« Situation des travailleurs indo-chinois de Bergerac »
Par Jacky Tronel | samedi 3 janvier 2015 | Catégorie : Dernières parutions, VARIA | Pas de commentaireLe Peuple de la Dordogne est le « Journal de l’Union des Syndicats Confédérés de la Dordogne – Organe de Défense Syndicaliste et Sociale ». Il arbore le logo de la CGT (Confédération Générale du Travail). Dans son édition du 1er avril 1945, le journal prend la défense des Indochinois travaillant à la Poudrerie de Bergerac, dénonçant les conditions de vie de ces travailleurs dépendant du Service de la Main d’Oeuvre Indigène (M.O.I.)
Le Peuple de la Dordogne du 1er avril 1945
« Une fois de plus, nous portons à la connaissance du public, l’état lamentable dans lequel vivent nos camarades indo-chinois. N’ont-ils pas assez souffert depuis cinq ans, ne recevant aucune nouvelle de leur famille, vivant sans joie, travaillant sans entrain, oui, n’ont-ils pas assez souffert ?
Il est grand temps que l’autorité publique se penche un peu sur eux, non pas pour les terroriser comme on a voulu le faire, mais pour soulager un peu leur misère. Il est grand temps que la France reconquière l’amour de ses fils qui, bien délaissés, sont toujours restés et resteront fidèles à la France.
Voici à titre de curiosité pour le public, un bref aperçu de leur situation :
Habillement. – Dans un tel état qu’il serait superflu de le retracer ici encore pour la population bergeracoise.
Logement et couchage. – Salle basse ; manque d’air surtout pour ceux de nos camarades qui travaillent dans les fermes de la région de Monbazillac. Le matériel de couchage (couverture, paillasse) n’est pas renouvelé depuis 1940. Il n’existe pas de douches dans le camp.
Alimentation. – S’améliore depuis quelques temps, du fait qu’il y a moins de perte (à titre de renseignement : au début de 1943, 50 tonnes de pommes de terre environ pourrissaient dans les caves du camp, pendant que les hommes crevaient de faim ; chef responsable : M. X…)
Salaire. – Les travailleurs ne percevaient pas leur prêt depuis un mois et demi, pour quelle raison ?
Le Peuple dénonce ici, encore, la malhonnêteté des agents d’encadrement des travailleurs indo-chinois qui vivent en double ration : outre les tickets d’alimentation qu’ils touchent régulièrement à la mairie, les agents en reçoivent encore à l’intendance des denrées alimentaires au nom et au même titre que les Indo-chinois.
Comment voulez-vous après cela que ce peuple amené d’Indo-Chine de force puisse aimer la France ? »
Rapport des RG du 11 septembre 1946
Dans un rapport du 11 septembre 1946 établi par le Commissariat des Renseignements Généraux de la Dordogne, intitulé « Les Indochinois en Dordogne », l’auteur du rapport explique qu’« au début de l’année 1945, les travailleurs indochinois, jusque-là dépendant du Ministère du Travail, sont passés au Ministère des Colonies » […] Cependant, leur organisation reste la même : « l’ensemble de ces ouvriers, logés au Camp de Creysse, constitue les 19e, 49e, 56e et 58e compagnies de travailleurs indochinois, rattachées à la 2e Légion ».
Dans la partie consacrée aux « relations des Indochinois avec l’extérieur », l’auteur du rapport note que « se servant de tous les mouvements politiques français qui leurs sont favorables, [ils] se sont affiliés à la C.G.T. et au parti communiste français qui se croit obligé de soutenir le Viet-nam dont les dirigeants ont été dressés à l’école du communisme chinois »…
Nous reviendrons ultérieurement sur ce volumineux rapport des RG. Il fait 73 pages !
Dépendant du Ministère du Travail, le Service de la Main d’Oeuvre Indigène, Nord-Africaine et Coloniale, en abrégé M.O.I., n’est pas à confondre avec la Main d’Oeuvre Immigrée, organisation communiste créée en 1923, pour encadrer les travailleurs étrangers immigrés en France. Durant la guerre, la Main d’Oeuvre Immigrée constituera l’avant-garde des Francs Tireurs et Partisans (FTP-MOI) (source).
Sources :
Le Peuple de la Dordogne : « Situation des travailleurs indo-chinois cantonnés dans la région de Bergerac » (édition du 1er avril 1945).
« Les Indochinois en Dordogne », rapport du Commissariat des Renseignements Généraux de la Dordogne, du 11 septembre 1946 (cote 1713 W 172/1 des Archives départementales de la Dordogne).
Pour aller plus loin… à lire sur ce blog :
- Présence indochinoise à la poudrerie de Bergerac, de 1918 à 1948 : lien
- « De Saïgon à Marseille, un convoi annamite » – Journal Candide du 13 août 1941 : lien
- La Poudrerie nationale de Bergerac d’une guerre à l’autre : lien
- « Poudrerie : un siècle d’histoire », journal Le Démocrate de Bergerac du 31 décembre 2014 : lien