Gurs : « camp de concentration pour miliciens espagnols »…
Par Jacky Tronel | dimanche 4 septembre 2011 | Catégorie : Dernières parutions, DES CAMPS… | 7 commentaires« J’ai l’honneur de vous faire connaître que l’aménagement matériel du camp de concentration installé à Gurs (arrondissement d’Oloron) est en voie d’achèvement et que l’installation des miliciens venant des Pyrénées-Orientales se poursuit à une cadence accélérée. Déjà, depuis une huitaine de jours, 5.000 Basques sont hébergés dans ce camp. Actuellement arrivent, chaque jour, près de 2.000 aviateurs et prochainement plusieurs milliers des membres des brigades internationales sont attendus. Le total des miliciens internés dans ce camp atteindra prochainement le chiffre fixé par les autorités militaires : 20.000. »
Rapport du préfet des Basses-Pyrénées adressé au Ministre de l’Intérieur, Albert Sarraut, le 20 avril 1939.
Camp d’internement « champignon » sorti de terre en 42 jours
Le camp de Gurs, qualifié de « centre d’accueil des réfugiés espagnols », a été édifié en une quarantaine de jours, de la mi-mars à la mi-avril 1939. C’est une véritable prouesse à mettre au crédit des Ponts et chaussées du département des Basses-Pyrénées.
« En six semaines, la troisième agglomération du département, après Pau et Bayonne, mais avant Biarritz et Saint-Jean-de-Luz, est sortie de terre. Le fait est d’autant plus notable que les conditions atmosphériques sont franchement mauvaises pendant toute la durée des travaux. Le schéma directeur de la construction s’inspire largement de l’exemple du camp de Barcarès, aménagé un mois auparavant. Son principe repose sur la répartition des internés en îlots autonomes, chaque îlot pouvant accueillir 1500 réfugiés environ, et sur l’installation, à l’intérieur des îlots, de baraques de bois. Les baraques sont conçues comme de simples abris, leur utilisation ne pouvant être que brève. Car le camp n’est pas fait pour durer. Il répond à un besoin urgent mais momentané, l’hébergement des combattants de l’armée républicaine espagnole, pendant quelques mois d’été et, peut-être, d’automne », précise l’historien Claude Laharie.
Étapes d’un chantier pharaonesque
Ce qui suit provient, pour la plus grande part, d’un rapport de l’ingénieur des Ponts et chaussées, Léon Larribau, et relate l’échelonnement des travaux d’aménagement du camp de réfugiés espagnols à Gurs. Oloron, le 8 mai 1939.
14 mars 1939 – Visite par le Général Ménard, accompagné du préfet, des terrains de la région susceptibles de servir à l’établissement d’un camp pour réfugiés espagnols. L’autorité militaire choisit un terrain situé en bordure de la Route Nationale 636, sur les communes de Gurs, Dognen, Prechacq-Josbaig et donne mission au Service des Ponts et Chaussées d’aménager ce terrain. Une conférence a lieu ensuite pour déterminer les dispositions générales du camp et la consistance des installations à prévoir. Camp pour loger 20.000 Miliciens.
15 mars – Commencement des travaux par la détermination des moyens d’organisation du service et le lever du plan…
16 mars – L’ingénieur d’arrondissement Laribau répartit le travail : ses services se chargeront de tout ce qui concerne les routes, les égouts, les voies ferrées, les adductions d’eau et les terrassements ; l’entreprise Lombardi-Morello d’Arudy aura la responsabilité de la construction et de l’aménagement des baraques.
19 mars – Commencé le nivellement du sol à l’emplacement des baraques.
20 mars – L’aménagement du parc de stockage installé à Gus est terminé. Le nivellement du sol à l’emplacement des baraques est en cours.
21 mars – Le montage des baraques est commencé.
22 mars – 6 ossatures de baraques sont montées.
23 mars – Premiers arrivages des ossatures de baraques venant des Pyrénées-Orientales.
27 mars – 36 ossatures de baraques sont montées. 7 baraques en cours de montage.>
31 mars – 90 baraques en cours de montage. 11 baraques terminées.
« Centre d’accueil des réfugiés espagnols » de Gurs en construction, le 1er avril 1939.
4 avril – Les baraques des îlots A et B sont réceptionnées (52 baraques). 12 baraques terminées. Soit au total 64 baraques terminées. 64 baraques en cours de montage. 6 abris pour cuisine en cours de montage.
