Juin 1944 : Mouleydier, un Oradour-sur-Glane en Périgord…

L’incendie du village d’Oradour-sur-Glane par une colonne de la division Das Reich, le 10 juin 1944, n’est pas sans rappeler le martyr d’un autre village, situé plus au Sud, en bordure de la rivière Dordogne, en Périgord : le village paisible de Mouleydier. Le 21 juin 1944, au terme d’une lutte acharnée, le village est pillé puis incendié par les hommes de la 11e Panzer Division.

Ruines calcinées du village de Mouleydier (Dordogne), incendié par les Allemands le 21 juin 1944.

Toutes les photos de cet article proviennent des archives du résistant Émile Guet, © Photos Bondier, Bergerac.
Elles ont été publiées dans une monographie réalisée par Yves Fressignac :
« Mouleydier 1944 – De la Résistance à l’an 2000 », Éditions La Lauze, Périgueux, avril 2004.

Il n’est pas question ici d’associer dans un même martyrologe les deux tragédies, celle d’Oradour-sur-Glane, d’une part, celle de mouleydier, d’autre part. Elles ne sont ni comparables, ni opposables. Les auteurs ne sont pas les mêmes (division SS d’un côté, division blindée de la Wehrmacht de l’autre), le nombre de victimes est beaucoup plus important en Haute-Vienne (123 maisons détruites et 642 victimes, fusillées et brûlées) qu’il n’est en Dordogne (175 maisons détruites et 65 morts probables, selon l’estimation de l’historien Jean-Jacques Gillot, en totalisant les morts des combats des 11, 18 et 21 juin, tant à Mouleydier qu’à Saint-Germain et Mons). À Oradour, les victimes sont civiles, tandis qu’à Mouleydier, ce sont des hommes qui meurent au combat ou qui, fait prisonniers, sont exécutés sauvagement. Si les circonstances qui conduisent au drame sont différentes, le ressenti est le même pour les populations endeuillées, spoliées, à qui l’on a tout volé, ravi, brûlé…

Groupe d'habitants posant dans les ruines de leur village, à Mouleydier.

Les causes de la tragédie

L’événement qui est à la genèse de la tragédie de Mouleydier, aussi curieux que cela puisse paraître, c’est le débarquement allié du 6 juin 1944… En Bergeracois, l’annonce du débarquement en Normandie fait naître un incroyable enthousiasme et suscite des vocations parmi la population locale. Par centaines des Périgourdins vont venir grossir les rangs clairsemés des maquis. Les mouvements de Résistance, se sentant pousser des ailes, entreprennent alors des actions spectaculaires, à l’exemple de la libération des prisonniers politiques de la prison militaire de Mauzac, dès le lendemain, le 7 juin.

Dans la région de Mouleydier, sur le territoire de la commune voisine de Saint-Sauveur, on attend le parachutage d’hommes, d’armes et de matériel. Le message de la BBC devant alerter les résistants et les inviter à se tenir prêts en vue des parachutages, tombe le 31 mai 1944 :
« La fée a un joli sourire »… L’homme de contact avec Londres se nomme Philippe de Gunzbourg, alias « Philibert », puis « Edgard ». C’est l’un des responsables du réseau 
« Hilaire »
. Dans le même temps, le commandement allemand ordonne aux Panzers Divisions stationnées dans le Sud-Ouest de remonter vers la Normandie, avec pour mission de stopper la progression des Alliés.

