Les prisons de Vichy au bord de l’implosion dès 1941
Par Jacky Tronel | mardi 16 novembre 2010 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | 1 CommentaireQuelle était la situation des maisons centrales, maisons d’arrêt et prisons militaires, six mois après la signature de la convention d’armistice ?
Un courrier du directeur de l’Administration pénitentiaire et des Services de l’Éducation surveillée, adressé à son homologue de la Justice militaire, nous éclaire sur la situation critique vécue par les prisonniers détenus dans les prisons et les camps de la France de Vichy, en ce début d’année 1941.
Maison centrale de Melun (Seine-et-Marne), sur les bords de la Seine. Coll. Jacky Tronel.
Le 21 janvier 1941, la Justice militaire sollicite du Garde des Sceaux l’autorisation d’envoyer 50 prévenus militaires vers la Maison d’arrêt de Périgueux. Pourquoi cette demande ? Les prévenus en question doivent comparaître devant les cours de justice militaire de Paris repliées à Périgueux. Or, les prisons militaires de cette 12e région (Bergerac, Nontron et Mauzac), sont toutes situées à une cinquantaine de km du tribunal militaire, ce qui ne facilite pas le travail des juges qui instruisent leurs dossiers.
Réponse du ministère de la Justice
Le 8 février 1941, le ministre de la Justice oppose un refus catégorique, faisant valoir que, sur toute l’étendue du territoire, son administration se heurte à des difficultés dont il fait donner le détail :
« 3 maisons centrales sur 9 – soustraites à l’autorité française ou détruites par les évènements de guerre – ont dû être évacuées en totalité ; de nombreuses maisons d’arrêt, endommagées par les bombardements, sont inutilisables ; dans la zone occupée 17 sont réquisitionnées en totalité et la plupart des autres en partie dans la proportion du 1/3 au 3/5 de leurs places. Nonobstant l’illégalité de cette mesure, contre laquelle je m’élève sans succès, plusieurs de mes établissements ont été mis dans l’obligation de recevoir des contingents massifs d’internés administratifs. En zone libre, en sus de la détention de populations locales en vue d’accroissement constant, ils doivent assurer celle des condamnés repliés tant civils que militaires de telle sorte que, dans presque tous, la contenance normale est largement dépassée.
Cette situation est encore aggravée par l’extrême pénurie dans laquelle se trouve mon administration en matériel et en personnel.
Par suite des destructions, de l’usure, des réquisitions continuelles de l’autorité occupante, de l’impossibilité de reconstituer les approvisionnements, le manque de matériel de toute sorte se fait partout très cruellement sentir.
Considérablement réduit par les décès, démissions, admissions à la retraite, sanctions survenus depuis l’ouverture des hostilités et aussi par la captivité du 1/10 au moins de ses membres, désorganisé par les repliements, débordé par l’accroissement et la difficulté de ses tâches, sans repos depuis de longs mois, le personnel est à bout de forces et nettement insuffisant.
L’entassement des détenus, les rigueurs impossibles à éviter d’un régime de détention que le chômage et les restrictions de toutes sortes tendent à rendre véritablement inhumain engendrent partout une sourde effervescence qui se traduit par des réclamations incessantes, des suicides, des évasions et des tentatives de mutinerie, signes précurseurs de révoltes dans de nombreuses prisons.
En outre, de multiples rapports médicaux signalent le risque sans cesse accru d’épidémies susceptibles de causer des hécatombes.
Enfin, dans plusieurs ressorts, les Parquets ont dû, depuis plusieurs mois renoncer, faute de place dans les prisons, à incarcérer les condamnés de droit commun.
Il vous apparaîtra, dans ces conditions, que l’Administration pénitentiaire se trouve non seulement dans l’impossibilité absolue de continuer à mettre ses établissements et ses ressources au service d’autres administrations, mais encore dans l’obligation de consacrer la totalité de ses moyens à l’exécution des tâches lui incombant en propre. Or, outre les centaines de militaires déjà détenus dans mes établissements, votre Administration se propose d’en envoyer encore cent à la Maison d’arrêt de Pau, alors que cette prison ne dispose ni des locaux ni même des fournitures de couchage et de réfectoire strictement indispensables.
Je ne puis donc, à mon vif regret, qu’opposer une fin de non recevoir à votre demande à moins que, en contrepartie, votre Administration ne soit disposée à retirer de mes établissements encombrés, un très fort contingent de condamnés militaires. »
En marge du courrier, le destinataire a rajouté les commentaires suivants : « À peu près la même situation dans les P.M. [prisons militaires] » et, en réponse au dernier point soulevé : « La Guerre a offert de prendre 50 condamnés en compensation des 50 places demandées à Périgueux »…
Vue aérienne de la Maison centrale de Clairvaux (Aube). Coll. Jacky Tronel.
Dans les camps d’internement, la situation n’était pas meilleure.
Le 17 décembre 1940, une note du 2e Bureau adressée au directeur général de la Sûreté nationale souligne que « la prise en charge par le Ministère de l’Intérieur des camps [loi du 17 novembre 1940] pose de très angoissants problèmes d’organisation matérielle qu’il importe de souligner, en raison des répercussions possibles sur la politique à adopter à l’égard des indésirables et suspects »…
Vichy est victime de sa politique d’exclusion, de répression et d’enfermement, mise en place, il faut le rappeler, par la Troisième République. En dépit de la création de nombreux camps d’internement, l’ouverture de nouvelles prisons ou la réouverture de prisons désaffectées, le monde pénitentiaire sous Vichy connaît l’une des plus graves crises de son histoire. Dans l’incapacité de prendre soin des détenus dont elle a la charge, l’administration pénitentiaire s’ouvre à la société civile pour pallier à ses propres carences : interventions d’associations caritatives, assouplissement du règlement permettant l’envoi de colis par les familles. Ces mesures vont sans aucun doute permettre à Vichy de traverser la crise, en évitant le pire : l’implosion de ses prisons.
Sources SHD-DAT 13 J 1712 et AN F-7-15086.
J’ai beaucoup appris sur un sujet certes, très intéressant mais, que je ne connais que très peu ! Merci pour le partage de vos connaissances !
Amitiés