Quand l’usine de la Perlerie servait d’annexe à la prison militaire de Paris repliée à Mauzac

Le 13 novembre 1940, le général Jeannel proposait au secrétaire d’État à la Guerre de réquisitionner l’usine désaffectée de la Perlerie afin qu’elle serve d’annexe à la prison militaire de Mauzac pendant l’instruction des prévenus appelés à comparaître devant le tribunal militaire de Périgueux, « de manière à éviter les déplacements quotidiens, préjudiciables à la bonne marche des affaires à instruire et très onéreux en essence, entre Mauzac et Périgueux ».

En-tête de lettre de l'usine de la Perlerie en 1928.

L’usine de la Compagnie Française pour l’Industrie de la Perle

« La Perlerie » est le nom donné à une usine dépendant de la Compagnie Française pour l’Industrie de la Perle spécialisée dans la fabrique de « perles et cannetilles, fleurs et feuilles, accessoires pour couronnes, pour broderie, passementerie, etc ».
En février 1920, l’usine comptait 140 ouvriers et ouvrières. Elle était située rue des Prés prolongée, non loin du pont des Barris, à Périgueux.

La Perlerie, d’une guerre à l’autre…

Dès le début de la Première Guerre mondiale et jusqu’en 1916, la Perlerie a été réquisitionnée pour servir de « camp de concentration » (selon la terminologie en usage à l’époque). L’historien Guy Penaud signale l’existence de deux cartes postales de propagande allemande, éditées à Liepzig, montrant les conditions de détention des femmes et des enfants de nationalité allemande emprisonnés à la Perlerie. Des documents d’archives (circulaires, notes, télégrammes, rapports…) révèlent en effet qu’un certain nombre de « ressortissants des puissances ennemies se trouvant en France au moment de la mobilisation » y ont été détenus. En raison de son caractère insalubre, la « prison de la Perlerie » aurait été fermée au début de l’année 1916. Les femmes et les enfants qui s’y trouvaient auraient été rapatriés en Suisse pour les uns, transférés vers d’autres camps pour les autres.

De décembre 1940 à mars 1941, la Perlerie reprend du service et devient la « Prison militaire de la Perlerie à Périgueux, annexe de la Prison militaire de Mauzac ». Elle est utilisée comme lieu de transit des prévenus en attente de comparution devant le tribunal militaire de la 12e Région militaire, à Périgueux, ou bien au retour, après jugement, condamnation et transfert vers un lieu de détention définitif.

Usine de la Perlerie à Périgueux

L’usine de la Perlerie située sur les bords de l’Isle, rue des Prés prolongée, à Périgueux,
prison militaire de décembre 1940 à mars 1941,
annexe de la prison militaire de Mauzac. Coll. La Thèque.

Transfert des prévenus du camp de Gurs vers la prison de la Perlerie à Périgueux

Le repli pénitentiaire qui a lieu du 10 au 21 juin 1940 conduit un peu plus d’un millier de prisonniers de la prison militaire de Paris jusqu’au camp d’internement de Gurs, dans les Basses-Pyrénées. La plupart d’entre eux sont prévenus, en attente de comparution devant la cour de justice militaire qui a commencé à instruire leur affaire…

Quand il est enfin décidé que la préfecture de la Dordogne deviendrait le siège de la 12e région militaire ainsi que le lieu de repli des tribunaux militaires de Paris, s’est posée la question du transport des prévenus du camp de Gurs jusqu’au tribunal militaire de Périgueux.
Cette situation constitue un véritable casse-tête pour l’administration militaire. Les moyens de locomotion disponibles et l’essence sont rares, les lieux de détention peu nombreux.
La logistique est complexe.

Le 14 octobre 1940, un groupe de 105 prévenus est acheminé à Périgueux. Une note de service de la 17e région militaire [Toulouse] définit très précisément les modalités du transfert : rassemblement devant l’îlot B du camp de Gurs et distribution de vivres pour deux jours ; départ du camp à 11 h. 10 ; transport de Gurs à Oloron par camions de la Régie départementale des Basses-Pyrénées ; embarquement en gare d’Oloron au train de 12 h. 30 ; de Gurs à Toulouse, escorte constituée de deux pelotons de gendarmes de la Garde républicaine mobile d’Aire-sur-l’Adour (Landes) et, de Toulouse à Périgueux, escorte constituée par deux pelotons de la 17e Légion de gendarmerie.