La Résistance en Bergeracois, impatiente d’en découdre et sentant la Victoire à portée de fusils, entreprend par tous les moyens de freiner la remontée des troupes allemandes vers le Nord-Ouest de la France : actions de harcèlement de type guérilla, sabotages des voies ferrées, mise en place de barrages sur les routes…

Ces trois facteurs conjugués : 1. l’accroissement de l’activité de la Résistance après le 6 juin, avec notamment « l’attaque » de la prison de Mauzac, 2. le projet d’aménagement puis de surveillance d’une zone voisine de Mouleydier en vue de parachutages et 3. la remontée vers la Normandie des divisions de la SS stationnées dans le Sud-Ouest, conjuguée à la volonté des Allemands d’écraser la résistance en Sarladais… expliquent pourquoi Mouleydier, foyer de Résistance situé sur l’axe Bergerac-Sarlat, fait l’objet d’une attaque violente suivie d’un pillage en règle puis d’un incendie meurtrier…

Quelques photos et documents, issus du fonds d’archives de l’ancien résistant Émile Guet (groupe Ponton-Martin), témoignent de la tragédie vécue par les habitants du village martyr de Mouleydier.

Rue du village en ruines de Mouleudier, 21 juin 1944. Maison en ruines. Incendie de Mouleydier par les Allemands en juin 44.

Village de Mouleydier, incendié par les Allemands le 21 juin 1944. Rue du village de Mouleydier incendié par les allemands le 21 juin 1944.

Maison incendiée à Mouleydier, juin 1944. Vue générale du village de Mouleydier incendié par les Allemands le 21 juin 1944.

Mouleydier incendié, 21 juin 1944. Des officiels discutent de la reconstruction du village martyr de Mouleydier, incendié en juin 1944.

Prisonniers de guerre allemands, village de Mouleydier, 1945.

Prisonniers de guerre allemands réquisitionnés pour les travaux de déblaiement. © Photo Bondier, coll. J. Tronel.

Mouleydier a fait l’objet de plusieurs attaques, les 11, 18 et 21 juin 1944. Les différents groupes de résistants présents lors de la bataille de Mouleydier sont les suivants : Groupe Soleil, Alexis (Lot), Cerisier (Lalinde), Marsouin (Belvès), Loiseau (Prigonrieux), Bertrand (Eymet), Leduc (Beaumont), Pistolet (Bergerac), ainsi que celui de St-Germin-et-Mons.

Le village a finalement été incendié le 21 juin. Le même jour, le village voisin de Pressignac subissait un sort identique.

Propagande allemande

Tract de propagande publié après l'incendie du village de Mouleydier, le 21 juin 1944. Tract de propagande allemand, Mouleydier juin 1944.

Dès le lendemain, la propagande allemande diffuse le tract ci-dessus dans les rues de Bergerac, coll. J. Tronel.

La presse en parle…

La presse en parle… Mouleydier, 21 juin 1944.

25 Commentaires de l'article “Juin 1944 : Mouleydier, un Oradour-sur-Glane en Périgord…”

  1. Guy Penaud dit :

    Petite erreur dans le texte sur Mouleydier. La 11° Panzer Division n’était pas une unité SS. En outre, en juin 1944 elle n’avait pas reçu pour mission de gagner la Normandie, mais de remplacer le division SS « Das Reich » qui, elle, devait gagner la Normandie.

  2. Jacky Tronel dit :

    Effectivement, les incendiaires de Mouleydier n’étaient pas membres de la SS. Ils faisaient partie d’une division blindée de la Wehrmacht, la 11e Panzer Division, surnommée la Gespensterdivision (« Division fantôme ») dont l’une des colonnes, dirigée par le Major Karl Bode, est à l’origine des événements tragiques du 21 juin 1944 à Mouleydier, Saint-Germain et Mons, Pressignac, Vicq et Grand-Castang.
    À quand une publication sur la 11e Panzer Division… en prolongement de vos deux ouvrages (publiés en 2004 et 2005 aux Éditions La Lauze) sur Les crimes de la division Brehmer et sur La Das Reich ?…

  3. Pierre SALIOU dit :

    Bonjour,
    Le texte d’une rédaction rédigée par un jeune témoin de la destruction de Mouleydier m’a été confié pour insertion dans le magazine en ligne de ce site:
    http://www.39-45.org/index.php
    L’Histomag ici:
    http://www.39-45.org/portailv2/download/download.php
    Pouvez-vous m’autoriser à reprendre certaines photos et documents de votre blog afin de complêter ma documentation.
    Toutes insertions sera bien sûr référencées.
    Cordialement,
    Pierre

