de Gurs (juin 1940 – janvier 1941)

Le 21 juin 1940, au terme d’un exode éprouvant d’une dizaine de jours, 1020 des 1865 détenus de la prison militaire de Paris (issus du Cherche-Midi et de la Santé) parviennent au camp de Gurs. La plupart sont en attente de jugement devant les tribunaux militaires de Paris. Déserteurs, insoumis, militaires détenus pour motifs de droit commun et  politiques vont occuper pendant quelques mois les îlots B et D du camp de Gurs.

Vue générale du Camp de Gurs. Collection Amicale du Camp de Gurs.

Vue générale du camp de Gurs, 1939. © Coll. Amicale du camp de Gurs.

Le Camp de Gurs : origine et fonctionnement

Édifié au printemps 1939, le camp de Gurs est d’abord qualifié de centre d’accueil des réfugiés espagnols. Le site est immense. Il couvre 80 hectares avec un périmètre de 4,5 kilomètres environ. Il présente la forme d’un rectangle de 1800 mètres de long sur 450 mètres de large, ceint d’une double rangée de barbelés entourant 382 baraques en bois de type Adrian. Chaque baraque, d’une capacité maximale de 60 détenus, mesure 24 mètres de long par 6 mètres de large et 2,50 mètres de haut. Les baraquements sont répartis en treize îlots dont chacun porte l’une des treize premières lettres de l’alphabet. La prison militaire de Paris occupe les îlots B et D. L’îlot B compte une vingtaine de baraques et héberge les détenus dits « préventionnaires ». Quant à l’îlot D, il ne comporte que deux baraques (19 et 20) entourées de barbelés. C’est un camp dans le camp : l’îlot des suspects. Il reçoit la dénomination officielle de « centre de séjour surveillé ».

Les prisons militaires de Paris et de Bordeaux repliées à Gurs

Le 10 juillet, le capitaine Kersaudy signale la présence de 1 139 détenus internés au camp de Gurs : 1 010 sont rattachés à la prison militaire de Paris et 129 dépendent de la prison militaire de Bordeaux. Kersaudy, commandant des prisons militaires de Paris et de Bordeaux repliées, précise qu’il y a lieu de hâter l’instruction des prévenus car il a « remarqué un énervement parmi les inculpés […] Je ne puis sévir contre les fauteurs de trouble, n’ayant pas de locaux disciplinaires pour les corriger. Beaucoup de détenus sont d’opinions subversives et sèment le mauvais exemple autour d’eux. Le départ du camp de Gurs est à mon avis urgent et l’internement de ces mauvais sujets dans un endroit plus approprié s’impose ».

Léon Bérody, politique interné au Camp de Gurs en juin 140. Collection Amicale du Camp de Gurs.

Léon Bérody, détenu politique à Gurs en 1940. Communiste et membre de la CGTU avant Guerre,
co-fondateur et président de l’Amicale du camp de Gurs, de 1979 jusqu’à sa mort, en 1999.

© Dessin René Kunz. Coll. Amicale du camp de Gurs.

Repli vers la prison militaire de Mauzac, en Dordogne

À partir du 2 septembre 1940, des groupes de prévenus quittent régulièrement Gurs pour Périgueux, lieu de repli des tribunaux militaires de Paris, afin d’y être jugés. Ils transitent d’abord par la maison d’arrêt de Périgueux où un quartier pour détenus militaires leur est réservé, puis par la prison militaire provisoire de la Perlerie. Il devient dès lors urgent de créer en Dordogne, une prison militaire destinée à recevoir tous les prisonniers justiciables devant le tribunal militaire de Périgueux.

Le 17 octobre 1940, à la suite d’une visite d’inspection du camp de Gurs, le rapporteur précise : « Il y aurait le plus grand intérêt […] à débarrasser le plus vite possible le camp des 545 prévenus ou détenus français et étrangers de la Prison Militaire de Paris qui y ont été transférés il y a plusieurs mois et qui doivent être traduits devant le Tribunal Militaire de Périgueux. [Ils] constituent les plus mauvais éléments du Camp ». À propos du transfert de ces 545 détenus, le compte-rendu d’inspection ajoute : « La 12e Région ferait des difficultés pour les recevoir, en alléguant qu’elle n’a pas de locaux disponibles. Cependant, la séparation de ces hommes qui relèvent de la Justice militaire et des étrangers qui relèvent du département de l’Intérieur s’impose ». Dans le même temps, le préfet des Basses-Pyrénées Émile Ducommun réclame, dans un courrier adressé au général commandant la subdivision des Basses-Pyrénées, le transfert immédiat des indésirables sur un autre centre, « l’arrivée de plus de 4.000 Allemands au camp de Gurs étant imminente ».

