Scènes de vie à la prison militaire de Paris repliée à Mauzac…
Par Jacky Tronel | dimanche 10 octobre 2010 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | 1 CommentaireFaisant suite au récit de la journée type d’un prisonnier politique à la prison militaire de Mauzac (Dordogne), [lien] les mémoires du détenu bergeracois Max Moulinier évoquent quelques-uns des moments forts de la vie pénitentiaire : la visite du général, le ravitaillement, les punitions, les perquisitions, les arrivées et les transferts, les emplois spéciaux.
Ces tranches de vie, dépeintes de l’intérieur, apportent un éclairage intéressant sur l’univers pénitentiaire d’une prison militaire située, jusqu’au mois de novembre 1942, en zone libre. Il s’agit de « la prison militaire de Paris repliée à Mauzac ». Créée le 1er novembre 1940, cette prison a fonctionné sous commandement militaire jusqu’au 2 mai 1945, avant de passer sous contrôle du ministère de la Justice.
Visite du Général
La veille, c’est le branle-bas de combat. On lave à grandes eaux le parquet. Les vitres sont nettoyées. Le parquet sec, je trace des lignes droites pour aligner les lits. On vérifie si les treillis sont propres.
Le jour J, à l’heure H, le Général fait sans doute la grasse matinée… Il se pointe vers 11 heures ! Tôt le matin, on ramasse les gamelles et on en donne de toutes neuves. On ramasse les sacs à viande et on nous donne deux petits draps flambant neufs. Le Général ne visitera qu’une partie du camp. Au réfectoire, nous aurons droit à une demi-gamelle de pattes à l’eau. Je ne sais s’il en a goûtées. Il aura certainement mieux mangé.
Enfin il part, finies les bassesses de la direction du camp, finis les « garde-à-vous ! » et les « repos ». Nous sommes à nouveau dans nos dortoirs. Alors, qui l’eût cru : les gamelles neuves sont reprises, les beaux draps blancs suivent le même chemin. Si encore on nous restituait nos anciennes gamelles malgré tout bien propres. Non, on nous refile des saloperies toutes sales, qu’il faut nettoyer avec le sable des cours.
Voilà la visite du Général : néant ! Nous sommes plus malheureux qu’avant.
Dessin de Michel Danner avec cette double légende : « Transformations Mauzac » illustrant « le châtiment de la boule à zéro », et « l’heure de la soupe », 1944. Coll. Bernard Lefèvre..
Le ravitaillement
Pas compliqué : un fournisseur de Creysse porte régulièrement des légumes : topinambours et choux cavalier. De pauvres hères tentent de s’approcher de la voiture pour prendre des déchets de nourriture. Ils se battent entre eux. Aussi la livraison s’opère d’ordinaire quand tout le monde est enfermé.
Le chauffeur du camion est communiste et nous porte des nouvelles fraîches… lorsqu’on peut le joindre. À la « soudure », lorsque les légumes commencent à manquer, nous crevons littéralement de faim. Il y a toute une division pleine de gars allongés sur les lits, pas suite de la sous-alimentation.
« Cuisinier » à Mauzac, aquarelle de Max Moulinier, 1943.
Les punitions
Il y a le « mitard » avec une gamelle tous les quatre jours et l’obligation de répondre « présent », jour et nuit, au gardien qui passe toutes les heures.
Les détenus qui ne se plient pas au règlement doivent se mettre à genoux et subissent « le châtiment de la boule à zéro ». Ils sont ainsi facilement reconnaissables.
Il y a aussi la privation de cantine, de parloir et de courrier.
Les perquisitions
De temps en temps, les maîtres des lieux ont peur. Ils font alors sortir tout le monde des chambres. À plusieurs gardiens, ils procèdent à une fouille en règle. Les affaires personnelles qui sont sur l’étagère au-dessus du lit sont visitées et éparpillées : un vrai champ de bataille. Il y en a partout ! Ils cherchent des armes et des publications interdites (des journaux entre autres).
Il me semble pourtant difficile de cacher un P.M. dans une gamelle ou dans un paquet de cigarettes. Ils sont toujours bredouilles… mais c’est le règlement.
Les arrivées et transferts
C’est un divertissement comme un autre. Il n’est pas possible que de tels événements échappent aux détenus. De temps en temps, des convois de détenus encadrés par les gendarmes arrivent au camp. Mauzac sert de centrale, alors ça vient de partout… enchaînés trois par trois, menottes aux poignets et chaînes aux chevilles.
On regarde si on reconnaît quelqu’un (de loin évidemment). Puis les arrivants sont dirigés vers le réfectoire. Là, tout le monde doit se mettre à poil, chacun à sa table. Il faut s’accroupir. Il faut tousser afin d’évacuer ce qui pourrait être caché dans le rectum. La fouille continue. Rien ne doit échapper à la visite. Pas d’affaires personnelles, pas de couteaux, de montres, etc. Les vêtements civils sont ramassés et transportés au magasin.
De là sortent les vêtements de luxe, avec l’estampille « PMM » (« Prison Militaire de Mauzac ») dans le dos des vestes et capotes. On touche deux tenues, des treillis de travail, une tenue dite « de sortie », une capote, un calot, une chemise, un caleçon, des sabots, etc… et s’ils sont trop longs, une coupe de cheveux. Et de là, direction les divisions.
Emplois spéciaux
Je suis peintre, alors souvent demandé. Accompagné d’un collègue, il nous arrive de sortir du camp pour travailler à l’extérieur. Nous sommes solidement encadrés. Cette sortie nous permet de récupérer quelques gâteries et du tabac en vrac que nous coupons en lamelles après un bain de tisane.
Avec Georges Bard, nous osons décorer les murs du réfectoire avec des scènes représentant les hommes des cavernes, des chasses de l’époque. Nous décorons aussi la chapelle au fond du réfectoire. De là nous allons au mess des gardiens. Puis ces travaux terminés, nous nous faisons embaucher à l’atelier de reliure.
Vers la fin de l’année 1943, début 1944, un entrepreneur de paille à chapeaux est arrivé au camp avec tout son matériel : chevalet, couteaux et bottes de paille de seigle. Nous repérons ce qui peut nous être utile : les épis de grains. Nous les attrapons à pleines mains et nous secouons la botte. Cela provoque un gâchis de paille mais ça nous donne du grain qui, écrasé, produit de la farine. Mélangée avec des fruits secs, nous confectionnons des gâteaux bourratifs pompeusement nommés « puddings » . Il faut couper la paille à chaque nœud et la stocker dans une boîte sur le chevalet. Les Gitans en font de le tresse à chapeau et la mettent en rouleaux. Pas intéressant : les grains oui, la tresse non. Il y a tellement de gaspillage que l’entrepreneur rembarque tout son matériel. D’où furie de la direction du camp. Réunion devant l’atelier. Interrogatoire de l’adjudant. Refus total de faire ce genre de travail…
Le cahier des mémoires de Max Moulinier se conclut ainsi : « Je suis malade. Je suis évacué sur l’hôpital de Bergerac ». Ce séjour se terminera par une évasion réussie, le 11 juin 1944, évasion à laquelle participera Yves Péron, futur député communiste de la Dordogne. Mais il s’agit là d’une autre histoire… que nous développerons à l’occasion d’un prochain article.
Je reconnais bien les propos de mon père. Et son écriture