  4. Jacky Tronel dit :

    Le récit de ce « jeune témoin de la destruction de Mouleydier » pique ma curiosité !… Concernant votre demande relative aux photos et documents publiés sur mon blog, je vais y répondre sur votre adresse de messagerie…

  5. Pierre SALIOU dit :

    Bonjour,
    J’avais lancé une question sur un forum concernant la 11e Panzer et son appartenance ou non à la SS. J’ai obtenu une précision qui me semble intéressante de garder en mémoire.
    La 11e Panzer appartient à la HEER, donc l’Armée, qui est une des composantes de la WEHRMACHT( Forces Armées), tout comme les divisions SS, la KRIEGMARINE ou la LUFTWAFFE
    Cordialement,
    Pierre

  6. Feyry Monique dit :

    Le 21 juin, les groupes François Premier et Carnot tentent de porter secours à Cerisier (alias Léontine) en se postant en embuscade sur la route de Bergerac (sources « Historique du groupe François Premier » et article de M. Vedrenne).

  7. Jean-Gérard Daulouet dit :

    Monsieur, recherchant des données sur Mouleydier et Pressignac, je suis tombé sur votre blog où j’ai appris beaucoup de choses sur cette année 1944. À cette date je me trouvais à St Félix de Villadeix. J’avais 9 ans. Nous étions réfugiés avec ma mère et nous venions de Bordeaux. Native de Ste Foy de Longas, ma mère avait des cousins à Mouleydier. Elle ma emmenée sur place. J’ai été très impressionné car les charpentes des maisons incendiées brûlaient encore. Dans ces parages (je ne me souviens plus des dates), un jeudi à midi, une colonne allemande a investi le village de St Félix. Ils ont demandé de la nourriture. Le village était envahi de soldats, de voitures et de chars. Nous avons eu très peur. J’ai même été mis en joue par un soldat. Heureusement, les résistants du village qui la veille voulaient faire sauter le pont sur la Louyre avaient abandonné leur projet (conversation que j’ai entendue quelques jours après). Je fais des recherches sur Pressignac (berceau de ma famille maternelle), car je trouve que l’on ne parle pas assez de ce village incendié avec plus de 30 morts. Merci à vous pour votre blog. Jean-Gérard Daulouet

  8. Jacky Tronel dit :

    Connaissez-vous la monographie : « Mouleydier 1944 – De la Résistance à l’an 2000 », Yves Fressignac, Éditions La Lauze, Périgueux, 2004 ? Merci pour votre message, cordialement, JT

  9. Marie-Christine BENECH dit :

    Bonjour,
    Je suis originaire de Lalinde, j’ai 56 ans. Je n’ai donc pas connu tous ces évènements tragiques. Mais j’en ai entendu parler par ma marraine hélas disparue aujourd’hui.
    Quelqu’un parmi vous accepterait-il de me parler de ces tristes évènements?
    Je ne réside plus en métropole et j’ai beaucoup de difficultés à obtenir des infos sur ma région d’origine que j’adore.
    J’ai vu Oradour à l’age de 2 ans, je m’en souviens encore, j’ai fait des cauchemards pendant des années. Mon père était militaire, nous habitions Limoges…
    Y-a-t-il quelqu’un qui pourrait me parler et peut-être m’aider à comprendre cette horreur? Je précise que j’ai vécu en Allemagne, FFA, j’y ai vu des « personnes normales » qui aussi avaient souffert. Je ne comprends pas que des individus puissent faire « ÇA ».
    S’il vous plait, ne me taxez pas d’une quelconque opinion politique, je voudrai seulement savoir ce qui s’est passé…
    Merci d’avance

  10. Jacky Tronel dit :

    Bonjour Marie-Christine,
    La revue d’histoire Arkheia prépare un dossier spécial sur les « villages martyrs » du Sud-Ouest, victimes de « la peste brune »… Cette thématique sera abordée d’ici à quelques mois. Quand ce numéro sera prêt à être publié, j’en ferai un article sur mon blog… Très bonne journée et cordialement, JT.

