Les « nouvelles cellules » de la prison de la Santé à la fin du XIXe

Intérieur d'une cellule à la prison de la Santé, en 1898.

Inaugurée le 20 août 1867, la prison de la Santé a été conçue par l’architecte Émile Vaudremer, sur un terrain de 2,5 hectares situé dans le 14e arrondissement de Paris. Selon l’historien Christian Carlier, on « avait réalisé là une construction pénitentiaire éclectique, qui tînt compte à la fois de la réflexion raffinée de la monarchie parlementaire autour de la cellule et du pragmatisme de la circulaire Persigny du 17 août 1853 par laquelle le Second Empire avait signifié la mise entre parenthèses (qui devait s’avérer très provisoire) du rêve cellulaire. Le résultat est remarquable : des cellules individuelles dans les quatre divisions (1 à 4) à deux étages organisées en étoile du Quartier Bas proche de la rue de la Santé ; des dortoirs et, au rez-de-chaussée, des ateliers dans les huit divisions (5 et 7 à 13) à trois étages du Quartier Haut donnant sur la rue Messier. Avec le retour au pouvoir des Orléanistes et la loi du 5 juin 1875 sur l’emprisonnement individuel, les dortoirs du Quartier Haut avaient été remplacés par des cellules (un peu plus grandes que celles du Quartier Bas) entre 1896 et 1898… » (Source de la citation)

Dans son édition du 18 mars 1899, le journal L’Illustration consacrait une page entière à ces « nouvelles cellules de la Santé ».

Travaux de rénovation et de construction engagés à la fin du XIXe siècle

« La prison de la Santé a subi l’an dernier [1898] d’importants changements. Elle comprenait jadis deux quartiers, l’un cellulaire, l’autre dit ‘auburnien’ ; c’est ce dernier qui a été transformé en quartier cellulaire. Les travaux ont consisté dans la réfection de cloisons intérieures, dans la création de nouvelles cellules, et dans la surélévation d’un étage des anciens bâtiments. Ils ont coûté 2 millions de francs. »

Dans le système auburnien les prisonniers vivent en commun mais en silence dans les réfectoires, les ateliers, à l’école, à la chapelle, puis passent la nuit dans des cellules individuelles. À l’opposé, le système pennsylvanien prévoit un encellulement permanent, de jour comme de nuit, dont l’objectif est d’éviter la corruption entre les détenus, encourager la réflexion sur soi-même et donner aux prisonniers de nouvelles habitudes de vie qui faciliteront leur réinsertion.

Cellule de détenu de droit commun à la prison de la Santé en 1899.

« Le nouveau quartier, composé d’un quadrilatère et d’un bâtiment transversal, plus un bâtiment central reliant les nouvelles constructions aux anciennes, se compose maintenant de six cent quatre-vingt-trois cellules disposées sur quatre étages et desservies par des balcons à encorbellement. »

Ci-contre :
Cellule de détenu de droit commun,
L’Illustration du 18 mars 1899, p. 169.

« Ces cellules nouvelles, qui sont formées par la réunion de deux des anciennes, constituent des chambres relativement spacieuses mesurant 4 mètres de longueur sur 3 m,60 de largeur et 3 mètres de hauteur. Elles sont parquetées et cirées ; les murs sont recouverts d’une peinture laquée qui permet de fréquents lavages. Un double système de canalisation y amène de l’eau de source pour les besoins du détenu et de l’eau de rivière pour le tout à l’égout. Des ventilateurs, mus par l’électricité, y assurent une ventilation parfaite ; l’éclairage est fourni par la lumière électrique à incandescence, et le chauffage se fait par un calorifère à vapeur d’eau. De larges fenêtres, descendant jusqu’à un mètre du sol, répandent de la lumière à profusion.

