Quand la rose et le réséda fleurissaient sur les murs des cellules de la prison du Cherche-Midi
Par Jacky Tronel | dimanche 24 avril 2011 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | Pas de commentaire« La Rose et le Réséda » est l’un des textes les plus connus d’Aragon. Publié dans la revue « Le Mot d’Ordre » en mars 1943, ce texte reparaît en décembre 1944 dans le recueil de poésie « La Diane Française », avec pour dédicace : « À Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru ». Gabriel Péri et Honoré d’Estienne d’Orves ont été l’un et l’autre écroués à la prison du Cherche-Midi. L’un est non-croyant, l’autre est catholique… Juste avant la démolition de la prison, en 1961, à défaut de prises de vues photographiques, un relevé des graffiti gravés sur les murs de chacune des cellules de la prison militaire a été effectué. La rose et le réséda s’y côtoient…
La prison militaire de Paris en cours de démolition, 1961, angle du 38 rue du Cherche-Midi et du 56 bd Raspail.
Source : Archives de la Commission du Vieux Paris, cote 6e 23, DHAAP-DAC, Ville de Paris.
« La rose et le réséda », poème de Louis Aragon
Ce poème fait l’éloge de la résistance et de la solidarité, au-delà des partis et des opinions.
Il commence par ces vers : « Celui qui croyait au ciel, Celui qui n’y croyait pas, Tous deux adoraient la belle, Prisonnière des soldats ». Cette phrase éclaire le sens caché du poème. « La belle prisonière des soldats » est la France ; « Celui qui croyait au ciel », la droite chrétienne ; « Ceux qui n’y croyaient pas », les communistes. La rose est noble, le réséda humble ; la rose est rouge, le réséda blanc ; la rose est cultivée, le réséda sauvage. Les symboles s’entremêlent comme le sang des martyrs résistants, « même couleur, même éclat. »
(cf Le hussard vert)
Graffiti de « ceux qui croyaient au ciel »
Photo : Honoré d’Estienne d’Orves, officier de marine, 1901-1941 (lien).
Cellule de fouille 7 – Je suis enfermé par les sales b…
Dieu les punira.
Cellule 7 – Patou – Mon Dieu faites que ce que je demande se réalise, enfin je vous serai reconnaissant toute ma vie. 30 juin, aujourd’hui 47 jours sans être interrogé. Maman et Sonia priez pour que nous soyons tous bientôt réunis et que nous passions ensemble des jours heureux. Papa prie pour moi, je jure que j’irai dire une dizaine de chapelet sur ta tombe dès que je serai sorti de ce lieu de malheur.
Cellule 34 – Jules Cave de Ferri (Loire Inférieure) 46 ans, est entré ici le 26 mars 1944. Pour donner du courage à ma chère petite femme, je dis mon chapelet. Ste-Mère de Dieu priez pour nous, vierge sainte exaucez nos prières. Protégez mon enfant.
Cellule 42 – Ici je me suis converti. Parti le 27/5/44 pour [?] R. Guérin.
Cellule 62 – Thomazie de Nantes entré le 5-10-43, condamné à mort le 14-10-43. Arrêté le 1er juillet 1944 par la feldgendarmerie à Ancenis après avoir sauté d’un train de prisonniers se dirigeant sur l’Allemagne. Sauté du train à 3 h. du matin le 1er juillet, repris le même jour à 9 h. du matin après 4 mois de détention à la prison de Rennes. Cœur sacré de Jésus, j’ai confiance en vous. Protégez ma petite maman chérie et faites que je la revoie bientôt. Merci mon Dieu de m’avoir fait retrouver la foi. Que votre saint nom soit béni. Ayez confiance en Dieu et priez-le.
Cellule 161 – En toi Seigneur. Avé Maria. 5.5.44
Graffiti de « ceux qui n’y croyaient pas »
Photo : Paul Langevin, physicien, 1872-1946. Photo AFP, 1940 (lien).