  11. Marie-Christine BENECH dit :

    Bonjour Jacky,
    Merci pour votre réponse. Je ne connais pas la revue d’histoire Arkheia. Je vous remercie de l’information. Je vais chercher sur internet, car elle n’est pas diffusée ici.
    Puis-je poser une autre question : entre Bergerac et Lalinde, y a-t-il eu d’autres drames? Je crois me souvenir de St Capraise mais mes souvenirs d’enfant…
    Je me souviens d’une prise d’otages à Lalinde : le mari de ma marraine faisait partie des otages, heureusement libérés en fin de journée. Si je « recoupe » bien, c’était à la suite de l’attaque d’un camion de la Wermacht dans lequel se trouvaient des officiers. Est-ce en rapport avec le drame de Mouleydier?
    Comprendre quand j’écris « je me souviens », je ne parle que de souvenirs racontés pas de vécu!
    Bien cordialement.
    MCB

  12. Bonjour, Un ami vient de me donner votre lien. J’habite à Limoges, 20 km d’Oradour sur Glane où mon père comme d’autres habitants de la région ont participé au déblaiement des ruines et à la recherche des habitants morts brûlés, assassinés, dans les ruines. Je ne connaissais pas l’existence de Mouleydier jusqu’à aujourd’hui et j’ai 60 ans. Je vais y revenir pour mieux connaître ce drame. Je gère un petit site pour la mémoire des hommes 1939/1945 et je ferai un album pour faire connaître Mouleydier. Merci à tous de sauvegarder la mémoire de ceux qui sont morts pour que nous respirions un air de liberté. Cordialement. Nadia la Limougeaude

  13. SARAGOZA dit :

    Bonjour,
    Je fais des recherches sur les oeuvres d’art disparues pendant la guerre.
    Il semblerait que, comme beaucoup d’autres demeures, une maison dénommée l’Oasis ait été pillée de sa collection asiatique avant d’être incendiée le 21 juin. L’un de vous sait-il où elle était située ?
    Merci par avance, Florence Saragoza

  14. Christine dit :

    Bonjour,
    En réponse à Mme Saragoza, je connais cette maison, et ce qu’elle contenait par ma Mère. Je me tiens à votre disposition pour vous rencontrer, vous la montrer et vous raconter. Cordialement.

  15. grellety dit :

    Bonjour,
    Mon grand père, décédé, s’est battu à Mouleydier. Je n’ai que quelques souvenirs de ses propos, rares, à ce sujet… Il était de Saint-Laurent des Bâtons, et je pense qu’il devait appartenir au maquis de Lalinde (il était FTP)? Il m’a parlé d’un jeune homme de seize ou dix sept ans qui était venu les rejoindre contre leur avis et celui de ses parents. Le jeune y est resté. Je n’ai aucune connaissance sur le sujet, mais j’aimerai savoir s’il existe une liste des résistants ayant participé à cette action, et si vous connaissez le nom de ce jeune.
    Cordialement,
    PG

  16. Sylvia K. dit :

    Je recherche un livre sur le réseau Fusil pour un de ses anciens membres origiaire de Metz et réfugié dans la région pendant la guerre. Son contact était le Colonel Fusil.
    Merci beaucoup.

  17. Lavergne Bernard dit :

    Agé de 17 ans, habitant de Mouleydier, j’ai participé aux trois combats du village. Mon père a été blessé lors du combat du 18 et a été décoré de la croix de guerre. J’ai moi-même un certificat d’appartenance aux Forces françaises de l’intérieur.

