Quand Vichy nourrissait des scrupules à l’égard des communistes internés dans les CSS
Par Jacky Tronel | vendredi 11 janvier 2013 | Catégorie : Dernières parutions, DES CAMPS… | 1 CommentaireLa note du 15 janvier 1942 de la Direction générale de la Police nationale sur la spécialisation par catégorie d’internés administratifs des centres de séjour surveillé de la zone occupée est intéressante en ce qu’elle montre à la fois le souci – pour ne pas dire l’obsession – de l’État français d’isoler les communistes au nom de « l’hygiène morale et sociale de la population des centres d’internement » et les scrupules de ce même régime quant au fait de les regrouper en un centre unique, avec pour conséquence de les désigner aux autorités d’occupation comme otages potentiels voués à la déportation.
La mention de Châteaubriant dans cette note fait référence aux 27 otages communistes fusillés à la Sablière, le 22 octobre 1941, au nombre desquels figurait Guy Môquet.
Texte intégral de la note du 15 janvier 1942 de la DGPN…
« La spécialisation des centres de séjour surveillé par catégorie d’internés administratifs (communistes, repris de justice et internés de droit commun ayant achevé leur peine, internés administratifs pour agissements économiques illicites, gaullistes, nomades, juifs, femmes communistes, femmes juives, prostituées, etc.) a été préconisée dans le but d’isoler certaines catégories les plus dangereuses et les plus “ contagieuses ”.
L’isolement des communistes, en particulier, paraît devoir s’imposer en raison des “ écoles ” qui peuvent se constituer dans les centres de séjour surveillé, “ écoles ” à la tête desquelles se placent d’eux-mêmes les chefs et militants de premier plan qui trouvent, parmi la population disparate des repris de justice ou des trafiquants du marché noir, un terrain des plus favorables à leur enseignement. Il importe donc, à première vue, d’affecter un ou plusieurs centres à l’internement exclusif des communistes. »
Entrée administrative du Centre de Séjour Surveillé de Voves (Eure-et-Loir).
« La première esquisse du plan qui a été dressé à cet effet, et qui pourra recevoir son application lorsque le camp de Voves sera aménagé définitivement (contenance de 1.800 à 2.000 places), comporte l’affectation de ce camp au rassemblement des communistes les plus dangereux.
Un deuxième centre, celui de Rouillé, permettrait d’interner les individus qui se sont rendus coupables d’actions favorables au mouvement communiste, mais qui apparaissent comme des délinquants d’occasion, susceptibles de relèvement.
Si le principe de cet isolement présente d’incontestables avantages, au point de vue de l’hygiène morale et sociale de la population des centres d’internement, par contre, son exécution, dans les circonstances propres à la Zone Occupée, soulève plusieurs inconvénients forts graves. »
« En premier lieu, constituer un camp uniquement réservé aux communistes “ durs ” ou irréductibles, c’est désigner ce camp et, implicitement, ses occupants aux Autorités Allemandes comme une réserve d’otages appelés éventuellement à subir le poids de la répression consécutive à de nouveaux attentats, toujours possibles.
En dehors de ce danger, dont on a vu, à Châteaubriant, les dramatiques effets, on court également à celui de désigner ces camps pour des déportations possibles dans des centres comme celui de Compiègne, administré et commandé par les seules Autorités Allemandes, en dehors du contrôle de l’Administration Française.
En particulier, si le choix du centre de Voves comme point de rassemblement des communistes irréductibles, présente des avantages au point de vue de la proximité de la région parisienne, d’où provient la majorité de cette catégorie d’internés administratifs, les conditions de lieu propres à ce camp, rendent un rassemblement considérable de communistes assez difficile dans la région. En effet, le camp est à proximité de centres de cheminots (gare de triage d’AUNEAU) où la propagande communiste est susceptible d’exercer une forte action et il est vraisemblable que les internés trouveront, dans certains éléments de la région, des auxiliaires qui ne demanderont qu’à favoriser des correspondances clandestines, voire même des évasions.
À telle enseigne que le Commissaire Spécial ANDREZ, qui se trouve sur place pour assurer l’exécution des premiers travaux d’aménagement, a déjà fait arrêter et interner par M. le Préfet d’Indre-et-Loire, deux communistes dont un employé à la S.N.C.F. et l’autre, ferblantier dans la même localité.
Il est à signaler d’autre part, que les Autorités Allemandes viennent de demander l’état numérique des individus communistes et des juifs, en Zone Occupée, et un haut fonctionnaire Allemand, de l’Hôtel Majestic, se serait étonné du petit nombre de communistes actuellement internés dans les camps de la Zone Occupée.
Ces quelques éléments d’information, et les indications qui précèdent, incitent à examiner, de façon très approfondie, la question de la spécialisation des camps et la désignation d’un ou plusieurs de ceux-ci, comme centres exclusifs d’internement pour des communistes plus ou moins amendables. »
Quelle solution adopter ?
Un an plus tôt, le préfet régional Ingrand, représentant du ministre de l’Intérieur au sein de la délégation de Vichy auprès des Allemands à Paris, proposait une solution à ce problème d’éthique : la transportation en Afrique du Nord des individus les plus dangereux. « Il n’existe d’autre solution que l’éloignement de la métropole de ces indésirables, dont au moins ceux d’entre eux (repris de justice et agitateurs professionnels) qui en cas de troubles ne manqueraient pas de se livrer aux pires extrémités » écrit-il dans une note au ministre, le 16 janvier 1941. Il y va de « la sécurité française » !
Sources :
La note du 15 janvier 1942 de la DGPN est conservée aux Archives nationales à Paris, F7/15086.
Photo du camp de Voves : lien.
Bravo pour toute ces informations ; Triste pour tous ceux qui sont passés par là !