Un siècle d’incarcération de jeunes à la prison de la Petite Roquette
Par Jacky Tronel | dimanche 22 décembre 2013 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | 3 commentairesLe Monde Illustré consacre en pages 23-26 de son édition du 8 juillet 1865, un article sur La Roquette, « prison des jeunes détenus [destinée] à remettre dans la voie droite les enfants dont les instincts méchants ou les mauvais exemples ont perverti la nature »… Le texte qui suit est signé des initiales A.H., tandis que les dessins sont de Félix Thorigny.
Jean Genet y fut incarcéré en 1926… avant de connaître la colonie agricole de Mettray. L’écrivain évoque cette période de sa vie dans un roman autobiographique, Le Miracle de la rose (1946).
La Roquette ou l’éloge du tout cellulaire…
« Comme on peut très bien le remarquer en jetant les yeux sur le dessin d’ensemble [cliquez pour visualiser la vue d’ensemble de la prison], la maison est soumise au régime cellulaire. On a cru qu’il y avait tout avantage à isoler des enfants qui ne se sont fait remarquer que par leur précocité dans le vice, et que le contact journalier de leurs pareils ne pouvait que leur être excessivement préjudiciable.
La rigueur du système cellulaire n’est cependant pas appliqué avec la même sévérité que dans les prisons d’adultes. Le silence est moins rigoureux ; les enfants peuvent communiquer avec leurs gardiens et leurs contre-maîtres ; l’isolement pour eux n’est complet que par rapport à leurs camarades.
Chaque enfant a sa cellule éclairée par une fenêtre et contenant un lit-hamac composé d’un sommier, d’un matelas, couverture et traversin, un escabeau en bois, une table et les ustensiles de toilette. Son établi de travail et ses outils sont disposés contre le mur. Des tablettes en bois supportent sa vaisselle de table et les menus petits objets à son usage.
Quand un enfant est malade, on le transporte dans une cellule-infirmerie garnie d’un lit en fer et de meubles plus confortables ; mais, même pendent la maladie, jamais deux jeunes détenus ne communiquent ensemble.
Les promenades aussi ont lieu isolément. Les endroits affectés à cet exercice sont divisés en deux catégories, dites : les grandes et les petites cours. Chaque enfant sort tous les jours, et alternativement, dans les grandes et les petites cours. Jamais, dans les promenades comme ailleurs, deux enfants ne se rencontrent.
Toutes les cellules s’ouvrent sur d’immenses corridors disposés de façon que, d’un point central, un gardien puisse en surveiller trois à la fois. Dans l’intérieur de ces corridors se trouvent les cellules de punition. Celles-ci diffèrent des autres en ce qu’elles n’ont point de lit ni de fenêtres et qu’elles ne tirent de lumière que par le corridor. Le détenu condamné aux cellules de punition n’a à sa disposition qu’un escabeau en bois et une couverture dans laquelle il s’enveloppe pour dormir sur le plancher.
Un immense réservoir dans l’intérieur de l’établissement contient en abondance l’eau nécessaire à tous les services de la prison.
Chaque dimanche, l’aumônier attaché à la maison, célèbre l’office divin auquel tous les enfants assistent, dans de petites cellules, qui sont disposées de telle façon que, de chacune d’elles, on peut apercevoir l’autel et le prêtre sans voir absolument rien autre chose. Notre dessinateur, pour prendre cette vue, s’est placé à l’endroit occupé par le prêtre quand il officie ; on a toutes les cellules sous les yeux : les personnes qu’on remarque au-dessus appartiennent à l’administration de la maison.
Le parloir est également soumis au système cellulaire ; il se compose de compartiments grillés et séparés de l’endroit où se trouvent les visiteurs par un couloir à l’extrémité duquel se tient un gardien qui veille à ce qu’il ne se passe rien de contraire au règlement. Les enfants ne peuvent voir que la personne qui les fait appeler, et, même pendant le parcours de leur cellule au parloir, les dispositions sont prises de telle façon qu’ils ne se rencontrent jamais.
Tel est le régime auquel sont soumis les enfants que les tribunaux jugent à propos d’envoyer dans les maisons de correction.
La prison des jeunes détenus est dirigée par M. l’Éveillé, qui, par sa douceur et sa bienveillance, sait souvent adoucir les rigueurs d’une semblable captivité. Le service sanitaire est sous la direction du docteur Huet, un homme aussi humain que savant, qui veille avec la plus grande sollicitude sur le corps et l’intelligence de ces enfants dévoyés.
A.H. »
Pour aller plus loin…
Lire sur ce blog : « Les enfants maudits de la Petite Roquette » un reportage d’Henri Danjou (1929) lien
Se reporter à l’article d’Anaïs Guérin, « La Petite Roquette, la double vie d’une prison parisienne, 1836 – 1974 » publié sur l’excellent site Patrimoine carcéral des régions françaises : lien
Voir enfin le site « La Roquette (Paris) Histoire du Quartier, Mémoire du Pavé… » : lien
Source : « Le Monde Illustré » N° 430 du 8 juillet 1865, page 24, coll. J. Tronel. Cliquez sur le dessin pour l’agrandir.
Je trouve édifiant cet article et remarquable votre travail.
Merci pour le compliment et vos encouragements…
[…] Par Jacky Tronel | dimanche 22 décembre 2013 – Pour en savoir plus lire le billet publié sur le site Prisons-cherche-midi-mauzac […]