  18. Daniel D. dit :

    Bonjour,
    Je découvre ces échanges avec un peu de retard et plus particulièrement le précédent de Bernard Lavergne. En déménageant la maison de mes parents à Lalinde, j’ai découvert un certificat de participation au FFI , certainement du même type que celui évoqué par Bernard. Je suis très intrigué car mon père est toujours resté très discret sur cette période dramatique. Quel était donc le but de ces certificats ? Celui que je viens de trouver à été établi en octobre 1944 et la période du 6 juin au 21 juin 44 y est clairement mentionnée. Pourquoi, volontairement ou non, cela est-il resté presque comme un secret même après la fin de cette guerre ? Le commentaire de Grellety évoque également la rareté des propos sur ce sujet…. Dans le fond, la propagande (voir plus haut l’affiche « le chaos ou l’ordre »), n’avait elle pas fait son œuvre sournoise, provoquant une sorte de « culpabilité » diffuse d’avoir ainsi combattu, même pour une cause juste ?
    Merci à Bernard ou à d’autres de commenter.
    Bien cordialement
    Daniel

  19. Jacky Tronel dit :

    Les certificats d’appartenance aux FFI ont été pris en considération pour la détermination des droits à pension dans les régimes d’assurance vieillesse et ont été pris en compte dans le déroulement de carrière des militaires et de certains fonctionnaires. Ils présentent l’intérêt de fournir l’état civil de l’intéressé, le détail de ses faits de résistance, le nom des organisations de résistance auxquelles il a appartenu et le grade auquel il a pu être assimilé après les hostilités. Cependant, certains d’entre eux sont de purs « certificats de complaisance ». Ils ont, par exemple, permis à des résistants de la dernière heure d’entrer en politique en se prévalant d’un passé « héroïque »…
    Quant à la question du silence qui entoure cette période, il peut s’expliquer, tout simplement, par l’envie de tourner la page. Une analyse plus fine retiendrait également le poids de la douleur éprouvée à cause des exactions subies, et celui de la culpabilité collective a posteriori qui a suivi les actions peu glorieuses de l’Épuration (femmes tondues, règlements de comptes et exécutions sommaires) dont notre région a été le théâtre dans les mois qui ont suivi la Libération.
    JT

  20. MALMOUSTIER Michel dit :

    Je recherche de plus amples documents sur Bergerac, car mon pauvre père n’a pas voulu nous en dire plus. Je sais qu’il a coupé une mine électrifiée d’une place pour la rendre libre de circulation…
    Un de ces bons copains a eu fait le drapeau au mât de la cathédrale, je ne sais pour quelle raison… et les Allemands arrivant il s’est vite échappé et a même traversé la Dordogne à la nage. Cette personne je l’ai rencontrée sur Poitiers où il travaillait comme civil à l’ERM, moi j’y étais militaire détaché sur la période de 72/73. Mon père a participé à la tenue d’un camp à coté de Surgères pour raison d’arrivée imminente des Allemands. J’ai eu l’occasion de voir un certificat nommant Malmoustier Louis comme Lieutenant des FTI. [FTP ou FFI ?]
    Si quelqu’un peu me donner de plus amples renseignements sur cette période et sur mon père, je vous en serai reconnaissant. Par avance Merci.
    Malmoustier Michel : 07.81.57.06.79 – 1171 Rte du Houga, 40800 Aire sur l’Adour

  21. Bernard LAVERGNE dit :

    Je précise que mon certificat d’appartenance aux Forces Françaises de l’Intérieur porte le numéro 5261 délivré par le Général de Corps d’Armée DUCHÉ commandant la 4ème région militaire, avec référence particulière carte du combattant.