Gurs, le 6 avril 1939. Dans le lointain, on aperçoit les contreforts des Pyrénées…
8 avril – Les baraques des îlots A.B.C.D. sont terminées (104 baraques) – 2 infirmeries et 1 douche terminées. Soit au total 107 baraques terminées. 83 baraques en cours de montage. 6 abris pour cuisine en cours de montage. Remise des installations du commandement, des 1re, 2e, 3e, compagnies et des îlots A B C D pour la réception des réfugiés basques (5.000 Hommes).
10 avril – Les clôtures de barbelés, déjà posées autour du “camp basque”, cernent le camp tout entier. Le même jour, le drainage des marécages est achevé.
12 avril – Les baraques des îlots A.B.C.D. sont réceptionnées (104 baraques). 11 baraques terminées. 2 infirmeries, 1 douche, 1 parloir terminés. Soit au total, 119 baraques terminées.
158 baraques en cours de montage. 1 Bessonneau en cours de montage. 6 abris pour cuisine en cours de montage.
Gurs, le 15 avril 1939.
16 avril – Les baraques des îlots A.B.C.D.F.M.I.G. sont réceptionnées (214 baraques). 7 baraques terminées. 3 infirmeries, 1 douche, 1 parloir terminés. Soit au total, 226 baraques terminées.
128 baraques en cours de montage. 2 hôpitaux en cours de montage. 2 Bessonneaux en cours de montage. 9 cuisines réceptionnées.
19 avril – L’éclairage de l’allée centrale des abords immédiats et des baraques de troupe est mis en service. Une voie ferrée, destinée au transport des tinettes, placées sur des wagonnets poussés à la main, est désormais exploitable : les rails proviennent de l’ancienne voie de chemin de fer désaffectée reliant Oloron à Sauveterre.
20 avril – Les baraques des îlots A.B.C.D.E.F.G.H.I.J.K.L.M., soit la totalité, sont réceptionnées. Les cuisines sont terminées. Toutes les baraques des troupes sont terminées. 1 hôpital est terminé ainsi que la baraque intendance. Les 2 Bessonneaux sont terminés. En voie d’achèvement : 4 infirmeries, le deuxième hôpital, 1 parloir, 1 poste de garde. Restent à exécuter : 1 baraque parloir et 4 annexes de l’hôpital.
22 avril – La route traversant le camp est bitumée. Travaux terminés et réceptionnés.
Gurs, le 22 avril 1939.
25 Avril – Remise totale des installations à l’autorité militaire, sauf les travaux de parachèvement (sanitaire, réservoir, robinetterie de distribution d’eau) qui se poursuivent. Programme réalisé… 428 baraques se décomposant comme suit :
– 372 baraques de Miliciens comprenant 13 infirmeries et 13 douches réparties dans 13 îlots
– 13 abris métalliques pour cuisines
– 45 baraques de troupes (y compris le Génie)
– 4 baraques pour le service de l’intendance
– 7 baraques ou bâtiments pour les services de Santé
– 2 hangars Bessonneaux [grands hangars type aérodrome servant de garages et d’ateliers de réparation automobile]
– 2 parloirs
– 1 poste de garde.
Bilan de ces 42 jours de construction
« Le bilan […] est impressionnant : 428 baraques ont été dressées, 382 pour les réfugiés et 46 pour la troupe. La capacité d’accueil est de 18 000 hommes. Une route de 1 700 mètres de long avec macadam bitumé, a été ouverte. Un réseau de 1 800 mètres d’“égouts”, de 1 200 mètres de fossés de drainage, a été creusé. Une voie ferrée de trois kilomètres de long a été posée. 250 kilomètres de barbelés ont été installés. Un service captage, de filtrage, de pompage et de distribution d’eau a été aménagé. Le téléphone a été branché. L’éclairage est assuré partout, sauf dans les cabanes de réfugiés. Huit abris pour douches ont été disposés à la sortie des îlots. Plus de quatre cents ouvriers et une quinzaine d’ingénieurs ou d’adjoints techniques ont participé à la construction ; les uns ont été embauchés, pour la plupart, dans la population locale ; les autres exerçaient leurs fonctions dans le département ou dans les Pyrénées-Orientales. L’ensemble a coûté douze millions et demi, dont plus de la moitié concerne les seules baraques. Tout n’est certes pas terminé : les services de santé n’occupent encore aucun local ; l’administration et la gestion sont assurées dans des logements de fortune ; l’intendance ne dispose pas de lieu de stockage satisfaisant. Mais l’essentiel est réalisé.