Le mobilier se compose d’un lit de fer scellé dans le mur, avec matelas et traversin ; des charnières permettent de le relever pendant le jour où on le tient appliqué contre la muraille. Une tablette, fixée au mur, peut également se relever ou s’abaisser ; une chaise est retenue par une chaîne assez longue pour permettre son déplacement, mais retirant au prisonnier la possibilité de s’en servir pour frapper son gardien. Dans un coin, on voit le meuble indispensable à tout être humain. Enfin, près de la porte est placée le bouton électrique qui sert au prisonnier pour appeler le surveillant. C’est dans une de ces cellules (dans la septième division) qu’habite depuis lundi le lieutenant-colonel Picquart [qui joua un rôle important dans l’affaire Dreyfus]. »

Les cellules de détenu politique : « quartier VIP » de la prison de la Santé

« Le quartier réservé aux détenus politiques se compose de huit cellules que l’on s’est efforcé de rendre plus confortables encore. Les murs sont tapissés et ornés d’une boiserie à hauteur d’appui. Deux matelas garnissent le lit. Une large table en chêne sert de table de travail ; une autre table plus petite en bois blanc sert de table à manger ; on la recouvre d’une nappe. Une table de nuit-toilette avec séchoir pour les serviettes, trois chaises et les accessoires ordinaires de la cellule complètent l’ameublement. L’éclairage est fourni par deux lampes électriques à incandescence, l’une est suspendue au milieu du plafond, l’autre est placée sur la table de travail. »


Cellule de détenu politique à la prison de la Santé, 1899

Prison de la Santé : cellule de détenu politique (journal L’Illustration du 18 mars 1899, page 169).


Photo portrait du poète Guillaume Apollinaire

« Séjour à la Santé »,
poème de Guillaume Apollinaire

Apollinaire est incarcéré à la prison de la Santé du 7 au 13 septembre 1911, impliqué dans une sombre histoire de statuettes volées au Louvre.

Dans un texte publié en 2010 sur le portail Criminocorpus, Franck Balandier, directeur d’Insertion et de Probation à l’administration pénitentiaire, se livre à une intéressante analyse des textes rédigés par Apollinaire sur son incarcération. Il propose une lecture pénitentiaire de « À la Santé » et de « Mes prisons » et tente de faire la part entre les éléments de texte qui relèvent de l’univers poétique de ceux qui appartiennent à la réalité carcérale.
(L’aquarelle reproduite en haut de page est tirée de cet article.)

Dans le poème « À la Santé », Apollinaire évoque « le bruit de [sa] chaise enchaînée ».

« Jusqu’où le poète invente-t-il ? écrit Franck Balandier. On sait qu’à cette époque les cellules n’étaient pas équipées d’une chaise mais d’un tabouret de bois. Mais on sait aussi que ce tabouret de bois est attaché au mur par une chaîne pour éviter qu’il ne devienne une arme improvisée entre les mains d’un détenu agressif. On peut donc en déduire que le poète, soit pour des raisons de rythme, soit pour des raisons d’embellissement, ou les deux à la fois, a travesti la réalité. Il ne ment pas. Il arrange. D’une certaine manière, on peut dire qu’Apollinaire compose avec le réel […] puisqu’il accorde à une partie du mobilier un confort qu’il ne possède en réalité pas. »

Or, si l’on en croit la représentation d’une cellule de droit commun publiée dans L’Illustration du 18 mars 1899, parmi le mobilier dessiné se trouve bien une chaise enchaînée dont on peut imaginer le bruit qu’elle faisait quand le prisonnier la déplaçait sur le plancher en bois de sa cellule. Une dizaine d’années plus tard, en 1911, elle devait toujours s’y trouver…

7 Commentaires de l'article “Les « nouvelles cellules » de la prison de la Santé à la fin du XIXe”

  1. Franck Balandier dit :

    Je découvre votre blog et les quelques lignes que vous consacrez à l’incarcération d’Apollinaire à la Santé. Ce que vous écrivez au sujet de cette « chaise enchaînée » et de l’illustration qui l’accompagne vient contredire mon analyse où il est question d’un tabouret et non d’une chaise. De fait, l’illustration que vous produisez me semble faire partie d’une série qui avait été réalisée à l’ouverture de la prison et qui proposait un regard « publicitaire ». Il en est d’autres qui présentent bien un tabouret en guise de chaise. La réalité pénitentiaire de cette époque tend plutôt vers cette hypothèse.
    Cependant, comme je l’indique dans mon livre, Apollinaire a bénéficié d’un régime adouci. Du coup, on peut en effet envisager une chaise plutôt qu’un tabouret.
    Merci en tout cas pour votre éclairage.
    Et puisque vous vous intéressez au monde carcéral, vous lirez avec profit mon récent ouvrage « Des poètes derrière les barreaux » (L’Harmattan), où il est question non seulement d’Apollinaire à la Santé, Mais aussi de Villon au Châtelet, de Chénier à Saint-Lazare, de Rimbaud à Mazas, de Genet à la Petite Roquette, de Sarrazin à la Petite Roquette, autant de prisons qui firent, un temps, partie du paysage parisien.
    Bien cordialement.
    FB