  22. Dubreuil Jean dit :

    Bonjour,
    Je me souviens de mes cinq ans en 1944…
    Nous avions quitté le village (ma mère, ma soeur, mon frère et moi) pour monter nous réfugier chez mon grand père en haut du village de Belpech. Le matin du 21 juin, nous sommes réveillés par des rafales de mitrailleuses et des éclats d’obus. Un haut parleur nous intime de rejoindre l’entrée du pont avec une trêve de la fusillade pendant quelques minutes ; dans l’impossibilité de descendre vers le bourg (il fallait nous vêtir et marcher plus d’un bon km), mon grand père décide de nous regrouper dans la ferme BOUYSSET, où nous nous rendons. Les tirs reprennent alors que nous sommes dissimulés dans un chai, les obus semblent viser cette ferme et pour cause, un poste de résistants avec un fusil mitrailleur sur un chemin derrière la ferme tire sur les allemands sur l’autre rive de la Dordogne. Un obus tombe sur l’étable et les quelques vaches éventrées gémiront toute la journée.
    Puis un second obus éclate devant le chai. Les éclats traversent la fenêtre et Jeanot BOUYSSET venu nous rejoindre, accroupi près d’une cuve, tombe les bras en croix, le visage en partie décapité. Il était âgé de neuf ans.
    Chaque année je me rends à Mouleydier pour la cérémonie au mémorial de St-Cybard alors que je n’habite plus la commune. C’est pour moi un devoir de mémoire !

  23. Françoise Bocheron dit :

    Je lis tous ces textes et témoignages, et bien sûr, je reconnais tout, les lieux, les faits, les gens. J’avais 6 ans pendant ces évènements, mes parents instituteurs avaient quitté l’école pour se réfugier chez les grands parents Borderie à St Cybard, puis chez les cousins Laporte à Tuilières. Mon père était dans les bois de Liorac avec les copains, à préparer la lutte, à déchiffrer les consignes écrites en anglais pour monter les armes parachutées. Et ma mère n’en parlait jamais, de peur que je répète ce que j’aurais entendu …..
    les ruines, la démolition, la reconstruction, les baraquements, MIss Holder, tout est encore tellement présent dans ma tête. Je pense que la maison pillée était celle de Mme Parié, emplie de souvenirs d’Indochine, elle n’a pas brûlé, elle est encore debout, rachetée et transformée, mais peu s’en souviennent.
    J’habite en Provence, je reviens souvent à Mouleydier, c’est un morceau d’histoire qu’on ne peut oublier.

  24. Dubreuil Jean dit :

    Bonjour Françoise, voilà plusieurs fois que j’ai tenté de te rencontrer en particulier le 21 juin car comme je l’ai précisé plus haut je me rend à Mouleydier chaque année avec ma tête pleine de ces tristes souvenirs car je suis sans doute le seul survivant de la mort de Janot Bouysset à quelques mètres de moi puis l’irruption des fantassins allemands qui nous ont braqués en hurlant « terrorristes » ils cherchaient le résistant blessé à son poste de fusil-mitrailleur quand ils l’ont découvert chez les voisins de mon grand-père ils l’ont exterminé à coup de crosse de fusil sous un hangar de la ferme Charbonnel.
    J’ai aussi bien sur le profond et respectueux souvenir de la bienfaitrice de Mouleydier Miss HOLDER avec qui je me suis encore entretenu quelques instants malgré mon expression anglaise un peu défaillante (elle n’a jamais parlé français), c’était à l’occasion du 50ème anniversaire le 21 juin 1994 et l’inauguration du mémorial , j’ai été particulièrement touché de cet entretien car elle se souvenait très bien de ma famille elle avait décerné un prix pour le meilleur élève de l’école de Mouleydier (prix qui m’a été attribué par la municipalité ainsi que par mon maître d’école Mr Gueylard ton papa).
    Je souhaite que soit transmis aux jeunes générations ce devoir de mémoire auquel je demeure très attaché et j’ai salué l’année dernière deux jeunes porte-drapeaux (de 16 ou 17 ans).
    J’ai effectué un voyage avec les anciens d’Algérie dans le Vercors il y a quelques années en entrant dans ces villages le souvenir de ces évènements sont rappelés aux visiteurs c’est un peu dommage que cela soit absent à l’entrée de Mouleydier.
    J’habite aujourd’hui Saint Avit Sénieur avec mon épouse et nos 77 ans !!!
    Avec mon meilleur souvenir de l’école de Mouleydier en espérant d’avoir le plaisir de te rencontrer

