Ceci est l’histoire de deux hommes qui ne voulaient pas dire “ Heil Hitler ! ”

August Landmesser refusant de faire le salut nazi. 13 juin 1936, inauguration du navire Horst Wessel, Hambourg.

Le premier se nomme August Landmesser, photographié le 13 juin 1936, lors de l’inauguration du navire Horst Wessel par Adolf Hitler à Hambourg, les bras croisés, dans une foule se tenant debout bras droits tendus, refusant de faire le salut nazi.

On ignore le nom du second. C’est un Bibelforscher, un étudiant de la Bible, un « triangle violet », interné au camp allemand de Lichtenburg. On doit ce témoignage à l’acteur allemand opposant au régime, Wolfgang Langhoff. Il est relaté dans son ouvrage Die Moorsoldaten (Zürich, 1935), traduit en français sous le titre : Les soldats du Marais. Sous la schlague des nazis (traduit par Armand Pierha, Plon, 1935).

August Landmesser, réfractaire au régime nazi

Sur ce cliché pris en 1936 dans l’Allemagne nazie de Hitler, [cliquez ici pour voir la photo en grand] tous saluent leur Führer. Tous sauf un ! Mais pourquoi cet homme prend-il un tel risque ?

L’homme qui croise les bras au milieu de la foule saluant s’appelle August Landmesser. C’est un ouvrier allemand sur un chantier naval. La photo a été prise le 13 juin 1936 alors qu’Hitler assiste à l’inauguration d’un voilier à Hambourg. August Landmesser est le seul à ne pas faire le salut fasciste. A l’époque, il aurait pu être arrêté pour une telle provocation. Mais il est entouré d’ouvriers dont la culture de gauche est peu favorable au régime nazi. Il n’est donc pas dénoncé. Mais pourquoi refuse t-il de saluer le Führer ?

Cinq ans plus tôt, August Landmesser a rejoint le parti nazi, espérant trouver plus vite du travail. En 1934, il tombe amoureux d’Irma Eckler, jeune, belle… et juive. Le régime, au nom de la pureté raciale, leur interdit de se marier. Le couple illégitime décide pourtant d’avoir des enfants. A l’été 1937, August tente de faire passer la famille au Danemark. Il est arrêté par la police. En septembre, le traitre est accusé de « Rassenschande » (pollution raciale). Il est acquitté de justesse, mais sommé de quitter sa famille. Impensable ! Il revient auprès des siens. En 1938, August se fait de nouveau arrêter. Cette fois, il est envoyé en camp de travail. Irma, elle, périt dans les chambres à gaz de Bernburg, en 1942. Leurs deux filles sont alors placées en orphelinat.

A l’automne 1944, l’éternel opposant est enrôlé de force sur le front de l’Est, dans un bataillon d’anciens prisonniers. Il disparaît le 17 octobre 1944, près de Ston, en Croatie. Mais sa légende lui survit. En 1991, sa seconde fille Irène le reconnait sur une photo publiée dans un journal allemand. Elle raconte alors son histoire dans un livre, contribuant à faire de ce cliché le symbole du « courage de dire non ». Source : lien.

« Il ne parlait pas beaucoup et regardait tout le monde avec des yeux affectueux »

Wolfgang Langhoff à Berlin en 1962.

Ceci est une autre histoire, celle d’un homme dont on ignore le nom et qui, lui aussi, refusait de saluer « Heil Hitler ! », raconte Wolfgang Langhoff dans un livre paru en France à la Librairie Plon en 1935, sous le titre Les soldats du Marais. Sous la schlague des nazis.

« Il appartenait à une secte religieuse, la communauté des stricts serviteurs de la Bible [connue aujourd’hui sous le nom de Témoins de Jéhovah]. Dieu lui avait défendu de faire le salut hitlérien, rapporte-t-il. “ Et parce que Dieu lui avait défendu d’adorer Hitler, aucune puissance terrestre ne pouvait l’y contraindre. ” Car les ‘ stricts serviteurs de la Bible ’ sont des fanatiques, fidèles à leur foi. Ils disaient, à qui voulait les entendre : ‘ Hitler a bâti son royaume sur le sang ’ […] Cela le conduisit au camp de Lichtenburg. Il ne parlait pas beaucoup et regardait tout le monde avec des yeux affectueux […] Il pouvait avoir quarante ans. Il balayait infatigablement la cellule et le couloir, allait chercher de l’eau et se rendait utile à tous. »