C’est la prison militaire de Mauzac (arrondissement de Bergerac, commune de Lalinde), officiellement créée le 1er novembre 1940, qui servira de centre d’internement pour les centaines de militaires et politiques jugés par les tribunaux militaires, jusqu’à sa dissolution, le 2 mai 1945.

Liste nominative des détenus de la prison militaire de Paris repliée au Camp de Gurs, îlot B, baraque 15.

Liste des détenus de la baraque n° 15, îlot B du camp de Gurs.
Apparaissent les noms de Léon Bérody, René Kunz, Henri Martin et Yves Péron, parmi les plus connus.

© Source SHD-DAT, Vincennes, sous-série 13 J.

12 Commentaires de l'article “La prison militaire de Paris repliée au Camp de Gurs (juin 1940 – janvier 1941)”

  1. Séverine Harder dit :

    Ma grand-mère aurait été détenue au camp de Gurs, baraque 17, dans les années 40. J’ai retrouvé un dessin. Où pourrais-je trouver une liste des détenus et la raison pour laquelle elle l’a été ? Merci

  2. Jacky Tronel dit :

    Connaissez-vous le livre de Claude Laharie : « Le Camp de Gurs, 1939-1945, un aspect méconnu de l’histoire de Vichy » ? À lire absolument… Pour mémoire, le camp de Gurs comptait 382 baraques réparties en treize îlots. Votre grand-mère était dans la baraque 17 de quel îlot ? A, B, C… ? Faisait-elle partie des femmes « indésirables » allemandes, autrichiennes, tchécoslovaques, dantzigoises, polonaises, yougoslaves, bulgares… internées à partir du 21 mai 1940 ? Si oui, les traces seront difficiles à retrouver car les archives du camp ont été volontairement brûlées le 24 juin 1940, la veille de la visite d’une commission d’inspection allemande. Je vous suggère de vous adresser aux Archives départementales des Pyrénées Atlantiques pour lancer une recherche… et/ou contacter l’Amicale du Camp de Gurs. Pourriez-vous me montrer le dessin auquel vous faites allusion ? Amicalement, JT

  3. Louis POULHES dit :

    Mon père a été l’un des indésirables français (politique) transféré de la prison de la Santé à Gurs. Je note que la photo ci-dessus fournit la liste des détenus de la baraque 15. Existe-t-il des listes semblables pour les autres baraques ? Pourriez-vous donner des précisions sur cette sous-série 13 J du SHD ?
    Bien cordialement, et bravo pour ce travail de recherche que vous effectuez et mettez à disposition du public.
    Louis POULHES

  4. Jacky Tronel dit :

    Il existe des listes de détenus pour chacune des 19 baraques de l’îlot B du camp de Gurs. On relève le nom de POULHES Louis sur la liste des « Détenus civils » de la baraque n° 3, parmi 63 autres noms de prisonniers.

    http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/wp-content/uploads/2011/01/louis-poulhes-gurs-1940.gif

    Source : cote 13 J 1566 du Service historique de la Défense, département de l’armée de terre, consultable au Fort de l’Est, à Vincennes.
    Possédez-vous des archives personnelles sur cette période et sur cet internement de votre père à La Santé puis à Gurs ? Où votre père a-t-il ensuite été interné ?…
    À vous lire, JT

  5. séverine Harder dit :

    Désolée pour cette absence, mais j’ai pris d’autres informations. Ma grand-mère Erna Lentes est arrivée en Lorraine enfant, de père allemand et de mère française et se serait retrouvée chef de baraquement. Sur le dessin dont je vous ai parlé figure un nom : Horn Rose. Je tâcherai de vous le faire parvenir.

  6. Jacky Tronel dit :

    Je vous remercie pour ce message relatif à votre grand-mère Erna Lentes et à son passage au camp de Gurs en tant que chef de baraquement. Le dessin dont vous parlez aurait-il été réalisé par l’internée Horn Rose et remis à votre grand-mère en échange d’un service ?
    Cela était assez courant : sortie d’un courrier, monnaie d’échange contre des cigarettes…
    Merci à l’avance de me faire parvenir une copie de ce dessin. Je pourrais alors, avec votre permission, faire un appel à témoignages, ainsi que je l’ai fait pour un autre dessin (voir ce lien : Recherche sur le camp de rassemblement des étrangers de La Braconne). Très cordialement, JT

    Très cordialement,

  7. nadianne dit :

    Mon grand-père Stanislas OBODA, fut Brigadiste en Espagne dans la brigade Dombrowski. En avril 1939, il fut détenu à Saint Cyprien, puis à Gurs jusque vers la fin de l’année 1940. Il s’évada (je ne sais comment) pour rejoindre la Résistance MOI de Paris en mai 1941. Arrêté en février 1942, il sera fusillé comme otage au Mont Valérien, le 21 septembre 1942. J’ai écrit un texte sur lui sur mon blog : voir « devoir de mémoire ». Tous les documents qui peuvent m’en apprendre davantage sur la vie dans le camps et sur les relations entre les prisonniers comblent mes lacunes. J’ai lu Laharie, vu le film de Irène Ténèze “ Un 14 juillet 1939 ”. Me manquent les faits et gestes de la vie quotidienne. Comment s’organisaient-ils ? Il parait qu’il y avait des réunions politiques. Comment s’informaient-ils de l’état du monde extérieur ?…
    Mais je cherche… toujours.