  2. Jacky Tronel dit :

    Je vous remercie d’avoir visité mon blog et d’avoir réagi à cet article. Pour ma part, j’ai lu avec intérêt votre publication dans Criminocorpus : Invention poétique et réalité carcérale chez Guillaume Apollinaire.
    La découverte de la gravure du journal L’Illustration représentant une cellule de droit commun avec cette chaise au premier plan m’avait en effet interpellé.
    Toutefois, à bien y réfléchir, votre hypothèse est tout aussi vraisemblable : il est en effet possible que L’Illustration « ait proposé un regard ‘publicitaire' » sur cette prison modèle et que, par ailleurs, Apollinaire bénéficiait d’un « régime adouci » (d’où la chaise à la place du tabouret)…

  3. Caroline Soppelsa dit :

    Cher Jacky,
    Merci de publier ces belles gravures de la « nouvelle Santé » de 1898, sur laquelle je travaille en ce moment.
    Je peux peut-être trancher définitivement le débat relatif au type de siège équipant les nouvelles cellules.
    Dans un mémoire en date du 14 juin 1898, le préfet de la Seine dresse un récapitulatif des travaux et mentionne le « remplacement des tabourets ancien modèle par des sièges à dossier » (PV Conseil général de la Seine, 1898, session 1, p. 38).
    L’Illustration et Apollinaire n’ont donc pas menti sur ce point.
    Je suis plus dubitative en revanche sur la fenêtre, qui est peut-être une ancienne fenêtre (partiellement bouchée) de l’ancien bâtiment d’infirmerie, mais qui ne peut en aucun cas être une ancienne fenêtre d’atelier (rez-de-chaussée commun cloisonné) car la forme ne correspond pas, ni celle d’une nouvelle cellule (3ème étage) ou d’une cellule née du rassemblement de deux anciennes cellules auburniennes (1er et 2ème étage), pour la bonne et simple raison qu’il devrait y en avoir deux !
    Bien cordialement,
    CS

  4. Jacky Tronel dit :

    Chère Caroline,
    Très heureux de te retrouver sur mon blog… Je te remercie de nous éclairer de tes lumières. Le mémoire que tu cites (celui du 14 juin 1898) tranche la question de savoir si, en 1899, c’était une chaise ou un tabouret qui équipait les nouvelles cellules de la Santé… Je pense que Franck Balandier appréciera également.
    Quant à la fenêtre : vue d’artiste ou représentation de la réalité ? Pas plus que toi je ne peux trancher.
    À bientôt… au plus tard à l’occasion du colloque consacré aux architectures pénitentiaires !
    Bien à toi,
    JT

  5. Barbara L dit :

    Bonjour,
    Je découvre votre blog, très intéressant, y compris par les discussions dans les commentaires. Pourriez-vous donner plus de précisions sur le colloque consacré aux architectures pénitentiaires que vous évoquez ?
    Très cordialement,
    BL

  6. Jacky Tronel dit :

    Bonsoir et merci pour votre commentaire…
    Il est encore prématuré de communiquer sur ce projet de colloque dont le titre provisoire est « Architectures et constructions pénitentiaires de 1750 à nos jours »…
    Le programme, les intervenants et la date doivent encore être être validés. Ce colloque s’inscrit dans le séminaire de recherche ANR Sciencepeine (lien).
    Bien à vous,
    JT

  7. nicole douay dit :

    Je viens de découvrir votre site et j’ai lu votre article sur la prison de la Santé. Ma grand-mère a été arrêtée le 25/11/1941 avec son époux à Soissons (Aisne) et a été emmenée dans cette prison… 6 mois je crois….

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