« Mais il ne levait pas le bras pour saluer. Il ne disait pas “ Heil Hitler ! ”. Quand la sentinelle le remarque, elle lui demande pourquoi il n’a pas salué. La réponse : “ Parce que Dieu me l’a défendu ” rend la sentinelle un instant stupide. Puis elle l’envoie au cachot. Une semaine plus tard, ses codétenus le voient revenir avec des yeux pochés et noirs. L’homme, malgré les adjurations de ses camarades qui ne comprennent pas son entêtement, fait d’autres séjours au cachot. Les SS s’acharnent pour qu’il salue, le conduisant dans une petite cour : “ Lève le bras ! Lève le bras ! Lève le bras ! ” Il est roué de coups, perd connaissance. Son sang gèle sur le sol. Ses camarades le supplient. Rien n’y fait. Il est mis dans une cellule avec les “ criminels invétérés ”, porte leur uniforme, vidange chaque jour les fosses d’aisances au pas de gymnastique. Ses mains saignent de porter les seaux. Et c’est encore le cachot et les coups. Les SS tiennent des paris : Saluera ? Saluera pas ? »

« Après plusieurs semaines il revient au dortoir. Il se soutient au mur. Il rencontre un SS dans le vestibule. Son bras droit se lève maladroitement. La main, maculée de sang coagulé, se tend. Il murmure : “ Heil Hitler ”. »

Annette Wieviorka qui rapporte ce récit dans Auschwitz, 60 ans après [Robert Laffont, Paris, 2005] poursuit : « Mieux que bien des explications théoriques, ce court récit permet de comprendre ce qu’est le cœur du totalitarisme : la volonté, au moyen de tortures physiques et morales, de briser à tout prix l’homme, de le soumettre. »

Une forme de résistance méconnue, celle des témoins de Jéhovah

Annette Wieviorka, "Auschwitz, 60 ans après".

« Avec l’entrée en guerre, le pacifisme des Témoins de Jéhovah s’exprime de façon radicale, poursuit Annette Wieviorka… Pas de service militaire, pas de combats, aucun travail qui serve de près ou de loin l’effort de guerre. Pas question de fabriquer des uniformes ou des armes, ni même des pansements. Leur persécution s’accentue. Ceux en âge de porter les armes et qui refusent de rejoindre l’armée sont fusillés.

Si un tiers à peu près des Témoins de Jéhovah de cette époque sont arrêtés – quelque 6 000 –, certains d’entre eux se soumettent et sont donc libérés (nous ne savons pas combien) ; 2 à 3 000 trouvent la mort dans divers camps. Il y eut à Auschwitz quelques centaines de Témoins de Jéhovah, des femmes surtout, après l’ouverture du camp des femmes, reconnaissables à leur triangle violet. »

Et l’historienne de conclure : « Quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur les Témoins de Jéhovah (secte ? Église ? fanatiques ?), quel que soit encore l’agacement que nous éprouvons quand elles et ils frappent à notre porte pour tenter avec insistance de nous convertir, il faut bien admettre qu’ils se comportèrent dans les camps nazis comme les martyrs du début du christianisme. »

Photo d’August Landmesser dans la foule : source.
Photo de Wolfgang Langhoff : source.
Photo d’Annette Wieviorka : source.

Pour aller plus loin : Les triangles violets face à Hitler : une résistance spirituelle au nazisme

1 Commentaire de l'article “Ceci est l’histoire de deux hommes qui ne voulaient pas dire “ Heil Hitler ! ””

  1. Navarro dit :

    Tendre l’autre joue, ne pas rendre le mal pour le mal, aimer ses ennemis… c’est ce qu’a enseigné Jésus. Au contraire, la vengeance appelle la vengeance, le mal et la haine, la haine. Le cercle vertueux est alors remplacé par un cercle tortueux et nous devenons comme eux. Si comme les Témoins de Jéhovah tout le monde appliquait les enseignements du Christ, alors il n’y aurait plus de guerre.

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