  8. Jacky Tronel dit :

    En réponse, voici deux sources bibliographiques qui devraient vous éclairer dans vos recherches :
    1Le camp de Gurs, 1939-1945, un ensemble de témoignages, dont celui d’Hanna Schramm, de Martine Cheniaux assistée de Joseph Miqueu, Cercle historique de l’Arribère, Navarrenx, 2009.
    2
    Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), de Thomas Fontaine, Tallandier, 2005.
    À la page 34 de ce livre, vous trouverez le fac-similé de la liste des 46 otages du 21 septembre 1942, « Liste des Sühnepersonen… » sur laquelle figure le nom de votre grand-père, Stanislas OBODA, numéro 51… Vous trouverez la description détaillée des conditions dans lesquelles les otages ont été désignés puis fusillés. L’un des co-détenus du Fort de Romainville, présent lors de l’appel des 42 otages, Serge Choumoff, ancien résistant déporté à Mauthausen, vit aujourd’hui à Paris.
    Félicitations pour votre blog, bien documenté et digne d’intérêt. Pourquoi ne pas faire du parcours de votre grand-père dans les camps français, jusqu’à son exécution comme otage au Mont Valérien, l’objet d’un article sur mon blog ?… Cordialement, JT

  9. nadianne dit :

    C’est fort aimable à vous. Votre proposition de collaboration à votre blog me tente, mais pour le moment, j’ai trop peu d’éléments en ma connaissance… Je garde néanmoins cela dans un petit coin de ma mémoire.
    Je ne connaissais pas ce site sur le camps de Gurs, c’est une mine d’info !
    J’avais lu un article de M. Choumoff, ce qui m’a amené à aller consulter moi-même les documents conservés par le CDJC, j’ai donc obtenu la liste dont il parle et d’autres documents en allemand, que je dois faire traduire par une amie. il y a aussi l’excellent livre des otages de Serge Klarsfeld. Néanmoins j’ai commandé tout à l’heure le livre des oubliés de Romainville. Être au plus proche de la réalité des faits est mon souci premier.
    Merci encore pour ces précisions.

  10. Nadia Decemonc dit :

    Merci pour votre site dans lequel j’ai puisé des informations importantes qui pourraient correspondre au parcours de mon grand-père Marius Ruch au sujet duquel je fais des recherches. Arrêté le 18 avril 1940 avec 73 autres communistes de la région parisienne il a été interné à la Santé et a été évacué sur Gurs. Pour la suite j’ai 3 documents qui me semblaient incompréhensibles notamment l’un du centre de démobilisation de Périgueux, peut-être ai-je un début de réponse grâce à votre site. Puis-je vous demander vers quels sites d’archives je pourrai me tourner pour poursuivre mes investigations ?
    Encore merci pour tous ces documents que vous mettez en ligne, cordialement, Nadia.

  11. Jacky Tronel dit :

    RUCH Marius apparaît effectivement sous le n° 3020, sur le registre d’écrou des « passagers » détenus à la prison de la Santé (annexe de la prison militaire de Paris) pour « infraction aux décrets des 1er et 26/9/1939 » (activités communistes).
    On le retrouve au camp de Gurs, fin juin 1940, affecté à la baraque 1 de la « Prison militaire de Paris repliée au camp de Gurs ». Vous pouvez apercevoir son nom en cliquant sur le lien qui suit : http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/wp-content/uploads/2010/03/gurs_prison_militaire_baraque_1_juin_1940.jpg
    Pour aller plus loin, vous auriez intérêt à consulter le registre d’écrou de la Santé conservé au Service historique de la Défense, département de l’Armée de terre (Vincennes) sous la cote 13 J 1164. En 13 J 1566, vous pourrez retrouver une liste des prisonniers détenus à Gurs sur laquelle il figure… Le dépôt central des Archives de la Justice militaire (Le Blanc) est susceptible d’avoir conservé son dossier de procédure judiciaire.
    Il est probable qu’il ait été jugé à Périgueux, en Dordogne, car c’est là que les tribunaux militaires de Paris avaient été repliés.
    JT

  12. Nadia Decemond dit :

    Je vous adresse un très très grand merci pour les infos et pistes que vous me donnez. Mon déplacement à Vincennes n’en sera que plus complet qu’initialement prévu. Désolée de ne pas vous avoir remercié plus tôt, quelques petits soucis m’ont tenue loin de mon ordinateur… Encore merci pour votre blog, cordialement, Nadia.

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