Cellule 7 – CALMEL Louis – 2.10.43. Mort pour la bonne cause. Mes fils vengez votre père. Vive le parti, comme vive la France…
Cellule 9 – Je voudrais n’être pas Français, Pouvoir dire que je te choisis France, Et que dans ton martyr, Je te proclame toi que ruine le vautour, Ma patrie et ma gloire et mon unique amour.
Cellule 152 – Vive la vie de demain, La victoire sera à nous, Pensons à l’avenir, J’aurai du courage, Même devant la mort, Notre lutte n’aura pas été vaine, Sans doute je serai fusillé amis, Vengez-nous. Œil pour œil. Pour une dent toute la gueule. La victoire qui approche est le prix de notre sacrifice. Vive les F.T.P. Courage, où il y a la vie il y a l’espoir. Ici comme en face, hauts les cœurs.
Autres graffiti relevés sur les murs des cellules du Cherche-Midi
Cellule de fouille 7 – Quand la neige tombera noire, Quand les corbeaux voleront blancs, Le souvenir de ma prison, S’effacera de mon horizon.
Cellule 9 – Parfois on voudrait mourir. Fernande, 7.44
Cellule 30 – Georges Lefeuvre entré le vendredi 21/1/44 avec mon frère, père de 4 enfants. Nous sommes ici en attendant d’être fusillés surtout que nous n’avons fait aucun mal, patience, le jour viendra. Adieu les beaux jours où nous étions près de nos chers parents, nous allons partir sans les voir ni les embrasser, même pas leur envoyer un pauvre bout de papier. Adieu la vie. Adieu ma future qui m’a tant aimé et je la laisse comme tout le monde. Bons baisers à tous. Mourir c’est guérir. 47 rue Laréveillère, Angers.
Cellule 46 – Cadeau Georges – 2 mars 44 – 27 mars 44. P.C. Je suis d’Angers. J’ai 4 enfants. Sonnera l’heure de la délivrance afin de revoir ceux que j’aime, mes 4 petits enfants et ma chère petite femme qui pleure de chagrin. Je suis condamné à 6 mois.
Cellule 51 – Lecram. On supprime la liberté mais pas le droit de penser. Qu’adviendra-t-il de moi ? Je ne sais pas pourquoi, aujourd’hui j’ai le cafard… peut-être ma dernière journée.
Cellule 53 – Le 15-6-43 à 6 heures du matin :
Ce n’est pas en mettant des pères de famille en prison que vous obtiendrez la collaboration de la France. Bien au contraire, vous engendrez la haine dans l’esprit des enfants et dans 20 ans ils vous referont la guerre car ils auront trop soufferts dans leur cœur. Gustave Guillet, père de 2 enfants dont 1 garçon.
27-8-43 – Pour avoir soutenu la Politique du Maréchal Pétain depuis 3 ans. Comme récompense ? Quand je serai sorti d’ici ce n’est pas à moi qu’il faudra parler de politique car j’ai trop souffert ici depuis 57 jours et être innocent – 17-9-43 Gustave Guillet.
Emploi du temps – 7h.30 jus – 11 h.30 soupe – 4 h. pain – 4 h.30 jus – 6 h. soupe.
La direction se charge de modifier le programme et s’en excuse d’avance auprès de ses chers pensionnaires.
Cellule 74 – Le 5 août 1944 – Testament – Je lègue à mon descendant une cellule pleine de puces – deux carreaux et un crayon – Cordialement.
Cellule 152 – Dans le silence je cherche l’oubli, Dans le silence j’attends la mort. Claude W. 11.9.43.
Cellule 184 – Je m’avance sur le chemin du destin qui m’entraîne, Et je regarde avec épouvante ce que me réserve l’avenir.
Source : Bureau des archives des victimes des conflits contemporains (BAVCC), Caen.
Le poème d’Aragon mis en musique…
Excellente interprétation du groupe français La Tordue : lien.