Dans la vallée, c’est l’étonnement devant cette “ville” sortie de terre en quelques jours. […] Pour la majorité de la population, la présence d’un camp pouvant accueillir 18 000 réfugiés espagnols en terre béarnaise, est ressentie comme une souillure, et la nature même des hébergés n’inspire guère la sympathie. Puisqu’il le faut, il existera donc une “ville” à Gurs, deux fois plus peuplée qu’Oloron ou Orthez, mais elle ne sera tolérée que dans la mesure où son rôle sera celui d’une parenthèse…
Le 10 mai, le commandant du camp fait savoir au général commandant la 18e région (Bordeaux) qu’“il n’y a plus, pour l’instant, de places disponibles”. En effet, le camp est bondé (18 985 hommes), chaque baraque abrite soixante réfugiés et les infirmeries d’îlots sont pleines. Le chiffre maximum fixé par le général Ménard est, à quelques unités près, atteint. Il a suffi d’un mois pour que la troisième agglomération du département surgisse sur la lande de Gurs. », conclut Claude Laharie.
Crédit photos – Espagnols au camp de Gurs : Coll. Centre de Documentation Juive Contemporaine, Paris.
Les quatre autres photos proviennent des Archives des Pyrénées-Atlantiques, Pau : 1 M 182.
Sources texte – A.D. 64 : 1 M 182, 1 M 183 et Claude Laharie, Le camp de Gurs, 1939-1945, un aspect méconnu de l’histoire de Vichy, Société Atlantique d’Impression, J&D Éditions, 1993.
…et le 22 avril 39, mon grand-père Stanislas, notait dans son agenda de poche : « Nous sommes arrivés au camp de Gurs ». Il était brigadiste, dans les brigades Dombrowski. Il arrivait du camp de Saint-Cyprien, et resta à Gurs vraisemblablement jusqu’au début août 39.
Bonjour,
Je travaille sur mon mémoire de licence et c´est pourquoi je cherche les descendants d´interbrigadistes tchécoslovaques.
Merci beaucoup.
Bonjour Lucie,
Mes travaux de recherches sur le camp de Gurs concernent essentiellement les Français qui y ont été internés de juin à décembre 1940…
Pour obtenir de l’aide dans votre recherche, je vous suggère de prendre contact avec l’historien du Camp de Gurs, Claude Laharie (claude.laharie@wanadoo.fr) ou encore avec Joël Herreros (gurs@free.fr), webmaster de l’excellent site Camp de Gurs.
Cordialement, JT
Je suis dans ma 77ème année et durant la dernière Guerre mondiale, j’ai toujours entendu parler des miliciens comme étant des traîtres, alors que ces Espagnols avaient lutté pour la LIBERTE dans leur Pays. Ai je tort ?… J’aimerai une explication. Mario. Fils de parents Italiens. Merci. Cordialement.
En réponse à Mario : La guerre civile espagnole opposa les Républicains aux Nationalistes. De nombreux Espagnols se sont engagés dans les milices de chaque camp. D’un côté se trouvaient les milices nationalistes formant le camp des rebelles (phalangistes, carlistes…), de l’autre côté il y avait les milices républicaines. Quant aux brigades internationales, elles étaient formées de volontaires étrangers, en majorité communistes, venus combattre dans les rangs des forces républicaines.
Les républicains espagnols qui, vaincus par les troupes de Franco, se sont retrouvés dans les camps du Sud-Ouest de la France après la Retirada… étaient composés des miliciens issus des milices républicaines et des brigades internationales… Ils étaient souvent qualifiés de « rouges » en raison de leur appartenance politique (communistes, socialistes et anarchistes). Puisqu’ils ont combattu pour la défense de la seconde République espagnole et lutté contre le fascisme, le qualificatif de « traîtres » ne peut leur être imputé.
Cordialement, JT
Mon PAPA est passé par le Camp de GURS et j’ai une lettre de FÉLICITATIONS qu’il a écrite à une petite fille de 12 ans pour son succès au certificat d’études passé à PORT-VENDRES (cette dame a 87 ans aujourd’hui). Cette dame avait gardé comme une relique cette lettre qu’elle m’a offerte en début d’année… Jamais je n’aurai pensé avoir en ma possession un tel document. Et la surprise fut double car je ne pensais pas qu’elle vienne de GURS. PAPA ne parlait pas des camps où il a séjourné… ou il en parlait très peu… Une pensée pour tous ceux qui sont passés par ce triste endroit…
Si vous voulez une photo de cette lettre, je puis vous la passer. Elle est rédigée en espagnol et elle est datée du 15.06.1939… Sachez que de posséder un tel document, c’est plus qu’émotionnant !
Bonjour et merci pour ce témoignage ! Je veux bien que vous me fassiez parvenir une photo de cette lettre. Peut-être pourrais-je en faire l’objet d’un nouvel article… ce qui pourrait provoquer des réactions…
Très cordialement, Jacky Tronel, 06 75 22 98 46, tronel.jacky@wanadoo.fr