  25. Loan Rivereau dit :

    Bonjour,
    Mon arrière grand père était présent et à participé aux combats à Mouleydier. Il s’appelait René Villot, et il était à l’époque métayer à St Agne, chez la famille Cavaillé. Il est aujourd’hui décédé, mais j’ai (avec ma grand mère) recueilli son témoignage il y a quelques années. Je ne sais pas si ça intéressera quelqu’un ici, mais si ça peut servir, ce serait génial. (C’est un enregistrement oral que j’ai retranscrit à l’écrit plusieurs années après, il y a donc des noms manquant, ou que je n’ai pas compris) :

     » Mon arrière grand père : Alors vous voulez savoir quand l’idée m’est venue de rentrer dans la résistance.

    Ma grand mère : par exemple , quel âge tu avais ?

    Mon arrière grand père : J’avais a peu près 17 ans je labourais chez Cavailler. Bon bah il y avait pas la maison c était en terre donc je labourais a 10 h 11 h du matin « je me rappelle pas l’heure » il y a une voiture noire qui est arrivée dans l’allée du voisin, chez Baudouin qui labourais également et 2 hommes sont sortis de la voiture l’ont pris l’ont emmené c’était des miliciens qui étaient dans l’armée allemande (En réalité ils aidaient juste l’armée allemande, sans en faire partie) et ils l’ont emmené et on l’a plus jamais revu. Et 3 jours après ils sont revenu chercher Mr DELORS mais lui a eu de la chance car son patron était milicien et donc ils lui ont téléphoné et lui-même a téléphoné a Périgueux et il a été a Périgueux a pieds avec ses sabots et il est rentré chez lui (Il a ramené Delors). Et ensuite Mr le maire est venu me chercher pour rentrer dans la résistance. La première opération que nous avons faite nous étions, nous étions 11 et dont Mr Bouzinet qui était dans la canton et qui nous dirigeait, c’est lui qui menait l’équipe. Et nous sommes allés chercher des armes à Creysse qui étaient cachées dans une charrette dans un bois, et nous les avons menées au château de Breil près de Mouleydier. Et en arrivant au carrefour y avait donc 4 miliciens de la commune qui étaient là, après le couvre feu, nous étions après le couvre feu, et ils se sont dit entre eux, mais ou est ce qu’ils vont ceux là. Alors nous avons changé de route et monté à St Sauveur. Nous sommes allés passer à ???? enfin bon on s’en est bien sortis, on a menés nos armes. On a été reçus par Mr Malraux (André Malraux), à l’époque.

    Ma grand mère : André Malraux ?

    Mon arrière grand père : Oui le père Malraux, Il était au château de Limeuil, camouflé au château de Limeuil. Et je crois qu’il est parti en Allemagne lui après.
    Et donc il y a monsieur le maire, je sais pas si je me ( ???), qui est venu me demander de rejoindre la résistance avec lui.

    Ensuite les Allemands ont commencé à attaquer la région, avant de mettre le feu à Pressignac et à Mouleydier et donc il a fallu rentrer en activité, et le 10 juin 1944, on était devant la gare pour bloquer la route nationale qui va sur Bergerac, et les allemands ont été plus malins que nous, ils nous ont pris par derrière, sur le talus, et on a rampé dans les ronces dans les fossés. Et donc ils nous ont tiré dessus, avec les mitrailleuses, ils ont coupés les ronces au dessus de nous à la mitrailleuse. Et donc nous sommes arrivés comme ça jusqu’en haut de Creysse, chez un paysan, et l’ouvrier était un gars de St Agne, il nous a invités à diner, comme nous étions fatigués et que les boches nous avaient perdus. Et nous on était contents. Et dans sa ferme dans sa maison, sa femme a préparé la soupe, lui est allé se promener pour aller voir comment ça se passait autour de chez lui, et il est revenu en disant « les enfants vite vite, partez, traversez la grange et partez dans le bois d’acacia, les allemands sont la ils arrivent ». (pleurs, beaucoup d’émotion dans sa voix)