Henri Martin fait partie du voyage. Il décrit le moment du départ après la séance de la fouille : « On nous appelle deux par deux pour toucher les vivres du voyage : un kilogramme de pain chacun, un morceau de viande froide, et une boîte de ‘ singe ‘ [corned-beef] pour deux. Des camions nous attendent et nous y montons accompagnés de quatre garde-mobiles par véhicule. Ils nous mettent les menottes dont la chaîne nous relie deux par deux. Les bracelets sont trop serrés… Va-t-il falloir faire tout le voyage ainsi entravés ?… Les camions s’ébranlent, le camp reste derrière nous. Au-delà des barbelés, des vivats d’adieu retentissent… ». À leur arrivée à Périgueux, les « Gursiens » sont provisoirement logés dans l’une des casernes de la ville.

Au cours du mois de janvier 1941, le colonel Blasselle signale les les difficultés que posent le transfert et la détention des prévenus militaires à Périgueux. La Perlerie fait l’objet de bien des convoitises : « partout la prospection se heurte à la réquisition civile des locaux pour des services (ravitaillement général, services municipaux, etc…) »… sans parler du directeur de l’usine qui souhaite rentrer au plus vite en possession de son local réquisitionné.

Typologie de la population carcérale de passage à la Perlerie

Page de garde du registre d'écrou de la prison militaire de la Perlerie en février 1941

Pour les seuls mois de janvier et février 1941, pas moins de 237 détenus sont répertoriés sur les registres d’écrou. Ces registres nous renseignent sur les chefs d’accusation qui sont retenus contre les prévenus. Arrivent en tête les « politiques » (98), pour la plupart communistes, puis les militaires « réfractaires à l’armée » (77) et enfin les militaires jugés pour délits de droit commun (62).

Parmi les « politiques » les plus connus comparaissant devant le tribunal militaire de Périgueux, citons Léon Moussinac, Yves Péron (futur député de la Dordogne), Charles Joineau (secrétaire général de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes), Léon Bérody (cadre à la Confédération générale du travail unitaire et premier président de l’amicale du camp de Gurs) et Jacques Georges, frère du colonel Fabien, tous communistes.

Quel est le sort réservé aux détenus politiques ?

Le 1er février 1941, le colonel Blasselle, commandant militaire du département de la Dordogne, s’adresse au commissaire du gouvernement près le tribunal militaire de Périgueux, lui demandant « de bien vouloir [lui] communiquer la liste de tous les individus accusés par le Tribunal Militaire de Périgueux, depuis le début de son fonctionnement, d’avoir commis : des actes de propagande révolutionnaire, distribution de tracts communistes… ».

Sur une liste de 141 prisonniers politiques, il ressort que 16,31 % sont acquittés à l’issue de leur jugement, 56,74 % sont condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un an, et 26,95 % à une peine de 2 à 5 ans d’emprisonnement. Au nombre de 15, les femmes représentent 10,64 % de l’effectif. Toutes sont jugées pour activité communiste.

Usine de la Perlerie sur les bords de l'Isle à Périgueux, rue des Prés prolongée.

À propos du commandement de la prison militaire de la Perlerie

L’administration de la Perlerie ainsi que la garde de l’annexe de la prison de Mauzac sont assurées par le personnel de la prison militaire de Paris.

Jusqu’à son affectation à la prison militaire de Villefranche-de-Rouergue, le 15 février 1941, la Perlerie est placée sous le commandement de l’adjudant-chef comptable Chappert Joseph. Le sergent-chef comptable Meignan Georges le remplace, jusqu’à la dissolution de la prison. On relève la présence à la Perlerie de Manien Lindor, avant qu’il ne soit affecté à la prison militaire de Nontron, le 21 février 1941. C’est lui qui assurera le commandement de la prison de cette sous-préfecture de la Dordogne en juillet 1944, après que la Résistance locale aura arrêté puis exécuté sommairement le capitaine Pointeau André, jusqu’alors commandant la prison militaire.

Sources principales : Service Historique de la Défense – Armée de Terre, série 13 J
et Archives départementales de la Dordogne, cotes 4 M 44 et 5 M 77, 4 M 155 à 4 M 158
et bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, tome CXXVIII – Année 2001, p. 390.

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