» La prison est moins dure que l’exil, car la prison c’est encore la terre de France «
Par Jacky Tronel | dimanche 1 juillet 2012 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | Pas de commentaireLe 12 février 1890, pour être revenu dans son pays malgré la loi d’exil, le duc d’Orléans est jugé et condamné à une peine de deux ans de prison. Le 25 février, il est conduit à la maison centrale de Clairvaux et y reste écroué du 25 février au 4 juin 1890. Il y prononce ces mots restés célèbres : « La prison est moins dure que l’exil… Car la prison, c’est encore la terre de France ».
Dans son édition du 1er mars 1890, le journal L’Illustration consacre opportunément un reportage à la maison centrale de détention de Clairvaux… dont le texte use largement du registre laudatif.
Tribulations carcérales du duc d’Orléans
La loi du 26 juin 1886 interdit l’accès et le séjour sur le sol français aux chefs des familles royale et impériale ayant régné sur la France, ainsi qu’à leurs fils aînés. Elle interdit également à tous les hommes de ces familles de servir dans l’armée française.
Le 6 février 1890, jour de ses vingt-et-un-ans, le duc d’Orléans quitte la Suisse pour Paris. Il se présente le lendemain au bureau de recrutement de la rue Saint-Dominique, à la mairie du VIIe arrondissement puis au Ministère de la Guerre pour se faire inscrire sur la liste des conscrits mais, à chaque fois, il se heurte à une fin de non recevoir de la part de l’administration. Il est enfin arrêté chez le duc de Luynes, rue Saint-Dominique.
En attendant son jugement, le duc d’Orléans est incarcéré à la Conciergerie, où le duc de Luynes lui fait livrer de somptueux repas. Rapidement, la presse républicaine en reproduit les menus et, conscient de l’effet négatif qu’un tel traitement pourrait provoquer, le prince déclare publiquement qu’il « ne demande que la gamelle du soldat ». L’expression connaît immédiatement un grand succès et le prince en retire le surnom populaire de « Prince Gamelle », qui le suivra toute sa vie.
Le 12 février 1890, le duc d’Orléans est finalement jugé et condamné à une peine de deux ans d’incarcération. Le 25 février, il est conduit à la maison centrale de Clairvaux. Il y reçoit un traitement spécial. L’administration lui fournit un logement de deux pièces meublées et met un gardien à son service. Il se fait par ailleurs livrer ses repas de l’extérieur et reçoit de nombreuses visites : celles de sa mère, la princesse Marie-Isabelle d’Orléans, mais également celles de diverses jeunes femmes, comme la danseuse Émilienne d’Alençon ou la chanteuse Nellie Melba, avec lesquelles il entretient des liaisons.
Après quatre mois de captivité, il est amnistié par le président de la République Sadi Carnot et reconduit à la frontière le 4 juin 1890.
La maison pénitentiaire de Clairvaux où est interné le duc d’Orléans
L’internement du duc d’Orléans à Clairvaux appelle l’attention sur cette maison centrale installée à la place de l’ancienne abbaye fondée par saint-Bernard. Elle est située sur la ligne de Belfort, deuxième station après Bar-sur-Aube, au kilomètre 234.
La maison centrale de Clairvaux – La cour d’honneur et le greffe.
Ainsi qu’il est facile d’en juger par les vues que nous en donnons, elle présente un développement considérable de bâtiments énormes. Une population de deux mille cinq cents à trois mille personnes l’occupe constamment, sur laquelle dix-sept cents détenus hommes en moyenne et six cents femmes.
Clairvaux – La cour d’honneur et les bâtiments de l’aile droite.
Au fond de cette véritable ville, entourée de grands murs, à gauche de notre gravure représentant la vue d’ensemble, se trouve l’infirmerie, où furent enfermés M. Émile Gautier, le prince Kropotkine, MM. Jules Roche, et d’autres condamnés de même nature. Les cellules avaient été transformées en un appartement à l’usage de l’inspecteur des prisons au moment de ses tournées ; on vient de les rendre à leur destination pour le duc d’Orléans. L’ameublement est simple mais suffisant, et puis il y a le jardin qui, à lui seul, constituera une distraction réelle et essentiellement hygiénique.
1. L’habitation du duc de Luynes. – 2. L’hôtel Saint-Bernard. – 3. Fenêtre de la cellule destinée au duc d’Orléans. – 4. Les dortoirs.
Sur la vue d’ensemble, les bâtiments affectés aux détenus sont les plus rapprochés de l’infirmerie. En continuant à regarder de gauche à droite, se trouve la cour d’honneur dont nous donnons aussi une gravure, et enfin les bâtiments du greffe, où l’on accède après avoir passé sous le porche élevé qui regarde l’entrée banale de la maison, celle jusqu’à laquelle le public peut pénétrer après avoir franchi la grille d’entrée.
Tout à droite, en dehors des murs et à mi-côte, la statue de saint-Bernard se dresse, dominant toute la masse de son ancienne abbaye.
1. La chapelle. – L’appartement actuel du duc d’Orléans. – 3. La porte d’entrée de la cour d’honneur. – 4. L’école. – 5. La caserne.
Devant les dortoirs, une cour est spécialement affectée aux manipulations importantes que comporte une exploitation aussi colossale, comprenant des emballages, des charrois de marchandises et de vivres, et les allées et venues des jardiniers et des hommes employés aux travaux extérieurs de toute sorte, nettoyage, entretien, labours, etc, etc.
La Maison pénitentiaire de Clairvaux – Les dortoirs.
À part cela les condamnés se livrent aux industries de la corderie, de la peausserie, de la lingerie, ils fabriquent des lainages, travaillent la nacre, selon les nécessités des commandes.
Ajoutons un trait caractéristique qui nous a été fourni par un détenu politique. La plupart des condamnés de droit commun s’attachent à leur prison et ne demandent qu’à retrouver leur emploi favori en y revenant.
1. La chapelle. – 2. L’école communale. – 3. La caserne.
Ajoutons un trait caractéristique qui nous a été fourni par un détenu politique. La plupart des condamnés de droit commun s’attachent à leur prison et ne demandent qu’à retrouver leur emploi favori en y revenant.
Le texte ci-dessus est tiré de l’article du journal L’Illustration du samedi 1er mars 1890. Les gravures sont exécutées « d’après les photographies de M. Piquée de Troyes ». Coll. J. Tronel.