    Alors on est monté dans le grenier à foin, on s’est camouflés dans le foin, et les allemands sont arrivés, ils ont posé des questions au fermier, ils lui ont demandé s’il avait vu des maquisards, lui a répondu que non bien sur, et a ce moment là il y en a un qui est entré dans la grange pour uriner, et Fernand Dupont voulait lui balancer une grenade, ce que je lui ai interdit, parce que la on était tous brulés dans la ferme. Alors il m’a écouté et puis ils sont partis avec leur camion et nous on a repris la direction de St Agne par les bois. Et après le 24 juin, les allemands sont arrivés et j’étais pas de service ce jour la, et on a aperçu une grande fumée, ils avaient fait bruler Clérans, et Pressignac, et le soir Mouleydier. Ils ont réuni tous les gens de Mouleydier, ils ont laissé les maisons ouvertes, et ils ont emmené tout le monde à St Germain et Mons, et c’est le docteur Lagrange qui les a sauvés, il est allé trouver le général, le je sais pas quoi, le commandant, et il lui a expliqué que ce n’était pas eux , que ce n’était pas les gens de la commune. Et bon ceux la ils ne les ont pas tués. Mais par contre ils ont rassemblé tous les maquisards qu’ils avaient trouvés, ils les ont mis sur le pont espacés d’une quinzaine de mètres chacun, les mains liées derrière le dos, et alors les sauvages, parce qu’ils étaient sauvages ces gens là, les SS, le commandant est passé, il a tiré une balle dans le ventre d’un type, il se tortillait, et quand il a eu fini, il l’a tué avec son revolver dans la tête. Et il y en a un qui était assis sur le parapet du pont, et pour mourir il a pensé qu’il valait mieux qu’il saute dans la Dordogne, quand il a vu le travail qu’ils faisaient à ses copains, donc il a sauté, il a plongé, il a sauté dans la Dordogne, il savait très bien nager, il a nagé sous l’eau, ils l’ont mitraillé mais comme sous l’eau les balles ricochent, il est sorti près de chez madame ??? , et il est parti comme un fou, et il est mort quelques jours plus tard.

    Ma grand mère : Il avait été touché, ou le choc ?

    Mon arrière grand père : Le choc. Et après ça a bien changé quand tout a été libéré.

    Ma grand mère : Oui donc vous vous êtes intervenus sur un court temps.

    Mon arrière grand père : Oui moi je ne suis pas parti. Et il y en a beaucoup qui sont rentrés, le domestique de Valton il est rentré après. Nous on était là pour aller chercher les armes quelque part les amener, les alimenter tout ça. Et puis après y’a eu l’avion qui est tombé. Il est tombé un Messershmidt 109 dans la terre de Labasse. Les allemands avaient monté une école de jeunes pilotes. Le pilote était très jeune. Et donc le pilote était toujours devant ses commandes, il nous a fait signe de ne pas passer devant l’avion parce qu’il était chargé, donc nous avons contourné, et nous lui avons demandé si il avait besoin de quelque chose, et le soir, chez Clement Roger ils l’ont invité a venir diner, donc il a laissé son avion, il a laissé son appareil, et pendant ce temps les allemands sont venus le chercher, et ils l’ont pas trouvé, et ils ont abouti chez Labasse, et ils ont demandé ou il était. Et la Edouard a répondu qu’il était a la ferme d’a coté, et il m’a dit de les suivre. Et la dans la ferme ils ont dit qu’il était reparti a son avion car il n’avait pas le droit de le laisser. Je suis parti mais je me suis mis dans un buisson pour voir ce qu’il se passait, et je peux te dire que le pilote, il est monté dans la voiture à coup de crosse dans le dos. Je sais même pas si ils l’ont pas tué. « 

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